Tribune libre

Décomplexer la parole laïque (K. Slougui)

Khaled Slougui, président de l’association Turquoise Freedom. 3 décembre 2015

Les évènements récents au niveau national nous rappellent que la problématique de la radicalisation religieuse se pose désormais avec acuité, dans la mesure où elle repose le problème du vivre ensemble dans des termes nouveaux.

Aussi, ils nous interpellent sur la sous-estimation des islamistes à remettre en cause le système des valeurs sur lequel fonctionne la société.

Le traitement d’une question aussi complexe, aussi sensible que la radicalisation religieuse ne saurait consister à répondre aux intégristes de toutes les religions et notamment aujourd’hui les islamistes sur leur registre uniquement, le théologique.

L’enjeu est de réaffirmer le primat selon lequel la société n’est pas condamnée à l’enfermement dans les thèses islamistes et l’agenda qu’ils imposent.

L’alternative existe : produire et réhabiliter un contre-discours qui fissure et démystifie le discours intégriste, et introduit, ce faisant, des failles dans la stratégie d’endoctrinement.
L’accent doit être mis sur la compréhension du principe de laïcité mis à mal par l’interférence grandissante du religieux dans tous les domaines de la vie quotidienne.

L’Etat, face à cette situation, a réagi par la mise en place d’un arsenal répressif qu’il est en train d’affiner et de renforcer.

Qu’il soit clair, comme président d’une association d’aide aux victimes de l’islam radical, je ne me plaindrai jamais de trop de fermeté ou de trop d’autorité de la part de l’Etat. Ce sont les déficiences dans ce domaine qui ont galvanisé les islamistes.

La peur doit changer de camp et l’impunité, l’état de grâce, doivent cesser pour les intégristes et leurs adeptes ; il n’est que grand temps de les neutraliser, de les mettre hors d’état de nuire, dans le cadre de la loi, bien entendu.

Si, de l’avis de tous les observateurs, cette réponse est nécessaire, elle n’est pas suffisante. L’Etat ne peut plus faire l’économie d’une politique de prévention conséquente et efficace qui ferait intervenir tous les acteurs de la socialisation.

Souvent, c’est d’une réinsertion, voire d’une resocialisation que les jeunes radicalisés ont besoin. Il ne faut surtout pas donner raison aux oiseaux de mauvais augure animés par un défaitisme de mauvais aloi (les "ratés de l’intégration"). J.-P.Chevènement a raison, il n’y a pas d’autre solution que de remettre en marche la machine à intégrer. D’autant qu’elle a déjà bien fonctionné par le passé. Parfois, il faut savoir réhabiliter ce passé.

Mais, eu égard aux coups de boutoir que subit la république, et qui traduisent une volonté implicite de remise en cause de ses principes et des droits de l’homme, il ne saurait y avoir de prévention sans une éducation à la laïcité et la mise en œuvre d’une véritable pédagogie qui fait la part entre ce qu’est la laïcité et ce qu’elle n’est pas. Ce faisant, il importe de décomplexer la parole laïque en la portant haut et fort, partout.

Une telle démarche est rendue plus que jamais incontournable par la nécessité de démystifier le discours des islamistes et de leurs complices qui se recrutent un peu partout ; il est important de faire intégrer l’idée que même s’il peut faire illusion auprès de publics non avertis, il suffit de gratter un peu pour se rendre compte que derrière le vernis religieux il n’y a ni consistance, ni pertinence ; c’est un discours fumeux, d’un autre âge et destiné à des victimes dont l’intelligence a été mise en jachère. Le mal, c’est l’absence de pensée, nous sussurait la lumineuse Anna Harendt.

C’est quoi la laïcité ?

C’est d’abord un principe juridique et politique d’organisation des institutions (séparation des pouvoirs et état de droit).

D’où la nécessité, face aux revendications des islamistes, de mettre en avant l’argument de la loi, toute la loi, rien que la loi ; c’est sur ce terrain qu’il faut les affronter et les combattre, j’allais dire les mettre à nu…

Ce principe illustre la séparation de l’église et de l’état, que revendiquait déjà fortement et fermement Victor Hugo en 1850 « En un mot, je veux, je le répète, comme le voulaient nos pères, l’église chez elle et l’état chez lui ».

C’est de ce principe cardinal que découlent les notions de sphère publique, sphère privée, supériorité de la loi sur la religion, neutralité de l’état, liberté de culte et de conscience…

Mais réduire la laïcité à la séparation du culte et de l’état, c’est l’appauvrir.

En réalité, sa signification est de beaucoup plus profonde et sa portée universelle.

« En réalité, l’humanisme laïc est au cœur de la modernité. Sans cette nécessaire et féconde discrimination entre le temporel et le spirituel, le politique et le religieux, le sacré et le profane, la science en serait restée à ce qu’elle était au temps de l’inquisition, c’est à dire dans un état marginal et subordonné.
La raison n’aurait pas imposé son magistère ; il n’y aurait pas eu de pensée sociale indépendante ; la société aurait peu évolué et les théologiens auraient continué de légiférer pour elle.
La scission du spirituel et du temporel est un concept moderne qui est né non d’une désaffection du spirituel à l’égard du temporel, mais d’une vraie émancipation du temporel vis-à-vis du spirituel.
Donc, l’initiative ne vient pas de la religion mais de l’histoire qui se fait, des progrès qui s’accumulent, des nouvelles forces qui montent, le tout contribuant à la réhabilitation de la dimension temporelle et à sa promotion à une dignité inégalée » (Redha Malek) [1].

