Revue de presse

"Des intellectuels de droite et de gauche entrent en résistance contre l’Europe de la « pensée unique »" (Le Monde, 30 sept. 98)

12 mai 2009

"Deux jours durant, à Semur-en-Auxois, les adhérents de la Fondation Marc-Bloch se sont réunis en université d’été. Créée en mars, cette fondation rassemble des intellectuels et des hommes politiques de droite et de gauche, des gaullistes aux chevènementistes, hostiles au traité de Maastricht. Unis dans un même rejet de la « pensée unique », ils restent divisés sur les enjeux de tactique électorale.

Par Ariane Chemin

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Sans aucun doute, c’est la plus « intello » des universités d’été. La plus studieuse aussi : tous les participants sont dans la salle, personne ne prend le frais ou le soleil. Des cartables des militants tous masculins ou presque dépassent le Financial Times ou la Frankfurter Allgemeine Zeitung, seuls capables de raconter la crise du capitalisme en temps réel et sans mentir. Quand un intervenant hésite sur le cours du dollar, la salle vole à son secours, quand un autre trébuche sur une citation du « général », il y a toujours quelqu’un pour lui rafraîchir la mémoire. C’est que l’on n’est pas, ici, dans un parti politique : les 26 et 27 septembre, à Semur-en-Auxois, s’est tenue la première rencontre nationale de la Fondation Marc-Bloch.

Depuis sa création, le 2 mars, Marc-Bloch compte deux cent cinquante adhérents. Comme la Fondation Saint-Simon, elle produit des « notes », dont la sobre couverture grise répond ton sur ton à celle, vert olive, de sa rivale. La première, Du traité d’Amsterdam, est signée par l’économiste libéral Joseph Pini et le séguiniste Gérard Lafay. Fin octobre, Régis Debray ouvrira un cycle de conférences « La République entre le glaive et le code » , avant Marc Vilbenoît, patron de la CFE-CGC, et un journaliste du Monde diplomatique, Serge Halimi.

Ici, on salue Didier Motchane, secrétaire national du Mouvement des citoyens, on croise les dirigeants de Demain la France, le mouvement de Charles Pasqua, après le philosophe communiste Arnaud Spire. L’ex-commissaire au Plan Henri Guaino raconte son périple automnal, du forum de Demain la France dont il est membre à la fête de L’Humanité, en passant par l’université de rentrée de Philippe de Villiers. Jérôme Guedj (Gauche socialiste) distribue les pin’s-drapeaux tricolores du conseil général de l’Essonne, Patrick Kessel, la lettre franc-maçonne de son Comité Laïcité République. Avertis par Marianne, l’hedomadaire de Jean-François Kahn dont Philippe Cohen, initiateur de la fondation, dirige le service économique , des adhérents sont venus de tout l’Hexagone : « fonctionnaire », « commerçant », « chômeur », déclinent-ils au micro. Il y a même un « général ».

Ici, on n’est pas sûr que « le titre de réactionnaire soit si honteux ». L’historien Edouard Husson et l’essayiste Paul-Marie Coûteaux démontent la « pensée unique des relations franco-allemandes » et raillent Alfred Grosser, obsédé par « la bluette et l’amour du couple ». « L’Europe fera la politique du grand-duché du Luxembourg », prédit l’ancien président de l’Institut national d’études démographiques Jean-Claude Barreau. Tous rient de l’argument « euro-Maginot » de Dominique Strauss-Kahn : la monnaie unique « ne va pas nous protéger contre la crise mondiale », explique Emmanuel Todd. Et le démographe de déplorer « la campagne des médias de la pensée zéro autour du petit phénomène de reprise » du printemps 1997, qui a permis à la gauche « de se construire un discours économique » à peu de frais. Les tenants du franc faible ont eu raison trop tôt : « Les mêmes crétins diplômés qui nous expliquaient que le salut était dans la demande asiatique nous assurent aujourd’hui qu’il est dans la demande intérieure... »

Les repas sonnent la récréation et les futilités électorales. « Alors ? Et Pasqua ? », vient-on s’enquérir à la table des gaullistes de droite. On partage le fromage à celle du « MDC » : « Avec qui allez-vous vous présenter ? » Henri Guaino rêve d’une liste d’intellectuels antimaastrichtiens où il côtoierait les écrivains Max Gallo ou Denis Tillinac. Au micro, Philippe Cohen pose la question taboue : la « tentation » de se présenter ne se pose-t-elle pas à une fondation « mordue à la nuque par la crise de la politique » ? William Abitbol, président de Demain la France, acquiesce. Jérôme Guedj le prévient : « Un océan nous sépare. Je crois encore au clivage droite-gauche. »

D’ici à juin 1999, de toute façon, « tout peut arriver ». Y compris le meilleur, c’est-à-dire les ravages de l’euro. Ce n’est pas un hasard si, à Semur, Henri Guaino s’attache à « relire » le programme du Conseil national de la Résistance. « Il a fallu l’occupation nazie pour que se dégage une nouvelle élite », ajoute Philippe Cohen. Placée sous le parrainage de l’auteur de L’Etrange Défaite de 1940, la fondation n’a pas peur des parallèles audacieux. « L’histoire est moins difficile à intimider que les hommes politiques », juge Emmanuel Todd."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Chasse aux “nouveaux réacs” dans la rubrique Liberté d’expression (note du CLR).


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