Revue de presse

"Des écoles hors contrat musulmanes dans le viseur des autorités" (la-croix.com , 7 déc. 20)

8 décembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La future loi contre le « séparatisme » permettra aux autorités de fermer administrativement des établissements hors contrat manquant à leurs obligations. Les écoles musulmanes, dont les effectifs ont presque doublé en trois ans, s’estiment injustement visées.

Denis Peiron

Elles scolarisent 85 000 enfants sur 12 millions mais font l’objet d’une attention grandissante. Les écoles hors contrat – des établissements privés dont les enseignants ne sont pas rémunérés par l’État et jouissent, en retour, d’une plus grande liberté – sont au cœur de plusieurs articles du projet de loi confortant les principes républicains.

Surnommé « loi contre le séparatisme », ce texte sera présenté en conseil des ministres le mercredi 9 décembre, en pleine journée de la laïcité. Il ne touche pas au régime d’ouverture des écoles hors contrat : il suffit toujours, pour créer un tel établissement, d’une déclaration aux autorités compétentes. En revanche, le projet de loi ouvre la possibilité aux autorités préfectorales et académiques de fermer administrativement une école, sans saisir le procureur, en cas de dérives et de manquements graves et réitérés à la réglementation (risques pour l’ordre public, la santé, la sécurité physique ou morale des élèves, ou encore insuffisance de l’enseignement, non conforme aux objectifs de l’instruction obligatoire ou ne permettant pas l’acquisition progressive du socle commun).

Cette disposition est assortie de sanctions, notamment jusqu’à un an d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si le directeur ou le responsable légal de l’école ne procède pas ou fait obstruction à une fermeture décidée administrativement.

En renforçant son arsenal, deux ans après la loi Gatel qui harmonisait et durcissait les conditions d’ouverture des écoles hors contrat tout en facilitant leur contrôle, l’État veut sortir d’une situation qui confine souvent à l’impuissance lorsqu’un établissement multiplie les recours en justice. Ces deux dernières années, l’État n’a pu obtenir que deux fermetures d’écoles hors contrat. Et encore, précise le ministère de l’éducation, l’une, fermée pour des raisons pédagogiques, était réapparue sous un autre nom, qui a fait à son tour l’objet de fermetures temporaires. Dans l’autre cas, c’est la décision prise par les autorités de faire scolariser d’office les élèves dans un autre établissement qui a entraîné la faillite et donc la fermeture de l’école. Le ministère se garde cependant de préciser combien d’autres auraient mérité, selon lui, d’être fermées.

Ces dernières années, l’État a aussi voire surtout été confronté à l’existence d’écoles clandestines, par définition pas inspectées. Des écoles « de fait », comme les nomme parfois Jean-Michel Blanquer. « On trouve des familles qui ont opté pour une instruction à domicile [solution à l’avenir interdite, sauf exception, NDLR] mais qui, n’y arrivant pas, demandent collectivement à un adulte de leur entourage ou à une association cultuelle ou culturelle, d’assurer cet enseignement », indique Anne Coffinier, présidente de Créer son école, association qui promeut la « liberté scolaire ».

En deux ans, seules deux « écoles » de ce type ont été démantelées, l’une laïque, l’autre musulmane, en invoquant dans ce dernier cas des problèmes d’hygiène. Là encore, la future loi permettra de recourir à une fermeture administrative.

Implicitement, la nouvelle législation vise avant tout certains établissements musulmans. « Quand ils sont clandestins, ils opèrent souvent un mélange problématique entre école et école coranique », estime Didier Leschi, haut fonctionnaire spécialiste des cultes et de la laïcité. « Quant aux écoles hors contrat dûment déclarées, parfois créées avec le soutien d’un État, la Turquie par exemple, elles peuvent aussi relever du séparatisme. Car même si beaucoup suivent les programmes de l’éducation nationale [elles n’y sont pas tenues, NDLR], elles promeuvent l’entre-soi », considère celui qui dirige aujourd’hui l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Un « entre-soi » souvent inhérent au hors contrat, contextualise Bruno Poucet, professeur en sciences de l’éducation. « Le refus de toute mixité sociale, religieuse ou ethnique fait partie de ses fonctions, parallèlement à la promotion de pédagogies alternatives et à la prise en charge d’élèves en échec. » Comme le constate Didier Leschi, « sur fond de défiance vis-à-vis de l’école publique, de nombreuses familles expriment une demande d’écoles à caractère propre musulman, avec l’idée que les enfants y seront mieux tenus, les filles mieux respectées ». Les chiffres sont éloquents : en 2019, les établissements hors contrat musulmans – au nombre de 91 - accueillaient 9 000 élèves, contre 4 800 trois ans plus tôt.

Des écoles qui sont cependant majoritairement en quête de reconnaissance et de financements publics, si l’on en croit Makhlouf Mamèche : « Beaucoup de ces écoles veulent passer sous contrat, comme l’ont déjà fait entièrement trois de nos établissements à Lille, Marseille et Lyon », assure le président de la Fédération nationale de l’enseignement musulman. « Aucune de nos écoles ne prêche contre la République. Le séparatisme vient de l’État, quand il empêche nos établissements de passer sous contrat », tonne l’ancien vice-président de l’Union des organisations islamiques de France.

« Ici, nous enseignons le socle commun », affirme pour sa part Sabar Kabbouchi, directeur de l’ensemble scolaire Ibn-Badis, à Nanterre (Hauts-de-Seine), créé en 2015 sous l’égide d’un institut qui compte aussi une mosquée et un pôle social (maraude, distribution de paniers repas, etc.). « Nos 215 élèves, du primaire à la terminale, travaillent en français et apprennent en plus dès le CP l’anglais et l’arabe, suivi en langue vivante 2 à partir de la 6e. » De même, « pas de contrainte » en matière religieuse : « Ceux qui veulent prier, prient, les autres pas. Celles qui veulent porter le voile le portent (et elles sont minoritaires jusqu’en 4e), les autres pas. » Et ce chef d’établissement de déplorer : « Certains abusent des libertés qui nous sont données mais là, c’est comme si on sanctionnait toute la classe parce qu’un élève a triché. »

« Les écoles musulmanes sont toutes communautaristes au sens où elles veulent transmettre une identité, mais elles ne sont pas toutes radicales, loin de là, analyse Anne Coffinier. En les pointant du doigt collectivement, on leur donne le sentiment de les traquer. » Une « stigmatisation » qui, estime-t-elle, jette plus largement la suspicion sur l’ensemble du hors contrat, constitué pour un tiers à peine d’écoles confessionnelles, lesquelles sont pour moitié catholiques.

Les écoles hors contrat, une réalité très diverse

L’enseignement privé hors contrat regroupe près de 1 700 établissements (980 écoles et 700 collèges et lycées).

85 000 élèves y sont scolarisés, 50 000 dans le premier degré et près de 35 000 dans le secondaire.

Un tiers des établissements sont de nature confessionnelle (catholiques pour la moitié d’entre eux), un tiers concerne des écoles aux pédagogies alternatives, le dernier tiers étant constitué d’écoles laïques à la pédagogie « classique »."

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Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Loi "Principes de la République" : instruction dans Loi "Principes de la République" (2020-21) (note du CLR).


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