Revue de presse

D. Schnapper : Le rôle du Conseil des sages, "faire respecter l’ordre républicain" (L’Express, 30 mai 18)

Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages sur la laïcité à l’école. 5 juin 2018

"La présidente du Conseil des sages de la laïcité, Dominique Schnapper, dresse en exclusivité le premier bilan de cette nouvelle instance.

La sociologue et politologue Dominique Schnapper, directrice à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre honoraire du Conseil constitutionnel, a été nommée présidente du Conseil des sages, mis en place en janvier dernier par le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. Interview.

Pouvez-vous nous rappeler le rôle exact du Conseil des sages ?

A son arrivée, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a souhaité renforcer les dispositifs déjà existants, chargés de garantir l’application du principe de laïcité à l’école. Il a étoffé les équipes académiques dont le but est de former les personnels des établissements scolaires, de les épauler dans leurs missions quotidiennes et de les aider en se rendant sur place en cas d’atteinte au principe de laïcité.

Le Conseil des sages a ensuite été nommé pour soutenir ces cellules locales - ainsi que l’équipe nationale qui les chapeaute -, réfléchir aux modalités d’action les plus pertinentes et faire des propositions en ce sens. "Nous devons arrêter de mettre la poussière sous le tapis", a affirmé le ministre. Il est essentiel que les enseignants et les proviseurs se sentent soutenus par l’institution. Ce qui, hélas, n’a pas toujours été le cas...

Avez-vous, en préalable à vos travaux, commencé par dresser un état des lieux ?

Nous avons auditionné plusieurs spécialistes reconnus comme l’ancien inspecteur général de l’Education nationale Jean-Pierre Obin, auteur d’un grand rapport qui date de 2004 mais qui fait toujours autorité aujourd’hui ("Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires", NDLR) ; ou encore Brice Teinturier, directeur de l’institut de sondages Ipsos, venu nous présenter l’enquête commandée par la Fondation du judaïsme français, qui date de décembre 2017 ("Les élèves et la relation à l’autre en collège et lycée : la situation vue par les enseignants", NDLR) ; sans oublier Iannis Roder, professeur agrégé d’histoire dans un collège de Seine-Saint-Denis, reconnu pour ses qualités d’enseignant auprès de ses élèves dans ce qu’on appelle les "quartiers sensibles" (et auteur, entre autres, des "Territoires perdus de la République", NDLR) ; ni, bien sûr, Souâd Ayada, la nouvelle présidente du Conseil supérieur des programmes avec qui nous nous sommes trouvés en parfait accord. Ensuite, il a fallu avancer. Inutile de faire venir la terre entière. L’état des lieux, on ne le connaît que trop bien malheureusement...

Que répondez-vous à ceux qui reprochent au Conseil des sages d’être "hors sol", beaucoup trop déconnecté du terrain ?

Ce genre d’affirmation me paraît fantaisiste ! Seuls trois des treize membres du Conseil n’ont pas eu une carrière de de professeur - un ancien ministre, un conseiller d’Etat et un journaliste. Les autres, même si certains sont aujourd’hui comme moi à la retraite, sont de purs produits de l’Education nationale. On ne peut pas nous accuser de ne pas connaître le terrain !

On a eu vent de tensions entre les différents membres dès les premières semaines d’exercice du Conseil. Qu’en est-il ?

J’imagine que vous faites référence à la "fuite" du compte-rendu de l’une de nos réunions pourtant censé rester strictement confidentiel. L’un des membres du Conseil des sages n’a malheureusement pas respecté cette consigne - ou n’a pas su la faire respecter - et une partie de nos échanges, tenus lors de l’une des séances qui ont lieu tous les quinze jours, a été publiée sur le site Mediapart. Cela nous a posé un problème, mais il a été résolu.

Lors de ces échanges, l’éventualité de demander à Latifa Ibn Ziaten, très engagée dans la lutte contre la radicalisation religieuse, d’ "enlever son voile en entrant dans la classe" a-t-elle bien été soulevée ?

