Revue de presse

"Droitisation : juste une illusion ?" (Marianne, 25 juin 21)

3 janvier 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

JPEG - 58.9 ko

"[...] Au-delà de l’arithmétique sondagière, plusieurs essayistes ont conceptualisé cette tendance de fond qui verrait les thèses de la droite devenir hégémoniques. Dans son livre La guerre à droite aura bien lieu (éd. Desclée de Brouwer), l’historien du droit Guillaume Bernard théorise le « mouvement dextrogyre » qui fait écho au « mouvement sinistrogyre » élaboré par l’intellectuel Albert Thibaudet en 1932. D’après Thibaudet, ce mouvement voyait les forces politiques être repoussées de plus en plus vers la droite en raison de l’apparition d’idées situées encore plus à leur gauche. Exemple le plus parlant, les républicains radicaux français. Leur programme (suffrage universel, impôt sur le revenu, laïcité de l’État) les a initialement classés à l’extrême gauche au XIXe siècle, avant qu’ils deviennent un sage parti centriste sous le double effet de l’application de leurs mesures et de l’apparition du marxisme.

D’après Guillaume Bernard, donc, « la dynamique s’est inversée à partir des années 1990 », et « c’est désormais par la droite que viennent l’innovation idéologique et la pression politique ». Le socialisme d’un Jean-Luc Mélenchon, considéré par beaucoup comme extrémiste, est ainsi semblable en de nombreux points au programme de François Mitterrand en 1981, cependant que certaines idées radicales de la droite gagnent les faveurs de l’opinion publique. De son côté, l’historien des idées François Cusset faisait même en 2016 le constat d’une « droitisation du monde » caractérisée par un retournement complet des valeurs et représentations collectives, « la privatisation de tous les secteurs de la société » et une « individualisation des modes de vie ». [...]

Première objection : décréter que la société part à droite revient à considérer qu’une lecture gauche-droite est pertinente et incontournable. « Si l’on demande aux gens de se situer sur un axe, ils le font, mais ça ne définit pas forcément leur positionnement dans la vie sociale, développe le sondeur Jérôme Sainte-Marie. On impose un prisme, une échelle gauche-droite. D’autant que, lorsque les personnes interrogées se placent sur une échelle de 1 à 10, cela ne dit rien de la valeur symbolique du signifiant “droite” ou “gauche”. Pour que la droitisation ait un sens, il faudrait que le mot “droite” ait une valeur. » Or rien n’est moins sûr : le combat final de la dernière élection présidentielle a vu s’opposer deux candidats qui rejetaient explicitement le clivage gauche-droite.

Poser ce constat revient en réalité à contester la pertinence inextinguible du clivage gauche-droite. Cependant, non seulement celui-ci s’essouffle, mais il n’a cessé de se transformer au fil du temps. Théoriser une « droitisation » de la société reviendrait à figer les idées de droite ou de gauche dans le marbre, ce qui constitue un non-sens historique. « On peut dire avec précision que quelqu’un est marxiste ou libéral, car il existe des textes de référence, explique Jérôme Sainte-Marie. Mais les notions de gauche ou de droite sont totalement plastiques : elles sont relatives à l’époque, à ses enjeux, aux forces politiques en place… » Au XIXe siècle, la question du régime (république ou monarchie ?) scindait les deux camps ; puis ce fut la place de la religion dans la société (laïcité ou mainmise du catholicisme ?), la politique économique (socialisme ou capitalisme ?), les mœurs (progressisme ou conservatisme ?)… L’historien spécialiste de la droite René Rémond résumait ce processus dans La politique est-elle intelligible ? (éd. Complexe), en 1999 : « Droite et gauche ne sont pas des idées éternelles ; il n’y a pas d’essence de la droite et de la gauche. Il est donc vain de chercher une définition indépendante des temps et des situations historiques. Droite et gauche sont des réalités inscrites dans l’histoire, et à ce titre relatives. »

Aujourd’hui, le clivage semble brouillé. D’abord par l’effondrement des deux matrices sociales qui le structuraient : la montée des classes moyennes et la fragmentation de la classe ouvrière ont brisé l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat ; la chute du christianisme a largement évacué la lutte entre réaction et modernité. C’est ensuite la politique menée par les divers gouvernements qui a entretenu la confusion, notamment depuis l’essor de la construction européenne : les privatisations décidées par le gouvernement Jospin, la loi Travail mise en place par François Hollande, était-ce « de gauche » ? Voilà peut-être pourquoi, aux yeux des citoyens, le clivage s’érode considérablement : l’enquête de l’Ipsos montre que 71 % des Français jugent « dépassées » les notions de droite et de gauche. Lorsqu’on leur propose plusieurs qualificatifs pour se définir politiquement, 31 % répondent en premier qu’ils sont « un homme ou une femme du peuple » seulement 16 % disant être « de droite ». [...]"

Lire "La droitisation de la France n’est-elle qu’une illusion ?"


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales