Revue de presse

D. Schnapper : "A l’école, beaucoup d’atteintes à la laïcité ne sont pas signalées" (L’Express, 16 mars 23)

Dominique Schnapper, directrice d’études à l’EHESS, membre honoraire du Conseil constitutionnel, présidente du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale. 16 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le Conseil des sages de la laïcité, créé en 2018 par Jean-Michel Blanquer pour "préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité et d’enseignement laïque des faits religieux", entretenait des relations étroites avec l’ancien cabinet. Depuis l’arrivée de Pap Ndiaye Rue de Grenelle en juillet dernier, l’instance composée de 18 membres, confesse devoir s’adapter à un changement de méthode. "Mais nous continuons à jouer notre rôle de conseil et d’acteur", assure sa présidente Dominique Schnapper.

Propos recueillis par Amandine Hirou et Anne Rosencher

La sociologue revient notamment sur les dégâts du "pas de vague", sur la récente "offensive des abayas", ou encore sur les remous emblématiques qui ont récemment secoué la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcrah).

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Lire "Dominique Schnapper : "A l’école, beaucoup d’atteintes à la laïcité ne sont pas signalées"".

"L’Express : Selon les derniers chiffres rendus publics par le ministère, les atteintes à la laïcité et aux principes de la République dans les établissements scolaires étaient en net recul entre décembre et janvier (passage de 363 à 280 signalements dans le second degré). Peut-on en déduire que la situation s’améliore sur le terrain ?

Dominique Schnapper : Une précision liminaire : ces données statistiques ont, certes, l’avantage d’indiquer une tendance, mais nous savons par expérience que le chiffre "en valeur absolue", lui, ne veut pas dire grand-chose. Beaucoup d’atteintes à la laïcité ne sont pas signalées. Avant que l’information n’arrive en bout de chaîne, il faut d’abord que le professeur concerné décide de signaler le problème auquel il est confronté (ce qui est loin d’être toujours le cas), qu’il le transmette à son chef d’établissement, puis que ce dernier saisisse à son tour l’inspecteur d’académie, le rectorat…

Justement : une récente enquête portant sur les chefs d’établissement affirme que dans le secondaire, 43 % de ceux qui ont dû faire face à des élèves portant des tenues à connotation religieuse ne l’ont pas signalé à l’institution…

J’ai pris en effet connaissance de l’enquête menée par ce syndicat de personnels de direction que nous avions rencontré en début d’année. Les résultats de ce sondage vont dans le sens d’études réalisées précédemment par l’Ifop pour le Comité national d’action laïque ou la Fondation Jean-Jaurès. Ces choses étant dites : la baisse des atteintes à la laïcité signalées au ministère indique une tendance encourageante. Ce que l’on a appelé "la vague des abayas" - cette offensive islamiste lancée dès le dernier trimestre de l’année dernière et nourrie par les réseaux sociaux – semble bien refluer.

Comment l’expliquez-vous ?

Mon hypothèse est que certains activistes ont voulu tester le nouveau ministre de l’Education nationale à son arrivée. Dès le 31 mai 2022, le Conseil des sages avait alerté le cabinet sur ce mouvement qui semblait déjà gagner du terrain. Le ministre a décidé sans trembler de reprendre certaines de nos préconisations dans sa circulaire du 9 novembre, laquelle rappelait avec fermeté le cadre de la loi et les mesures à prendre en cas d’entraves. Voilà qui a permis, semble-t-il, d’endiguer le phénomène. Mais il convient de rester vigilants car nous avons bel et bien affaire à une attaque organisée d’ordre politique. A nous de le faire comprendre aux élèves mais aussi à la nouvelle génération de jeunes enseignants qui, hélas, n’en a pas toujours conscience.

Certains analystes laissent entendre que trop médiatiser ces questions revient à mettre de l’huile sur le feu et à envenimer la situation. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas le fait d’en parler qui crée le danger. Bien au contraire ! Garder le silence au nom du fameux "pas de vague" ne fait qu’encourager les ennemis de la laïcité à poursuivre et intensifier leur combat. Le discours iréniste sous-entend que les attaques contre la laïcité ne sont qu’une "réaction" en défense et pas le résultat d’une offensive idéologique… C’est vraiment ne pas comprendre le problème.