L’un d’entre nous a émis ce qui n’était qu’une simple hypothèse, un élément de débat libre. On a transformé une interrogation, prononcée au milieu d’une réunion de deux heures, en affirmation, ce qui est malhonnête. Désormais nous ne faisons plus circuler les compte-rendus via internet. Notre secrétaire général les tient à la disposition des membres qui souhaitent les consulter dans son bureau. Et tout se passe très bien. Nos travaux se font dans le respect et l’écoute de chacun, sans crispations.

Concrètement, sur quels sujets avez-vous travaillé depuis le mois de janvier ?

Les bureaux du ministère, chargés d’élaborer un nouveau vademecum de la laïcité, nous l’ont transmis pour avis. Nous avons contribué à une rédaction qui est le fruit d’une collaboration et qui a été évidemment soumise aux directeurs du ministère et au ministre. Ce document sera distribué très prochainement à tous les chefs d’établissement et enseignants de France.

Mais il existait déjà un livret de la laïcité, élaboré par les équipes ministérielles précédentes. En quoi celui-ci est-il différent du premier ?

C’est évidemment un prolongement direct des travaux précédents. Le vade-mecum s’efforce d’être pratique et de répondre concrètement aux besoins du terrain tels qu’ils se manifestent quotidiennement. Il donne des conseils d’action et des réponses à certains cas précis d’atteinte à la laïcité, tout en rappelant précisément les textes concernés.

Nous allons essayer de contribuer à la diffusion de la laïcité dans la formation des enseignants. Puis nous entamerons une réflexion sur l’enseignement du fait religieux. Beaucoup de professeurs se disent un peu perdus sur ce sujet. Nous essaierons d’aider à ce qu’ils se sentent moins seuls et mieux armés sur ces questions.

Avez-vous pour vocation d’influencer la révision de certains textes législatifs parfois très flous ? L’autorisation ou non du port du voile, chez les mères accompagnatrices de sorties scolaires peut parfois prêter à interprétation...

Quand la loi et la jurisprudence énoncent des conclusions claires et durables, c’est simple. Inutile de les discuter, il faut les appliquer. Mais parfois, les avis émis varient avec le temps, selon les orientations politiques. Le ministre Jean-Michel Blanquer s’est récemment prononcé contre le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse par les parents d’élèves accompagnant une classe. C’est une position personnelle qu’il exprime depuis longtemps et qui n’est pas en contradiction avec l’avis (qui n’est pas une décision) du Conseil d’Etat sur cette question et qui est citée dans le vade-mecum. De manière générale, le vade-mecum rappelle les textes et les diverses décisions de justice, tout en soulignant l’importance du dialogue. Rien n’interdit au chef d’établissement d’entamer une discussion avec les parents d’élève sur cette question, c’est même conseillé.

La question des menus diversifiés revient également souvent dans l’actualité. Que dit la loi ?

La position sur les menus diversifiés est, quant à elle, très claire : si la mairie, qui est en charge de la cantine, souhaite proposer plusieurs menus, cela ne pose pas de problème. Si cela ne lui est pas possible, elle n’est pas tenue de le faire. De même, pour les jours de fête religieuse dont la liste est prévue, les absences peuvent être acceptées, sauf en cas de force majeure, par exemple dans le cas d’un concours ou d’un examen. Tout cela est rappelé mais existe déjà. Le vade-mecum ne fait que reprendre ce qui est déjà établi.

Avez-vous réussi à tomber facilement d’accord sur toutes ces questions ?

Encore une fois, nous débattons en toute sérénité et nous avons participé à l’élaboration de ce vade-mecum de manière très constructive. Il existe évidemment des sensibilités différentes dans le Conseil, mais nous sommes unis par notre adhésion au principe de la laïcité et la volonté de faire respecter l’ordre républicain.

Propos recueillis par Amandine Hirou"

Lire "Notre rôle : faire respecter l’ordre républicain".



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