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Coronavirus, l’imposture révélée du libéralisme : au peuple de reprendre la parole ! (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 13 avril 2020

Au 25e jour de confinement, vendredi 10 avril, les consignes se font plus strictes dans le Bas-Rhin, nous dit-on. Deux adultes ne peuvent plus sortir se promener ensemble, y compris en couple. De quoi s’agit-il ? D’empêcher les réunions de famille en ce week-end Pascal, qui compte quatre jours en Alsace, terre concordataire où on finance encore les cultes, et où on bénéficie de jours fériés religieux supplémentaires, largement sécularisés. On précise, dans un reportage réalisé sur France 2 le matin même de l’entrée en vigueur de l’interdiction, que l’on verbalise les personnes qui la découvrent en même temps qu’ils en reçoivent l’amende :135 €. Nul n’est censé ignorer la loi, faut-il encore que les moyens en soient donnés. Mais ici, si ces personnes n’ont pas écouté la radio ou la télé le matin, lu le journal local, elles ne le savent pas. En général dans ce type de cas, on passe par un temps d’information, avec rappel à la loi sans verbalisation, mais pas là. Dans le même reportage, un monsieur est allé chercher son épouse et l’a donc à ses côtés dans son véhicule. Il en subit le sort commun, déconcerté. Les services de l’Etat semblent jouer d’imagination pour repousser les limites de l’arbitraire à l’aune de la sacralisation de cette épidémie. Il sera bientôt plus efficace de consulter les voyantes pour être au fait des règles du lendemain, ce qui coûtera peut-être même moins cher. On ne redonnera pas de crédit à l’Etat de cette manière.

Interdire d’être en couple dans la rue, est-ce bien conforme à nos droits et libertés ?

Sur TF1, on interroge un monsieur d’un certain âge en plein Strasbourg, pour savoir ce qu’il en pense, et trouve ça très bien, disant que son épouse est partie d’un côté et lui, de l’autre… La belle affaire. On n’aura pas l’occasion de vérifier s’il a fallu dix interviews pour parvenir à ce résultat, dont celles contraires jetées à la poubelle. On ne négligera pas ici le sentiment de crainte qui plane d’oser contredire une décision préfectorale devant micro et caméra, dans ce climat policé. Des amendes qui pourraient bien être annulées sur plaintes portées devant le tribunal administratif. Il faut d’ailleurs l’espérer.

Mais au fait, n’y-a-t-il pas là disproportion et atteinte directe à une liberté fondamentale, au regard tout d’abord d’un Code civil qui dit que les époux se doivent secours et assistance, et sans même se référer aux textes, à celle simplement d’être attachés l’un à l’autre si l’on s’aime, et ainsi sous ces auspices moroses de ne pas se lâcher. Mais où est donc passé le Conseil constitutionnel ! On pourrait bien aussi se demander ce que fait la Ligue des droits de l’homme... En temps de confinement les sentiments eux-mêmes tombent sous le règlement ! Il nous manque décidément à ce moment un Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, pour tourner tout ceci en dérision sinon en ridicule. Mais ce serait sans doute crime de « lèse-majesté » l’épidémie étant assimilée à une guerre ! Car effectivement des gens meurent, mais sans rien oublier ce à quoi cela nous oblige, on ne doit pour autant nullement s’arrêter de penser et de porter, là où elle doit éclairer, la critique.

On dénonce à la Une, le comportement minoritaire de quelques piqués qui demandent à des soignants de quitter leur immeuble ou leur quartier, par peur d’être contaminés, en faisant écho, par cette délation montée en épingle, au procès d’un peuple de collabos, rajoutant au climat d’intimidation générale. On se rappellera que certains voulurent faire passer la France du temps de Pétain pour coupable, pour ensuite appliquer le principe selon lequel, « tous coupables, pas de responsables ». Ici encore on noie le poison et on fait la morale, ce dont se délectent des grands médias de plus en plus décomplexés à la faveur de la propagande officielle.

