19 octobre 2015
"Pour la journaliste Élisabeth Lévy, certains Européens redoutent « une nouvelle vague migratoire qui leur sera imposée alors qu’ils ne parviennent pas à intégrer les précédentes. »
[...] Le seul choix, après Aylan, c’était l’accueil illimité pour éviter d’autres Aylan. On ne discute pas avec la mort d’un enfant, on ne pèse pas le pour et le contre, on ne marchande pas. L’ennui, c’est que toute cette émotion, aussi légitime soit-elle, ne suffit pas à définir une politique. Et bien entendu, il ne suffit pas non plus de l’écarter pour avoir une politique. Ceux qui prônent l’hospitalité zéro au nom du principe « le malheur Français d’abord » ne sont pas plus convaincants que les tenants de l’hospitalité intégrale. Du reste je ne crois pas que nous soyons malheureux au point de ne jamais pouvoir aider plus malheureux que nous… [...]
Une fois qu’on a rappelé que l’« hospitalité illimitée » n’est pas une solution, que fait-on concrètement ?
Eh bien il faut faire des distinctions, définir dans quels cas et dans quelles conditions on doit accorder le statut de réfugié et surtout répondre aux inquiétudes que suscite cette vague migratoire au lieu de les criminaliser et de les sermonner. Quand Nicolas Sarkozy, pour répondre à ces inquiétudes, a proposé la création d’un statut de réfugié de guerre, Manuel Valls a eu cette réponse un peu effrayante : « La critique ne sert pas l’intérêt général. » Fermez le ban. Je ne sais pas si la proposition de Nicolas Sarkozy est réaliste mais je trouve que le Premier ministre a une fâcheuse tendance à vouloir interdire la divergence. En tout cas, ce qui me semble important, c’est d’avoir un discours de vérité.
Si la crise des migrants suscite autant de passion, c’est aussi parce que nous traversons une profonde crise d’intégration...
Et c’est précisément pour cela qu’il faut dire la vérité, à savoir qu’une fois chez nous, ces réfugiés seront des immigrés comme les autres. Ce ne sont pas 20 000 personnes en plus qui font peur aux Français mais le sentiment que c’est le début d’une nouvelle vague migratoire qui leur sera imposée alors qu’ils ne parviennent pas à intégrer les précédentes. Cela explique sans doute que, comme nous le montrons dans un reportage, dans les mosquées de France on ne soit pas particulièrement en première ligne pour accueillir ces Arabes qui pourraient prendre le pain de nos musulmans… La victime palestinienne émeut plus les foules que le réfugié syrien.
La question de la place de l’islam en France est également sous-jacente…
Bien vu… L’observation précédente vaut pour l’islam européen qui connaît aujourd’hui une crise d’adaptation aux valeurs et aux mœurs européennes. Et le fait que des gens souffrent n’en fait pas forcément des ingénieurs épris de nos valeurs libérales. Dans les camps de réfugiés en Allemagne, des chrétiens se font molester. La perspective de voir des gens qui cassent la figure à des chrétiens parce qu’ils sont chrétiens devenir nos concitoyens n’est pas forcément enthousiasmante. Les bons sentiments, ça ne nourrit pas, ça n’éduque pas et ça ne donne pas de boulot. Tout cela, on devrait pouvoir le dire sans se faire envoyer à la figure les années trente et autres heures sombres de l’histoire.
A cet égard que pensez-vous des réponses proposées par Pierre Manent. Est-ce le moment de faire des compromis ?
J’avoue que, sur ce point, je suis perplexe. Je comprends le souci de Pierre Manent : cesser de se payer de grands mots et de parler du monde tel qu’il devrait être et sauver ce qui peut l’être en partant de ce qui est. Et par ailleurs, en échange de ces concessions, notamment sur la mixité, il exige un respect absolu de la liberté d’expression, donc, du point de vue religieux, du droit au blasphème. Je crois cependant que les concessions qu’il prône menacent trop notre identité collective. Par exemple, renoncer à l’interdit des signes religieux à l’école, c’est renoncer à l’idée que la laïcité permet à chacun de s’arracher aux traditions de ses pères. Or, justement, la France, pour moi, c’est ce pays où les enfants peuvent échapper à l’emprise de leurs pères sans cesser de les aimer. Revenir sur cette loi de 2004 qui renouvelle à chaque enfant de France, d’où qu’il vienne, la promesse de l’autonomie, c’est renoncer à ce que nous sommes.
Le dernier numéro de Causeur revient également sur les affaires Onfray et Sapir. Dans votre édito, « On ira tous au pilori », vous dénoncez la « chasse aux sorcières » qui s’est instituée à gauche. N’est-ce pas le dernier baroud d’honneur de la pensée unique ?
Désolée, mais cette question de la guerre idéologique sera au sommaire de notre prochain numéro, alors je ne vais pas dévoiler toutes mes batteries ! Ce qui est certain, c’est que les lignes bougent. Résultat : c’est la panique au quartier général ! Onfray, Finkielkraut, Zemmour, Morano, Biraben... Une sorcière chasse l’autre. Le camp du Bien donne le sentiment de tournicoter sur lui-même sans jamais trouver la réponse à la question qui le taraude, question qui n’a d’ailleurs strictement aucun intérêt - qui fait le jeu du Front national ? Incapable de comprendre pourquoi il perd tout crédit dans la population, il répète d’un air indigné que les discours de gauche ne sont plus audibles. Mais pourquoi donc ne le sont-ils plus ? Parce que ces salauds d’électeurs sont devenus sourds en prime ? [...]"
Lire « Au-delà de l’émotion, il faut penser la crise des migrants ».
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