Delphine Girard, professeure agrégée de Lettres classiques, cofondatrice et porte-parole de Vigilance Collèges Lycées (VCL), vice-présidente du Comité Laïcité République (CLR), membre du Conseil des sages de la laïcité. 10 août 2024
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"Propos recueillis par Amandine Hirou
Dionysos représenté par Philippe Katerine dévêtu et recouvert de peinture bleue avec, en arrière-plan, les participants à un banquet – dont plusieurs drag queens - faisant penser à La Cène, le dernier repas de Jésus avec ses apôtres… La séquence de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, qui n’aura duré que quelques minutes, n’en finit plus de susciter de vives réactions. Samedi 27 juillet, la Conférence des évêques de France avait notamment déploré des "scènes de dérision et de moquerie du christianisme". Thomas Jolly, le directeur artistique de la cérémonie, a démenti le lendemain s’être inspiré de la Cène pour ce tableau.
Delphine Girard, professeure de lettres classiques et membre du Conseil des sages de la laïcité, y a vu une "magnifique performance" et l’occasion de réaffirmer l’attachement de la France à la laïcité, l’une de ses valeurs fondamentales.
Lire "Cérémonie d’ouverture des JO : "On vit dans une période où les religieux font feu de tout bois"".
Jeux olympiques. Delphine Girard, professeure de lettres classiques et membre du Conseil des sages de la laïcité, revient sur la polémique liée à la possible représentation de "La Cène" lors de la cérémonie d’ouverture des JO.
L’Express : L’une des séquences les plus remarquées de la cérémonie d’ouverture suscite des interprétations diverses : certains y voient une représentation de la Cène, d’autres une allusion au tableau "Le festin des dieux". Quelle est votre lecture ?
Delphine Girard : Je précise que je ne suis ni une artiste, ni une historienne de l’art, mais, en ce qui me concerne, j’y vois une allusion à ces deux références : derrière la représentation de Dionysos, très reconnaissable, le clin d’oeil à La Cène me semble indéniable. Ce qui laisse imaginer une volonté de mêler des références à la fois païennes et chrétiennes, propres à notre double culture, dans une espèce de syncrétisme artistique. Une magnifique performance et une impudente liberté affichée à la barbe du monde dont je suis extrêmement fière. Vous n’auriez jamais pu voir ça aux Etats-Unis, ni dans bien d’autres pays. Considérer que l’art est, en quelque sorte, plus sacré que les religions est très propre à l’esprit français.
Certains représentants catholiques se sont dit très choqués par cette scène. Cette réaction vous étonne-t-elle ?
Oui, j’ai été très surprise par ces critiques car ce n’est pas la première fois que nous assistons à un détournement artistique de La Cène. La série Dr House ou celle des Simpson y ont, entre autres, fait référence par le passé sans que cela ne suscite une telle polémique ! Si les critiques sont aussi virulentes aujourd’hui c’est sans doute parce que la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques est considérée comme une vitrine de la France. Pour ma part, je me réjouis de voir notre modèle laïque qui défend le droit au blasphème ainsi mis en avant, n’en déplaise à ses détracteurs. J’avoue que cette évolution m’inquiète, je ne pense pas que les réactions auraient été aussi vives il y a trente ans.
Pour quelles autres raisons ces réactions s’expriment-elles avec force aujourd’hui selon vous ?
On vit dans une période où les religieux ont tendance à faire feu de tout bois dès qu’il s’agit de s’attaquer à la laïcité. Je suis d’ailleurs plus ou moins persuadée que les extrémistes catholiques sont très contents de ce qu’ils appellent cette "provocation" puisque cela leur donne l’occasion, à leur tour, de s’en prendre à notre modèle laïque. Tout comme le font les extrémistes islamistes. D’ailleurs, sur cette question-là, on peut dire qu’il y a une sorte de front commun de leur part contre nos valeurs républicaines.
L’extrême droite a fait part de son indignation, tout comme Jean-Luc Mélenchon. N’est-ce pas étonnant que les critiques viennent aussi de la gauche ?
Pas de la gauche mais d’une certaine gauche ! Et non, cela n’a rien d’étonnant puisque Jean-Luc Mélenchon a fait de cette bataille son fonds de commerce, quitte à se trahir lui-même et à trahir ses anciens compagnons de lutte. Ses amis Charb, Cabu et Wolinski doivent se retourner dans leur tombe. Le fait que l’extrême droite et l’extrême gauche s’emparent de cette polémique m’interpelle car cela sous-entend qu’ils pensent que leur électorat va les suivre. Est-ce vraiment le cas ? Le simple fait qu’on se pose la question suffit à m’effrayer. Je me console en pensant au résultat de ce sondage affirmant que 85 % des Français ont trouvé la cérémonie d’ouverture des JO réussie.
Peut-on faire un parallèle entre cette polémique de "La Cène" et ce qui peut se passer parfois dans les salles de classe ? Avez-vous été confrontée, vous-même, à des réactions d’élèves choqués par certaines démarches artistiques ?
Bien sûr. On se souvient de l’affaire d’Issou dans les Yvelines, où l’une de mes collègues avait été mise en difficulté pour avoir montré en classe un tableau représentant des femmes dénudées. Peu de temps après, j’ai moi-même passé à mes élèves un court extrait d’un reportage d’Arte sur la mythologie grecque représentant notamment la naissance de Vénus. Certains se sont caché les yeux en disant : "Mais Madame, ils sont tout nus, pourquoi vous nous montrez ça ?" Cette réaction n’était pas nécessairement propre à des élèves chrétiens ou musulmans très pratiquants. Tous les professeurs vous le diront : la bigoterie ambiante a gagné la jeunesse. Même ceux qui ne revendiquent pas de confession religieuse particulière obéissent à une forme d’impératif moral et veillent à ce qu’ils considèrent comme une forme de respect des sensibilités de leurs camarades. Les représentants politiques qui visent la jeunesse, comme Jean-Luc Mélenchon, l’ont bien compris."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier JO de Paris 2024 (note du CLR).
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