Crise de l’autorité, autoritarisme et infantilisation du citoyen

Ainsi en interdisant de se promener en couple pour faire ses courses ou changer d’air, on imagine déjouer la volonté de se réunir en famille pour l’occasion. Comme si on ne pouvait en se séparant faire la même chose. Non, ce que cela révèle ce n’est pas l’inconséquence des Français qu’il faudrait ainsi tancer en anticipant sur leur indiscipline, à grandes louches de culpabilisation, mais l’incurie de ceux qui nous dirigent. On ne cesse en réalité d’en remettre une couche sur le mode autoritaire, de la centaine de villes appliquant le couvre-feu comme à Béziers, aux haut-parleurs couplés aux caméras à Nice pour rappeler les passants à l’ordre. Simple reflet de représentants publics qui ont de plus en plus de difficultés à faire autorité, à être réduits au rang de gestionnaires, la politique se couchant devant l’économie, qui semblent voir là l’occasion de se refaire.

On remarquera qu’une fois de plus on infantilise au lieu d’éduquer, une mauvaise habitude qui ne date pas d’hier de nos gouvernants, qui en appellent aux citoyens quand cela les intéresse pour se donner du crédit démocratique et les renvoient à la condition de soldats devant rentrer dans le rang lorsqu’on entend les faire taire. Ce que le mouvement des Gilets jaunes a eu l’occasion de pointer, tout en portant la revendication d’une plus grande consultation du peuple sur les questions qui le concernent, par une nouvelle forme de référendum. Un peuple au nom duquel selon nos institutions toutes les décisions se prennent, puisqu’il est la source du pouvoir politique, mais qui n’a que rarement l’occasion d’y prendre part. Hormis le cas exceptionnel du référendum tel qu’il est conçu dans nos institutions, il s’exprime essentiellement dans le cadre du rituel électoral. Celui des présidentielles par exemple, au choix à reculons en faveur du moindre mal, qui a conduit à porter le chantre d’un libéralisme effréné au sommet de l’Etat, qui est l’équivalent du choléra pour le social.

Un scandale sanitaire qui devra être en temps voulu jugé

Face à ce climat de dramatisation qui justifie tout, regardons où nous en sommes. On dénombre 110.000 décès dans le monde attribués au Covid 19, alors que selon l’OMS, la grippe saisonnière est responsable de 290.000 à 650.000 décès par an à cette échelle. Soit une moyenne de 470.000. Nous en sommes heureusement encore loin. En France on compte à ce jour (dimanche 12 avril) 14.393 décès avec ceux des Ehpad, dont l’addition récente de ces derniers a fait bondir le chiffre global. Mais là encore, pourquoi en faire des tonnes, alors que les choses sont moins fiables que pour les hôpitaux, puisque peu des personnes décédées sont testées dans ces établissements pour savoir si cela est lié au coronavirus. Le nombre de décès déclarés dans les Ehpad est "un chiffre qu’il faut manier avec précaution" reconnait ainsi elle-même l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, interrogée par franceinfo. Ces lieux d’accueil en raison du grand âge des personnes qui y résident, pour un certain nombre en fin de vie, sont donc soumis de façon générale à un taux de mortalité élevé.

Ce climat anxiogène a surtout à voir avec un hôpital public qui fait face à une forme d’épidémie qui met beaucoup plus que d’habitude des patients en réanimation et nos personnels soignants à l’épreuve, dans un cadre de pénurie générale : lits en réanimation, respirateurs, masques, tabliers, médicaments... Tout manque ! On a traité celui-ci comme une entreprise selon les critères du management privé, pour faire toujours plus avec moins, avec des stocks à flux tendus, selon le fameux critère de l’efficience bien connu des managers. Une politique appelé cyniquement « la Modernisation de l’Action Publique » (MAP). Cette fameuse logique budgétaire inspirée par l’Union européenne, succursale de la mondialisation, censée donner confiance aux marchés, signe d’un Etat qui se désengage pour leur laisser le champ libre. Mais à la moindre menace sanitaire sérieuse, il n’y a dans ces conditions plus personne. On a beau jeu de faire des soignants des héros dans ce contexte. Il faut rappeler que quelques semaines avant cette crise, le 24 janvier 2020, 1200 médecins démissionnaient symboliquement de l’hôpital public au regard de l’insuffisance du plan d’urgence de la ministre de la Santé, dévoilé fin novembre de l’année précédente. Cela se passe presque de commentaires.

Un hôpital désarmé à l’image de la santé publique, des attaques contre la sécurité sociale dont les retraites, contre les CAF qui portent la politique familiale française, dont le personnel a été ramené progressivement à l’os avec des temps minutés pour l’accueil de chaque usager, des prestations aux seuils de plus en plus sélectifs… Des services publics en ligne de mire parce que non-rentables, l’intérêt général n’ayant rien à voir avec la logique marchande, une spécificité de notre modèle social français devenue insupportable pour ceux qui ne voit plus la France que comme une entreprise. On devra là en temps voulu faire que l’on rende des comptes.

