Revue de presse / tribune

Elco : "Une école sans "étrangers"" (A. Seksig, A. Jazouli, G. Chauveau, Le Monde, 7 mars 90)

16 décembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"POUR avoir, depuis près de vingt ans, conçu l’accueil des enfants d’immigrés comme une question qui réclamait un traitement particulier tenant d’abord compte de leur " droit à la différence ", l’institution scolaire française a entretenu une confusion réelle entre ce qui doit, dans ce domaine, relever de mesures spécifiques ou de mesures communes à tous, entre ce que l’Etat peut et doit prendre en charge et ce qui ressort de l’initiative privée.

Dès 1970, l’arrivée massive de jeunes étrangers, notamment dans les grandes agglomérations urbaines, entraine la mise en oeuvre de mesures spécifiques, prises souvent " à titre expérimental " et pérennisées depuis lors.

Vingt ans après, c’est la pertinence d’une " spécialisation " _ des problèmes, des structures, des contenus, des enseignants et de leur formation _ qu’il convient d’interroger. Etait-ce bien la meilleure voie pour préparer l’institution scolaire à prendre en charge des questions délicates et difficiles à résoudre qui la concernent dans son ensemble ? Les problèmes spécifiques auxquels l’école doit faire face sont-ils des problèmes d’" immigration " ou des problèmes généraux d’échec scolaire, c’est-à-dire des problèmes sociaux ?

Si des structures spécifiques pouvaient _ et peuvent encore _ se justifier, notamment pour l’apprentissage du français aux élèves non francophones, elles ne se devaient concevoir que bien chevillées au reste de l’institution. Car tout traitement spécifique d’une question " particulière " par un corps de " spécialistes " ne peut trouver sa cohérence et son efficacité que s’il s’inscrit effectivement dans le cadre général. Faute de quoi, cela ne peut qu’accentuer les effets de marginalisation des populations concernées, la structure, par ailleurs, appelant sans cesse de quoi alimenter et justifier sa spécialisation.

Or, pour l’essentiel, les dispositions prises par le passé pour la scolarité des enfants d’origine étrangère sont demeurées en marge du fonctionnement régulier de l’institution, comme des pièces rapportées, alibi d’une supposée politique d’" insertion " (longtemps le mot " intégration " fut tabou).

La bonne volonté, l’investissement et la qualité des enseignants concernés ne sont pas ici en cause, mais bien le statut particulier de ces structures, censées répondre à des problèmes spécifiques _ ou supposés tels _ d’une partie spécifique _ ou supposée telle _ de la population scolaire.

Disposition singulière entre toutes, les enseignements de langues et cultures d’origine (ELCO) illustrent les ambiguités et contradictions d’une politique spécifique. Pris en charge par huit pays d’origine des immigrés dans le cadre d’accords bilatéraux avec la France [1], initialement conçus dans la perspective du retour des familles immigrées, les ELCO contrarient une politique d’intégration à l’école et ignorent délibérément le projet majoritaire des " enfants de l’immigration ". Renversement d’optique : leur désir d’" insertion dans la société d’origine " qu’évoquent les circulaires officielles est bel et bien devenu celui de l’insertion sociale et du plein exercice de la citoyenneté dans une France qui, pour la plupart d’entre eux, les a vu naitre et grandir.

Des effets discriminants

Réservés aux seuls enfants ressortissants desdits pays, souvent organisés pendant le temps scolaire et privant ainsi ces élèves d’une partie des activités de leur classe, les ELCO marginalisent ceux à qui ils s’adressent. De même, ils dévalorisent l’étude et la pratique des langues concernées en les maintenant dans un statut de " langues d’immigrés-pour immigrés ", au lieu de leur reconnaitre celui de langues de communication internationale, qui est celui d’au moins trois d’entre elles : l’arabe, l’espagnol et le portugais.

Au reste, les parents étrangers perçoivent eux-mêmes les effets discriminants de ces cours et refusent de plus en plus massivement d’y inscrire leurs enfants. La fréquentation des cours est en baisse, sauf en ce qui concerne l’arabe marocain, où elle a plus que doublé cette dernière année. Il est vrai, en l’occurrence, que l’hostilité affichée du roi du Maroc pour une politique d’intégration des immigrés en France ne peut que le conduire à renforcer les dispositifs de contrôle officiel de ses " sujets " !

Ce souci _ légitime _ de nombreux parents de maintenir vivantes leur langue et leur culture chez leurs enfants, il appartient d’abord aux familles elles-mêmes et aux associations _ l’espace privé _ de le satisfaire. C’est d’ailleurs concrètement ce qui se fait déjà, depuis longtemps parfois (arménien, yiddish...), et dans de nombreux cas avec le concours de subventions publiques.

Depuis longtemps, de toutes parts, les ELCO font l’objet de critiques : enseignants, parents, syndicats, associations, parfois même de professeurs de LCO eux-mêmes, et jusqu’aux rapports Berque, Hannoun, Hessel. A la suite des travaux du comité interministériel à l’intégration, le gouvernement parait décidé à revoir cette disposition. C’est heureux, car que signifierait sa reconduction, sinon que, tournant le dos à l’objectif d’intégration, nous ferions, pour les enfants de familles immigrées en France, le choix de l’" assignation à résidence culturelle " ! Il faut réviser les accords bilatéraux et les directives européennes qui ont fondé les ELCO dans un contexte très différent de celui que nous connaissons actuellement.

A l’opposé de la philosophie des enseignements de langue et culture d’origine, l’étude des principales langues des pays du bassin méditerranéen doit être développée dans les collèges et lycées en première et deuxième langue vivante et à l’Université. Les postes d’enseignants doivent être augmentés, dans le cadre institutionnel français.

Un système de " lectorat " pourrait être expérimenté, le développement de sections bilingues encouragé, et la création d’organismes d’échanges culturels mise en chantier, sur le modèle des offices franco-québécois et franco-allemand pour la jeunesse.

Les effets de telles mesures se feraient sentir progressivement, mais il faut les induire sans plus tarder : qui doute un instant que l’assimilation de ces langues et l’appréhension vivante de cultures en mouvement par une partie significative de la jeunesse de France seront, pour le pays tout entier, un atout majeur dans le développement de relations culturelles, économiques et commerciales avec ces différents pays, un facteur d’ouverture et de bonne entente ?

Au carrefour de deux des préoccupations majeures de la société française _ l’école et l’immigration, _ une politique d’intégration à et par l’école doit rompre résolument avec toute approche différencialiste de la question, faire montre d’inventivité et de persévérance, d’une meilleure adaptation des moyens, d’un constant souci de clarté dans les discours comme dans les choix. A fortiori quand ceux qu’elle désigne sont " enfants d’étrangers peut-être ; enfants " étrangers " à lasociété française, assurément non ; et plus assurément encore élèves français en tant qu’élèves de l’école française [2]."

Lire "Une école sans " étrangers "".

[1L’Algérie, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Tunisie, la Turquie et la Yougoslavie.

[2Abdelmalek SAYAD, contribution _ inédite _ au rapport Berque, 1985.


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