Elections 2022

De l’idéal républicain à des choix extrêmes, un danger qui dépasse l’élection présidentielle (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, vice-président du Comité Laïcité République. 21 avril 2022

L’insertion de la préférence nationale dans notre constitution, proposition du RN, aurait pour conséquence la remise en cause du critère d’égalité mentionné à l’Article premier de notre Constitution. Seuls les droits politiques distinguent étrangers et nationaux. Ceux-ci relèvent de la citoyenneté au sens strict et du lien qui relie chaque Français à la nation, à la souveraineté du peuple. Marine Le Pen, dans le cadre du débat sur le recours au référendum, prétend utiliser l’article 11 de notre Constitution pour consulter directement les Français sur le sujet, malgré les thèmes limités pour lesquels cela est possible. C’est l’article 89 qui est censé le permettre, le même article précisant que le passage du texte soumis au référendum doit être adopté par l’Assemblée Nationale et le Sénat, dans des termes identiques, ce qui est loin d’être acquis. Pour justifier ce recours hors cadre, Marine Le Pen rappelle que le Général De Gaulle a passé outre cette obligation, lors de l’adoption par référendum du principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, et que le peuple est la seule source du pouvoir politique au regard de la Constitution... C’est à voir. Mais le véritable sujet est ailleurs, il est politique, et l’enjeu républicain.

La préférence nationale contre l’idéal égalitaire et l’encouragement au multiculturalisme

En introduisant une différence selon la nationalité dans l’accès aux droits à l’emploi ou sociaux, on entend rompre avec l’égalité entre les membres de notre société, et ainsi avec un idéal commun au fondement de la tradition républicaine. Trop d’inégalités nuisent à la démocratie, en sapent le fonctionnement. Ces inégalités croissent malheureusement, et concourent à la remise en cause du principe d’égalité. Différencier les individus selon un critère de nationalité est condamnable. La lutte pour l’égalité doit constituer un enjeu au-dessus des différences. Aussi, tendre vers l’égalité entre les membres de notre société est le fondement de l’idéal républicain, de notre contrat social, selon une conception élective de la nation, d’adhésion à un modèle, le modèle égalitaire précisément, qui doit convaincre, enthousiasmer les candidats à devenir Français, par ce qu’il a d’humaniste, en rassemblant, contre ce qui peut diviser.

Maîtriser les flux migratoires ne saurait servir d’argument pour rompre avec cet idéal et ce principe acquis de haute lutte, dont le souffle n’est pas éteint. Il relève d’un espoir qui demeure, pour ouvrir de nouvelles voies de justice vers un monde meilleur au regard d’une histoire qui n’a pas dit son dernier mot. Introduire le critère de nationalité dans l’accès aux droits, c’est aussi renvoyer chacun à une logique identitaire qui ne peut que renforcer les divisions déjà gravement marquées, combien soulignées par un communautarisme qui fracture notre société. Combattre le multiculturalisme passe par plus d’égalité, quitte à l’imposer par la loi, pas le contraire.

Montée de l’islamisme : l’extrême droite entend interdire le voile dans l’espace public

L’argument de la préférence nationale utilise, pour se promouvoir, une autre problématique qui est celle de l’intégration, alors que nous accueillons de plus en plus de personnes, de familles étrangères sur notre sol, spécialement de confession musulmane. Le voile islamique et l’extension des revendications religieuses à caractère communautaire, constituent un marqueur de séparation qui ne cesse de prendre de l’ampleur, ce qui inquiète nos concitoyens, légitimement, ce qui peut être récupéré. La réponse en serait ainsi l’interdiction générale du voile dans l’espace public, selon la proposition de la candidate du RN ? Un sondage publié ce 21 avril de l’Institut CSA pour CNEWS indique que six personnes interrogées sur dix y seraient favorables.

Cette volonté d’interdire de façon générale ne sort pas de nulle part, elle est le résultat de reculs successifs. L’emprise de l’islamisme sur une part croissante de nos concitoyens de confession musulmane est attestée, telle qu’en a rendu compte une étude de l’Ifop concernant l’extension du port du voile, symbole de l’inégalité homme-femme en islam, qui relatait que 24 % des femmes se déclarant musulmanes portaient le voile en 2003 contre 31% en 2019. Ou encore, au fait relevé par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Rapport 2020) que le refus de serrer la main d’une femme au travail ou de travailler avec un non-coreligionnaire, de réaliser des tâches ou le prosélytisme, commencent à entraver le bon fonctionnement de l‘entreprise en France. Dans un sondage publié par le JDD sur « La laïcité, l’islam et les Français » en 2018, 78% des interrogés pensaient que la laïcité était menacée. Comment en sommes-nous là, pourrait-on s’interroger, pour rendre possible la proposition d’une telle interdiction venant rajouter des tensions sur un sujet déjà brûlant au risque de l’affrontement, et d’une plus grande fragmentation encore de notre société, le remède risquant d’être pire que le mal ?

Seule la cohérence en matière de laïcité peut déjouer les choix extrêmes

Si la loi contre le séparatisme peut avoir certains mérites, à force d’incohérence on en vient à laisser se développer des choix extrêmes. Si on veut les éviter, il faudra finir par sortir de bien des confusions et du « en même temps » présidentiel, pour redonner pédagogiquement de la cohérence ici : comme enfin interdire les signes religieux ostensibles des parents accompagnateurs de sorties scolaires alors qu’ils endossent une mission de service public laïque en prenant en charge des groupes d’enfants ; qu’aucune élue ne puisse dans des assemblées où elles siègent et où elles représentent l’intérêt général arborer de signes religieux, y promouvoir l’image d’infériorité des femmes proscrite par notre Constitution ; que l’on fasse respecter la neutralité religieuse et politique dans le sport, au lieu de céder comme on le fait aujourd’hui sur ce sujet, telle Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’égalité du gouvernement, qui au passage entend imposer par un « Index de la diversité » des quotas selon les différences dans l’entreprise au nom de la lutte contre les discriminations... Prenons garde qu’à défaut de répondre à ces 82% des membres de notre société qui, selon une enquête de l’Observatoire Sociovision se déclaraient dès 2014 favorables à la discrétion en matière de manifestations religieuses dans notre société, nous allions un jour vers des choix politiques qui puissent tourner irrémédiablement le dos à l’idéal d’égalité humaniste et républicain que nous défendons. Continuer de faire République, passe par déminer le piège des extrêmes, mais aussi celui de la banalisation du retour du religieux s’imposant au-dessus de la nation.

Guylain Chevrier,
vice-président du Comité Laïcité République


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