Note de lecture

Covid, immigration, extrême droite... Hervé Le Bras contre les idées reçues (G. Durand)

par Gérard Durand. 14 janvier 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Hervé Le Bras, Serons-nous submergés ? Ed. L’Aube, Fondation Jean Jaurès, oct. 20, 200 p., 19,90 e.

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Sous une présentation sobre, ce livre est d’un certain luxe, papier glacé épais, très nombreuses illustrations. On voit que la fondation Jean Jaurès n’a pas lésiné sur les moyens pour promouvoir cette étude.

Et elle le mérite. D’abord par son auteur. Hervé le Bras est l’un des meilleurs démographes de notre époque : directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Plusieurs ouvrages témoignent du sérieux de sa démarche et l’on peut considérer que son approche fait de la démographie la plus précise des sciences humaines.

Il prend ici à bras le corp l’idée de la submersion, celle de nos sociétés occidentales et la façon dont elle est appréciée par les individus. En commençant par l’actualité de la crise sanitaire, il nous fait suivre une méthode rigoureuse ne laissant pas de place à l’imaginaire. Les chiffres, rien que les chiffres, et il faudra attendre la fin du "process" pour aborder, avec grande prudence, l’interprétation.

Que peut-on dire de cette épidémie mondiale ? D’abord, qu’elle suit les inégalités sociales. En Angleterre, un noir a deux fois plus de "chances" qu’un blanc d’en être victime, aux Etats Unis c’est trois fois. La France va bénéficier d’un traitement plus affiné qui va à l’encontre des idées reçues. Il suffit de prendre quelques exemples. Si l’on s’en tient aux chiffre bruts, le territoire de Belfort est 170 fois plus atteint que l’Ariège. Mais si l’on applique la règle de la structure identique des populations, le rapport n’est plus que de 0.6/1.36, soit 2,25 fois. La même constatation concerne la densité de population que l’on considère souvent comme le principal facteur de contamination alors qu’il ne joue que sur 5,8% du total. D’autres critères retenus aboutissent tous à la même conclusion. La progression de l’épidémie dans l’espace ne dépend ni du degré d’urbanisation, ni du niveau de pauvreté, ni de la proportion d’immigrés ni, enfin, de celle des personnes âgées.

La dissémination de ce virus se fait au hasard, au gré des déplacements. Une seule personne contaminée peut générer par son arrivée sur un territoire une diffusion sur tout l’environnement de ce territoire. Le même phénomène est observé en Espagne, en Italie et en Suisse. Le seul frein à la diffusion est donc la limitation des déplacements.

Autre mantra de nos médias, l’immigration. Ici encore la plupart des idées reçues ne résistent pas à l’examen scientifique. Prenons l’exemple de « la ruée africaine ». Il est exact que l’Afrique va voir, en ce 21e siècle sa population s’accroitre et passer de 1,2 à 2,5 milliards dès 2050. Alors que l’Europe passera de 750 à 510 millions.

Mais il y a plusieurs Afriques. Si la Tunisie voit naître 2,1 enfants par femme, au Niger c’est 7,3. Avec un accroissement annuel respectif de 1 à 3,9%. Les études les plus récentes ont démontré que seuls 2 à 5% de cette nouvelle population cherchera à immigrer vers l’Europe, où le pourcentage d’étrangers passera, par exemple en France, de 6% actuellement à 6,9% en 2100. Encore faut il souligner que l’immigration en provenance des anciennes colonies ne représente que 27% du total, le solde arrive de tous les pays en crise, comme l’Afghanistan.

Il n’y a donc pas de remplacement, encore moins de "Grand remplacement", qui reste au niveau du mythe. Mais il est urgent de repenser nos politiques d’accueil. Nous savons que les statistiques officielles sont en partie tronquées. Un demandeur d’asile refusé quitte rarement le territoire et devient un clandestin sans papiers. Comment les récupérer en empêchant notamment leur exploitation par des employeurs peu scrupuleux et en sachant que l’expulsion complète est utopique ? Comment aussi éviter le pompage des personnels qualifiés formés dans leur pays comme c’est le cas actuellement pour la Tunisie ?

Pas de remplacement, mais alors, comment expliquer la progression du vote le Pen ? C’est le dernier volet du livre. Pour Hervé le Bras l’analyse du problème passe par l’étude sociale. Les immigrés se regroupent essentiellement dans les grandes villes, or c’est là que le vote "national" est le plus faible, alors qu’il ne cesse d’augmenter dans des petits villages où les immigrés sont pratiquement absents, et atteint ses meilleures performances dans les villes de moins de 9 000 habitants. Autour des grandes villes, il augmente selon la distance pour atteindre son apogée à 40 km.

Le problème n’est donc pas seulement migratoire mais surtout social. D’autres, comme Christophe Guilluy, approfondiront cette idée, les somewhere contre les anywhere, ou la révolte de la France périphérique. Le lien ressenti d’une alliance de fait entre les classes les plus aisées a été fatal à Hilary Clinton, quand elle prenait la défense des minorités tout en s’affichant avec le gotha. Elle avait tout simplement oublié que la classe ouvrière existe encore et que le mépris de ces « petits blancs » pouvaient la faire perdre.

La méthode d’Hervé le Bras est simple et il nous l’explique en conclusion. Ne jamais se satisfaire des chiffres globaux mais décomposer la difficulté en questions simples, plus faciles à résoudre pour remonter progressivement en complexité.

Une belle leçon pour nos technocrates.

Gérard Durand


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