par Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 22 avril 2019
Lorsqu’un sentiment national s’exprime sur un mode heureux, comme lors de la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde de football de 2018, ou sur un mode attristé, à propos de l’incendie de Notre-Dame de Paris, il est toujours des extrémistes pour tenter de salir ou de pervertir ces moments d’unité, au nom de leurs petits intérêts mesquins de diviseurs de la Nation. Pensons aux indigénistes niant eux-mêmes, comme l’extrême-droite la plus rance, l’identité française des joueurs parce que beaucoup étaient noirs, pourtant tous nés en France sauf un (autant que je me souvienne) et tous formés par les centres de formation des clubs français, tous chantant la Marseillaise et criant "Vive la France, vive la République !". Pensons aux mêmes et à cette vice-présidente de l’UNEF qui crache sa haine et son venin sur son pays qui lui donne une liberté de parole unique et sur l’Université gratuite qui lui permet de faire tant de fautes d’orthographe...
Mais ces "exagérés" comme on les aurait appelés sous le Directoire, ne sont qu’une minorité malfaisante.
Plus préoccupant à mon avis, même si la musique jouée est moins tonitruante, est le concert des voix qui se sont élevées immédiatement, le soir-même de l’incendie de la cathédrale pour se jeter dans la brèche et tenter de nous "refourguer" la pseudo-évidence des racines chrétiennes de la France.
Il ne viendrait bien sûr à aucune personne sensée l’idée de nier l’importance de l’empreinte catholique sur la France.
Mais "LES racines catholiques ou chrétiennes" de la France sont une double imposture.
Tout est faux dans cette expression. Les peuples n’ont pas de racines, ils ont une histoire, qui les constitue et les institue.
Et peut-être peut-on voir dans la richesse et l’importance de l’histoire de France l’une des principales raisons de la réticence de ce peuple à se fondre dans le grand tout du consumérisme post-politique que lui propose le monde contemporain.
Et cette histoire, si elle est chrétienne, est aussi bien d’autres choses.
Comme pour toute l’Europe, mais en particulier la France, elle est d’abord grecque, puisque c’est grâce à la civilisation grecque transmise par les Romains que nous savons penser rationnellement, philosopher, construire une recherche scientifique, être des citoyens. Comme l’a dit Jean-Luc Godard, si l’on rendait 1 euro à la Grèce chaque fois que l’on prononce le mot "donc", les problèmes de ce pays seraient vite résolus...
L’histoire de France est ensuite romaine. La romanisation du territoire fut totale et dura des siècles, du sud au nord. Nous devons à Rome notre langue et les fondements de notre droit. Rien que ça !
Nous sommes encore inspirés par le judaïsme, présent sur notre sol depuis toujours et qui a ensemencé profondément la pensée médiévale, en progressant depuis la Méditerranée vers le nord-est par le sillon rhodanien, pour enrichir par sa réflexion et son commerce toute la Champagne, la Lorraine et l’Alsace, mais aussi, à partir de la fin du Moyen-Âge, l’Aquitaine et le Comtat.
Nous sommes marqués, en particulier dans le Languedoc-Roussillon, par le voisinage hispanique de sept siècles d’islam, qui, parfois et sur des périodes assez longues, s’installa sur les terres françaises et qui transmit une partie de la pensée grecque oubliée.
Nous avons hérité des Francs et autres Goths qui ont formé la première noblesse d’épée de ce pays des structures de pouvoir en partie germaniques et une langue qui est "la plus germanique des langues latines et la plus latine des langues germaniques".
Nous sommes les enfants de l’ère moderne, qui a débuté avec l’affirmation de la Réforme et s’est épanouie contre la religion catholique, qui a dû à son tour s’y adapter. L’individu autonome, rationnel et citoyen s’est construit en trois siècles, du XVIe au XVIIIe, pour culminer dans les Lumières de la raison, syncrétisme et dépassement de toutes les sources que j’ai citées ci-dessus.
Et les Lumières dont les plus acharnés des extrémistes identitaires voudraient nous faire sortir pour revenir soit à la race blanche, soit à la tribu, nous ont donné ce moment universel de la Révolution française, qui a eu et garde pour objectif de nous unir dans l’idéal de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.
Depuis 230 ans, les Français se sont éloignés des religions et, malgré les éruptions intégristes et fanatiques, continuent à le faire.
La France a une histoire d’une incroyable richesse et d’une inestimable influence sur le monde, faite de beaucoup de Grèce, de Rome, de chrétienté puis de catholicisme, d’un peu de judaïsme, d’une pincée d’islam, d’énormément de pensée des Lumières, de Révolution universaliste et de laïcité.
Il faut sans cesse combattre cette tentative de réduire la République française du XXIe siècle à un passé univoque, qui même au temps le plus triomphant du catholicisme dans ce pays, est largement fantasmé.
Les arbres ont des racines et des branches… Les Hommes ont des pieds et des idées.
Comité Laïcité République
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