Revue de presse

E. Khaldi : "Laïcité, le triomphe de l’équivoque" (Le Monde diplomatique, mars 12)

11 avril 2012

"Le secrétaire de la Congrégation pour l’éducation catholique du Vatican, l’archevêque français Jean-Louis Bruguès, souligne [...] que l’école, « point crucial pour notre mission », pourrait devenir « le seul lieu de contact avec le christianisme ».

L’ecclésiastique conteste même la laïcité comme « principe constitutif de la mission éducative universelle » et juge « agressive » (2) la séparation avec l’Etat, votée en 1905. En 1987 déjà, lors de l’assemblée de l’épiscopat, l’évêque Jean Vilnet déclarait que l’heure lui semblait venue de « travailler avec d’autres à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », permettant à l’Eglise de conquérir de nouveaux privilèges.

Est-ce pour parvenir à cet objectif que l’enseignement catholique devient, à la fin de 2008, un service national de la Conférence des évêques de France ? Jusqu’alors, ce réseau fonctionnait sous la tutelle d’une commission informelle encadrée par un évêque (3). Désormais, il dépend directement de l’Eglise. La révision prochaine de ses statuts confirmera ce verrouillage ecclésial des établissements sous contrat, en institutionnalisant la place du directeur diocésain auprès des collectivités publiques. [...]

La mise en œuvre de cette stratégie se fait par des transgressions incessantes, souvent passées inaperçues. On exerce un chantage à la guerre scolaire afin d’obtenir toujours plus de financements publics pour le privé, au nom d’un traitement à « parité », mais sans que le privé, au nom de sa « liberté », soit astreint aux charges et obligations du secteur public. C’est ainsi que les accords Lang-Cloupet (6) alignent la formation des maîtres du privé sur ceux du public, sans accroître les obligations d’intérêt général des premiers.

Rien qu’au cours de ces derniers mois ont été concédés : un plan banlieue qui favorise le privé pour mieux concurrencer le service public (comme à Sartrouville, où un lycée privé Jean-Paul-II a ouvert grâce à des fonds publics) ; la loi Carle, qui oblige les municipalités à financer des écoles privées d’autres communes si leurs résidents ont choisi d’y scolariser leurs enfants ; les jardins d’éveil confessionnels — la mairie de Paris subventionne quatorze crèches Loubavitch — ; des fondations catholiques pour défiscaliser les investissements d’écoles privées.

Des centaines de millions d’euros publics ont ainsi été versés au privé. En 2011, le conseil régional d’Ile-de-France a augmenté de 19 millions d’euros (soit + 44 %) la subvention de fonctionnement, et verse 10 millions de crédits facultatifs d’investissement (sans compter les aides diverses) à l’enseignement confessionnel. Cela donne raison au conseiller d’Etat Olivier Schrameck qui proclamait la « fin de la laïcité fiscale » lors du vote de la loi du 23 juillet 1987 (7) qui instaure, par un discret amendement, la déduction fiscale pour les dons aux Eglises.

L’offre d’éducation catholique vise, avec les moyens de la puissance publique, de nouvelles cibles, des jardins d’éveil à l’enseignement supérieur. Ses promoteurs veulent mettre en œuvre « un contrat global et unique entre le ministère et le secrétariat général de l’enseignement catholique pour toutes les écoles », avec un objectif affiché : « Cela maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les mettrait franchement en concurrence (8). »

De nouveaux champs de bataille s’ouvrent en permanence, et ce dans un silence religieux, organisé à droite afin de mieux masquer le démantèlement de l’éducation nationale et aidé à gauche par une atonie frisant la complaisance. En outre, les organisations internationales contribuent également à remettre en cause le principe de laïcité. Il en est ainsi du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, laquelle, au travers du traité de Lisbonne (article 16C), signé le 13 décembre 2007, hisse les Eglises au rang de partenaires privilégiés de la Commission : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises et organisations. »

La question scolaire préfigure une politique construite sur la reconnaissance institutionnelle des confessions, encourageant une structuration communautaire de la société. Avant d’enchaîner les déclarations hostiles aux musulmans, le ministre de l’intérieur, M. Claude Guéant, proposait un code de la laïcité construit autour de la « liberté religieuse » (9).

L’essor de l’islam et la conscience des discriminations qu’il subit par rapport aux autres religions conduisent par ailleurs la gauche à assouplir les règles de la laïcité en multipliant les « accommodements raisonnables » à la loi de 1905. A mesure qu’elle abandonne le terrain des luttes sociales, celle-ci se laisse en effet gagner par les discours privilégiant les particularismes, le « caractère propre » confessionnel, oubliant ainsi le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Les religions plus anciennement établies en France, en perte de vitesse, n’attendent que ces concessions pour faire réviser leur rapport à l’Etat et favoriser un remariage.

Au final, les revendications d’un islam souvent discriminé servent d’écran de fumée à une puissance publique oublieuse du communautarisme de l’école catholique ; des déclarations conjoncturelles et trompeuses brouillent les véritables enjeux."

(2) Jean-Louis Bruguès, « Laicità alla francese », Osservatore Romano, 26 décembre 2011.

(3) La commission épiscopale du monde scolaire et universitaire (Cemsu).

(6) Protocole entre le ministre d’Etat Jack Lang et l’enseignement catholique sous contrat, représenté par son secrétaire général, M. Max Cloupet, 15 juin 1992.

(7) Olivier Schrameck, « La fin de la laïcité fiscale », Actualité juridique du droit administratif, Paris, 22 juin 1989.

(8) AFP, 8 janvier 2002.

(9) Laïcité et liberté religieuse. Recueil de textes et de jurisprudence, Les Editions des journaux officiels, Paris, 2011."

Lire "Laïcité, le triomphe de l’équivoque".


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