Revue de presse

D. Schnapper : « L’antisémitisme est un signe inquiétant de l’affaiblissement de la démocratie » (lemonde.fr , 29 mars 18)

Dominique Schnapper, sociologue et politologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), présidente du Conseil des sages de la laïcité à l’Education nationale. 31 mars 2018

"Mercredi 28 mars, des milliers de personnes ont défilé à Paris en mémoire de Mireille Knoll et ont appelé à « l’union » contre l’antisémitisme. Les deux meurtriers de cette retraitée modeste de 85 ans de confession juive ont été mis en examen pour « homicide volontaire à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion ». Pour retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme, la justice s’est appuyée sur leurs déclarations aux policiers.

La sociologue Dominique Schnapper, autrice de "Réflexions sur l’antisémitisme" (Odile Jacob, 2016), a répondu, jeudi 29 mars, aux questions des lecteurs du Monde.fr sur la banalisation de la haine des personnes de confession juive.

Daz : Qui sont aujourd’hui les antisémites et pourquoi le sont-ils ?

Question infinie : pourquoi le mal existe-t-il ? Tant d’éléments : l’intériorisation des représentations religieuses héritées du passé, l’hostilité au monde moderne, au capitalisme et à la démocratie, l’envie, le besoin de boucs émissaires, l’hostilité à l’égard de l’autre et beaucoup de situations historiques diverses qui cristallisent ces représentations et ces sentiments.

Croyez-vous que les êtres humains soient spontanément bons ? Il faut que la démocratie soit assez forte pour contrôler les passions mauvaises.

Princesse : Est-ce que l’antisémitisme est autant banalisé aujourd’hui parce que les jeunes générations n’ont pas connu la Shoah ?

Pendant au moins une génération, les antisémites n’ont pas pu se manifester. Leurs sentiments continuaient à exister, mais ils ne s’exprimaient pas, la connaissance de la Shoah sidérait les antisémites.

Les jeunes n’ont évidemment pas la même expérience, la Shoah est un objet d’histoire, elle est devenue abstraite. Mais ce n’est pas la seule raison de la nouvelle « banalisation ». La démocratie est fragilisée par une série de facteurs et, dans les démocraties fragiles, le contrôle social s’affaiblit et les sentiments d’hostilité, de haine et d’envie s’épanchent facilement. L’antisémitisme est un signe inquiétant de l’affaiblissement de la démocratie, ce n’est pas seulement l’affaire des juifs, mais de tous les démocrates.

Sarah : Le conflit israélo-palestinien aggrave-t-il l’antisémitisme en France ?

Même si Israël n’existait pas, l’antisémitisme existerait. Le conflit donne des arguments nouveaux à de vieilles passions, même s’il peut aussi conduire certains, par solidarité avec le sort des Palestiniens, à raviver ou même à faire naître l’hostilité à l’égard des juifs. Ils arrivent à confondre la critique de la politique du gouvernement israélien et l’antisémitisme. Il faut évidemment les distinguer.

Heros : Y a-t-il un antisémitisme de gauche ? Les « insoumis » se sont fait virer de la marche blanche hier, tout comme le FN…

Il y a toujours eu un courant hostile aux juifs chez les penseurs socialistes, depuis le XIXe siècle, ils s’opposaient aux juifs dans la mesure où ils assimilaient les juifs à la banque et au capitalisme – ce qui est un des thèmes favoris de l’antisémitisme.

L’extrême gauche aujourd’hui comprend des militants qui déclarent ne pas être antisémites mais antisionistes, mais qui renouvellent ce courant de pensée. Ce n’est pas le cas de tous, bien sûr, mais cela existe effectivement. Or qu’est-ce qu’être antisioniste aujourd’hui ? Etre pour la destruction de l’Etat d’Israël ? Peut-on souhaiter la disparition d’un peuple, même s’il est né de la guerre ? Tous les Etats sont nés de la guerre.

Jean-Pierre : Un acte aussi abject que celui dont vient d’être victime Madame Knoll, tout comme l’avaient été Ilan Halimi et plus récemment Sarah Halimi, ne montre-t-il pas une incapacité de notre démocratie à prévenir la barbarie parce qu’elle n’est pas capable de la penser ? Cela ne nous rend-il pas aveugle face à des comportements tels que le flot de haine qui se déverse en toute impunité sur nombre de forums, de pages Facebook ou de commentaires, y compris sur ceux du « Monde », que nous banalisons parce que nous sommes incapables de les considérer comme l’expression d’une culture et non comme l’addition d’actes isolés ?

La démocratie n’est peut-être pas capable de prévenir la barbarie, mais les autres régimes encore moins. Ce qui est vrai, c’est que le monde virtuel ne comporte aucun contrôle et que cela encourage le déferlement des haines et des absurdités, puisqu’elles peuvent s’y développer sans contrôle et sans conséquences. Mais ce n’est pas le propre de la démocratie, c’est le monde de la modernité et le pouvoir du monde virtuel.

Il est vrai aussi que les démocrates européens sont en majorité devenus « doux » et qu’ils ont de la peine à comprendre la folie meurtrière. Mais ce n’est pas par la répression qu’on arrivera à en maîtriser les expressions. Il faut mener le combat intellectuel et politique pour résister à ces forces destructives de toutes nos valeurs. C’est un combat difficile et à long terme.

Pierre B. : Faut-il remobiliser les survivants du génocide des juifs d’Europe et parcourir les collèges comme cela se faisait il y a plusieurs années pour que les jeunes écoutent directement les récits de ceux qui ont touché du doigt l’enfer ?

Les survivants du génocide sont maintenant morts ou très fatigués. Cela a souvent été une expérience digne d’intérêt et utile. Mais, malheureusement, ce n’est pas une solution d’avenir. C’est aux générations suivantes d’essayer de transmettre.

Mimi : Pendant la campagne, on a vu des caricatures de M. Macron avec un nez crochu parce qu’il avait travaillé chez Rothschild. Pourquoi l’antisémitisme touche aussi les non-juifs ?

La question serait plutôt : pourquoi touche-t-il les juifs, indépendamment de toute expérience concrète, et pourquoi les stéréotypes les concernant ont-ils la vie aussi dure ? Si M. Macron avait travaillé dans une banque comme le Crédit lyonnais, aurait-on dit « le banquier du Crédit lyonnais » comme on a dit « le banquier de Rothschild » ? L’extension des préjugés à l’égard de ceux qui ont travaillé avec les juifs est moins surprenante que la permanence des préjugés. Beaucoup de juifs sont pauvres et beaucoup de banquiers ne sont pas juifs. Et ce n’est pas répréhensible d’être banquier."

Lire "Mort de Mireille Knoll : « L’antisémitisme est un signe inquiétant de l’affaiblissement de la démocratie »".


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