Revue de presse

Élisabeth Badinter : « Tenir le même discours à tous ceux qui placent la loi religieuse avant la loi politique » (la-croix.com , 5 mai 15)

7 mai 2015

"Élisabeth Badinter, philosophe et féministe, estime « absolument nécessaire » la proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs.

Que pensez-vous de la proposition de loi sur la neutralité des crèches et lieux d’accueil des mineurs ?

Élisabeth Badinter : Elle est absolument nécessaire. Il faut compléter une fois pour toutes la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Nous affrontons aujourd’hui un problème nouveau : alors que les pressions religieuses étaient en recul depuis des décennies, que le consensus était parfait, certains affichent des exigences religieuses dans la prise en charge d’enfants à peine nés !

Ceux qui ont voté la loi de 1905 ne pouvaient pas le savoir : l’enseignement religieux n’avait, alors, pas sa place avant l’âge de raison. Et, on l’a vu avec l’affaire Baby Loup, l’adoption d’un règlement intérieur ne suffit pas à garantir la neutralité dans les crèches.

Que des structures confessionnelles soient créées, pourquoi pas, mais alors entièrement privées. Les autres crèches doivent pouvoir revendiquer leur laïcité. Il n’y a pas de raison qu’un tout-petit soit constamment confronté à une religion. À la crèche, on n’a pas de pratique religieuse !

La laïcité est-elle d’abord un dispositif juridique (séparation églises-état), un ensemble de valeurs, une philosophie ou un idéal moral à protéger ?

E.B. : Ce n’est pas une valeur morale mais politique, qui a pour objectif de réunir sous le même toit des enfants de toutes obédiences et de toutes origines : c’est en défendant un minimum de respect de la loi collective que l’on peut vivre en paix. Il y a vingt ans, la kippa n’était portée qu’à partir de la bar-mitzvah et par des adultes lors des prières.

Aujourd’hui, les pressions des religions radicalisées sont très fortes. Toutes ces revendications identitaires signifient : « Je suis avant tout juif – ou musulman – et vous n’avez qu’à vous y faire. » Par l’éducation, il faut apprendre aux enfants la liberté de penser par soi-même, leur montrer que la réflexion ne se réduit pas aux croyances.

Les controverses se concentrent surtout sur la place de la femme. Après la loi de 2004 puis celle sur le voile intégral, faut-il aller plus loin ?

E.B. : Depuis vingt-cinq ans, on a laissé faire. Cela a-t-il arrangé les choses ? Non. Il a fallu la loi de 2004 pour que le mouvement s’arrête à l’école. Après l’affaire de la jupe portée par une élève, je trouverais souhaitable que chacun fasse un effort pour ne pas verser dans l’ostentation, et en l’occurrence dans la provocation.

Faut-il une loi sur les signes religieux à l’université ? Je suis encore en état de réflexion. Je trouve normal que les étudiants, adultes, s’habillent comme ils le veulent, mais je suis sensible aussi à la proposition de certains d’interdire les signes religieux pendant les cours, lorsque le discours scientifique doit être respecté.

J’ai surtout besoin d’informations : est-il exact qu’une ou des universités abrite(nt) une salle de prière ? Il faut qu’une inspection universitaire se penche sur le sujet. Sur le fond, j’avoue mon questionnement, sans réponse, sur le fait qu’en banlieue, en trois ou quatre ans, une majorité de jeunes filles et de femmes aient adopté la tenue religieuse. Que s’est-il passé ? Pourquoi ne résistent-elles pas à ces pressions ? [...]

Comment sortir de ces polémiques à répétition ? L’enseignement du fait religieux est-il la solution ?

E.B. : D’accord pour cet enseignement, mais à condition que l’enseignant puisse avoir une parole libre ! Or, pour une partie des enfants, la parole de l’imam, du rabbin ou des parents l’emportera toujours.

Quant aux polémiques, relayées souvent par les journalistes, elles excitent les tensions. De même que le fait que la communauté musulmane se sente visée, et elle seule : en ce qui me concerne, je pense que le même discours doit être tenu à l’égard de tous ceux qui affirment la primauté de la loi religieuse sur la loi politique, y compris au sein de la communauté juive. Je dénonce depuis longtemps l’attribution de subventions par la mairie de Paris aux écoles et aux crèches loubavitch. Puisque la loi sur les signes religieux à l’école fonctionne, votons celle sur la petite enfance et tenons-nous en là pour l’instant."

Lire Élisabeth Badinter : « Tenir le même discours à tous ceux qui placent la loi religieuse avant la loi politique ».


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