Quelles relations entretenez-vous avec le ministère depuis l’arrivée de Pap Ndiaye Rue de Grenelle ?

Jean-Michel Blanquer avait lui-même créé notre instance et y était donc naturellement attaché. Il nous consultait beaucoup, répondait très vite, ne manquait pas une occasion de rappeler notre existence… Bien sûr, la relation que nous entretenons avec le nouveau ministre est un peu plus distante. Mais il est normal que l’acclimatation se fasse progressivement. Nous n’avons pas encore eu l’occasion d’échanger avec la nouvelle conseillère laïcité du cabinet, nommée en janvier dernier, mais une rencontre devrait se faire prochainement. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Pap Ndiaye peu après sa nomination en juin dernier. Au cours de cet entretien, le ministre m’avait confié sa volonté d’étoffer le périmètre de notre instance en lui donnant le nom de Conseil des sages de la laïcité "et des valeurs de la République" et en nommant trois ou quatre nouveaux membres, ce qui me semble être une bonne nouvelle.

Quel bilan tirez-vous de votre action ?

Nous sommes heureux de constater que notre travail porte ses fruits puisque nous sommes de plus en plus sollicités et consultés par les académies, les recteurs, les inspecteurs, les référents laïcité… Le vaste plan, lancé à la rentrée 2022 et ayant pour objectif de mobiliser 1000 nouveaux formateurs sur tout le territoire, nous occupe beaucoup. Certains outils que nous avons mis en place ont également prouvé leur utilité. Je pense, par exemple, aux moyens déployés pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance réclamés par des jeunes filles qui refusent de se rendre à la piscine dans le cadre scolaire pour des motifs religieux.

Un sujet délicat puisqu’il se heurte à la question du secret médical…

Il nous paraissait justement important de lutter contre une certaine forme de fatalisme. Cette idée selon laquelle "personne n’y pouvait rien". Après avoir réuni un groupe de travail, nous avons produit un document téléchargeable en ligne pour que les chefs d’établissement, confrontés à ce phénomène, disposent d’une marche à suivre claire. L’idée était de les encourager à faire part de leurs doutes éventuels à l’ordre départemental des médecins pour lui permettre éventuellement d’agir. Mais le simple fait d’oser en parler permet souvent de résoudre les problèmes en amont. De passage à Dole, dans l’académie de Besançon, on nous avait parlé de ce médecin qui délivrait des certificats médicaux pour cause "d’allergie au chlore". Or, renseignement pris, la ville ne traitait pas l’eau de ses piscines au chlore !

Vous qui avez présidé le Conseil scientifique de la Dilcrah entre 2016 et 2019, quel regard portez-vous sur la récente dissolution de cette instance ?

La Dilcrah était traversée par une violente bataille idéologique interne, opposant ceux qu’on peut appeler les "wokistes" aux "républicains". Les premiers accusant les psychanalystes Céline Masson et Caroline Eliacheff de transphobie, ce que je trouve absolument effrayant ! Ces deux spécialistes ne font qu’appeler à la prudence face aux demandes d’interventions chirurgicales émanant d’adolescents de 13-14 ans. Comme elles, il me paraît important d’attendre que ces jeunes soient devenus des adultes pleinement conscients pour procéder à ce genre d’opérations aux conséquences physiques irréversibles. Une instance comme celle du Conseil scientifique de la Dilcrah peut être traversée par certaines divergences, mais elle doit savoir les dépasser pour mener à bien sa mission de conseil. Ce n’était apparemment plus possible donc, à mon sens, la dissolution était inévitable.

Le gouvernement envisagerait d’élargir le Service national universel à tous les élèves de seconde. Est-ce une bonne idée selon vous ?

Tout ce qui peut contribuer à recréer et à renforcer du lien, du commun, me paraît aller dans le bon sens. Je m’interroge seulement sur la faisabilité d’un tel projet car encadrer entre 700 000 et 800 000 jeunes me paraît très compliqué à organiser. Il y a cinq ans, lorsque cette initiative en était encore au stade de l’expérimentation, nous étions intervenus lors d’une formation destinée aux encadrants pour aborder avec eux le thème de la laïcité. Si le Conseil des sages est de nouveau sollicité, comme la secrétaire d’Etat Sarah El Haïry semble le souhaiter, nous répondrons évidemment à leur demande."



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