Une crise qui renvoie aux choix de société. Au peuple de reprendre la parole !

Par ces temps d’hygiénisme où on donne dans l’alarmisme permanent, d’une écologie qui présente le retour à la nature comme salvateur face à un monde moderne responsable de tous les maux, avec des médias complaisants, mourir en raison de la moindre cause semble apparaître comme un accident évitable, comme si nous étions immortels. Mais ce sont 620.000 personnes qui décèdent par an dans notre pays, de bien des causes, et en bien plus grand nombre de vieillesse, de cancers, de maladies cardiovasculaires, d’accidents divers… La canicule de 2003 a fait 25.000 victimes, la grippe saisonnière en 2016-17,14.400, celle de 1968, 31.226 dans l’indifférence générale.

Il n’est pas question de relativiser les décès de personnes qui restent dramatiques pour leurs familles, qui doivent être soutenues, mais on ne peut pour autant être oublieux d’avoir raison gardée, au risque de verser dans une peur irraisonnée susceptible de nous éloigner des justes décisions. Il y a des équilibres à préserver au sein d’une société, et ce n’est pas que l’économie qui est mise sous conditions, mais un lien social qui était déjà bien abîmé, et se retrouve à l’épreuve, car c’est un tsunami social qui est à redouter après le confinement qui a mis tout à l’arrêt. Ce dont nos dirigeants ne semblent pas bien prendre la mesure à l’image du flottement qui domine sur le temps du confinement, les mesures à prendre pour en sortir et les moyens qui font toujours défaut, dont des masques pour chaque français ou encore les gels hydroalcooliques.

On considère le sujet majeur comme étant de savoir si l’on devra travailler plus après, à l’image de la possibilité donnée par ordonnance aux employeurs de certains secteurs de d’ores et déjà faire travailler 60 heures par semaines leurs employés, voire sept jours sur sept, ou encore d’imposer sur le temps de confinement des jours de congés payés ainsi perdus pour toujours les mêmes. Mais il y a par exemple dans cette situation des zones de non-droit où la police n’intervient pas et où se développe un peu plus une autre société, où les règles de confinement ou l’interdiction de ne sortir que seul font doucement rigoler, révélant une réalité où les fractures continuent de se creuser. Il ne faudrait pas que cette situation perdure trop longtemps car ce n’est pas l’économie qu’il faudra faire repartir, mais une nation minée par le risque d’anarchie. On voit là contrairement à l’image de l’égalité de traitement des uns et des autres se reproduire encore plus de façon évidente les inégalités, les familles de ces quartiers qui subissent ces situations étant laissées livrées à leur sort. Ce sont aussi ces quartiers et autres classes moyennes de la France périphérique, un monde rural déjà largement abandonné, qui vont payer le prix fort d’une augmentation du chômage déjà envisagée et d’une extension de la précarité.

Il y a aussi le risque de nous faire arriver, sous couvert de respect de la loi, à une nouvelle société sous contrôle, avec tracking de chacun pour vérifier si l’on respecte bien les règles d’un déconfinement pour lequel on entend se servir de tests pour dire qui est immunisé et peut circuler, avec des contraintes à définir, et qui doit rester enfermé. Ceci, alors que seul un vaccin pour ceux qui n’ont ni attrapé le virus ni s’en sont immunisés peut leur permettre de retrouver une vie normale, à moins qu’un masque pour chacun puisse satisfaire à nous protéger. On ne peut ici imposer n’importe quoi au nom de faire « le bien de tous ». Si « gouverner c’est prévoir » c’est loin d’être ce que ce gouvernement a montré, on a tout à craindre qu’il veuille nous le faire oublier en imposant un nouvel ordre, sous couvert de la promesse du meilleur des mondes, qui pourrait bien se traduire par une nouvelle forme de domination autoritaire. Le peuple devra d’une façon ou d’une autre reprendre la parole, pour dire après cette crise sanitaire, qui a révélé l’imposture du libéralisme, ce que doivent être nos grands choix de société. On ne saurait les laisser être privatisés par des médecins, même experts en la matière ou une poignée de gouvernants, à moins que les mots démocratie et liberté ne disparaissent pour un temps certain de notre vocabulaire.

Guylain Chevrier


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Crise du coronavirus (note du CLR).


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