Mais gardons-nous de considérer, à l’image des islamistes et de leurs soutiens, que la laïcité est un idéal négatif de ressentiment ou d’hostilité vis-à-vis de la religion (Henri Pena-Ruiz)…
Elle incarne, au contraire, un idéal positif de liberté de conscience, de culte et d’égalité.
A ce titre, elle ne saurait signifier abandon de la religiosité ou mise au rancart de la foi.

Que faire ?

A l’évidence, déconstruire le discours fondamentaliste en discréditant le logiciel qui le fonde s’avère être désormais une opération de salubrité publique. Comme l’ont exprimé la majorité de ceux qui ont travaillé sur la prévention de la radicalisation, il s’agit d’ôter l’argument « islam » aux islamistes. Personne n’a de légitimité pour prendre en otage le Coran et du coup les croyants qui s’y reconnaissent.

Pour ce faire, il semble utile, voire pertinent de rappeler trois postulats érigés en blasphèmes, en interdits même, par ceux qui ont adopté définitivement la complaisance vis-à-vis de l’islam radical :

  • L’ "islamophobie" est une invention des obscurantistes et des ténébreux, relayée par des intellectuels semi-habiles qui confondent le moment où il faut lutter contre les stigmatisations et l’amalgame faciles et celui où la raison doit retrouver son autorité sur la subjectivité et où l’on doit réaliser que ce concept n’est ni plus ni moins que l’expression de la parade que les islamistes ont trouvée en s’appuyant sur une victimisation à outrance. La xénophobie est de leur côté, car c’est le ton sur lequel ils défendent leur foi.
    Cette invention a eu pour conséquence immédiate au niveau de l’état l’émergence d’une conception paralysante de la laïcité, dont on n’a certainement pas fini de mesurer les dégâts.
    Ne soyons plus terrorisés à l’idée de critiquer ce qui peut relever de près ou de loin de l’islamisme.
  • L’islamisme est un anti humanisme, car il s’attaque à tout ce qu’il y a de plus précieux chez l’Homme, la liberté. Aussi, il n’est pas l’islam, il est contre l’islam ; il en constitue une défiguration et un dévoiement.
    Le grand juriste et spécialiste égyptien Muhammad Said Al Ashmawy affirme « Dieu voulait que l’islam fût une religion, les fondamentalistes ont voulu en faire une politique » [2]
    Mohammed Arkoun quant à lui nous précise : « Pour les intégristes, l’islam est refuge, repaire et tremplin ; ils lui assignent des fonctions nouvelles, areligieuses, voire antispirituelles » [3].
    D’un discours ouvert à l’origine, Le Coran, ils ont fait un discours fermé (d’où la notion de clôture dogmatique).
  • La distinction au sein des islamistes entre modérés et extrémistes est une ineptie, j’ose utiliser le terme d’hérésie. En réalité, il y a le musulman, citoyen normal, dont la foi se suffit à elle-même et qui n’a rien à prouver à qui que ce soit. La pudeur fait partie de la foi dit un célèbre hadith du prophète. Et il y a les activistes, ceux qui prêchent l’islam de combat et qui sont dans la politisation et l’idéologisation de la religion.

Ceux qui ne sont pas dans une logique de violence sont peut être plus dangereux, car leur stratégie est de travailler le corps social et de remettre en cause par petites touches les valeurs de la république (il ne saurait y avoir d’autre constitution que le Coran) et les droits de l’homme sont purement et simplement rejetés en bloc (car Kufr ou mécréance). Ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est que ce ne sont pas de simples usagers qui portent atteinte à la laïcité, ce sont des professionnels qui agissent de façon déterminée et délibérée là où ils interviennent (enseignants, médecins, éducateurs, avocats…).

La stratégie des islamistes use et abuse de l’entrisme à grande échelle, et pour les contrer efficacement l’Etat gagnerait à déployer une vigilance à toute épreuve.

Et si l’on restait sur les positions du grand Jacques Berque ? « Je revendique une lecture rationaliste du Coran ». Reprenant le penseur pakistanais Mohammed Iqbal, il souligne que l’islam est une religion du Yusr (libre cours, selon sa traduction), et il cite aussitôt un hadith du prophète : « Pour peu que tu n’éprouves pas de honte, agis à ta guise » [4]

Avouons ! Nous sommes très loin de l’hystérie islamiste des interdits.

Averroes (Ibn Rouchd), il y a neuf siècles, a posé les termes d’un débat qui reste d’une fraicheur insoupçonnable :
« La vérité n’a pas à craindre la vérité, elle doit s’accorder avec elle et témoigner en sa faveur. »
Qu’est ce à dire pour nous ici et maintenant ? Simplement que l’islam est vérité pour ceux qui y croient, mais il est une autre vérité qui le surplombe, la République ; par conséquent, il est sommé de s’accorder avec elle et de témoigner pour elle.

Voilà pourquoi il n’a d’autre choix que de réhabiliter la raison et de s’inscrire résolument dans la modernité.

Khaled SLOUGUI,
président de l’association Turquoise Freedom.

[1Redha Malek, Tradition et révolution, le véritable enjeu, 1991.

[2Muhammad Al Ashmawy, L’islamisme contre l’islam, 1990.

[3Mohammed Arkoun, Ouvertures sur l’islam, 1989.

[4Jacques Berque, L’islam au défi, 1980.



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales