Respublica

"Contre le total-terrorisme, quelle réponse à gauche ?" (Respublica, 15 nov. 15)

15 novembre 2015

"[...] Si aujourd’hui il est difficile de faire avec certitude la part du soutien d’une base arrière professionnelle et financière étrangère dans la perpétration des attentats de Saint-Denis et de Paris, et celle des appuis intérieurs, nous devons refuser l’idée que les seules prises de position françaises en matière internationale soient en cause (thèse des « représailles »).

Nous refuserons aussi qu’on renonce à mettre en cause l’industrie française de l’armement. La France est devenue un des plus grands marchands d’armes de la planète, les dirigeants du Grand capital y sont en lien étroit depuis des décennies avec le capital financier des pétro-monarchies du Golfe persique. Ces représentants d’authentiques États islamiques barbares sont reçus avec les égards les plus humiliants par nos gouvernants ; c’est que leurs capitaux sont devenus, depuis la crise financière de 2008, indispensables à la survie d’un capitalisme français archaïque, ce qui fait fermer les yeux sur les délits d’initiés, blanchiment d’argent mafieux, fraudes fiscales, etc., sans oublier le financement et l’encouragement de Daesh, l’ennemi qui nous fait la guerre, par l’Arabie saoudite, l’allié qui achète « nos » avions…

Aucune bataille pour l’émancipation ne peut faire l’économie de la lutte contre le terrorisme islamiste

La République et la démocratie françaises sont attaquées, mais les gauches aussi, et tout particulièrement. Le total-terrorisme islamiste, non réductible à l’Islam ni même aux fondamentalismes musulmans, constitue un projet politique tourné contre l’émancipation des hommes et des femmes et donc contre la gauche de transformation culturelle, sociale et politique. L’histoire des martyrs du djihadisme est longue. Parmi ceux-là, de très nombreux militants de la gauche, de la laïcité et du féminisme.

Mais là, l’ennemi a franchi un cran supplémentaire : ce ne sont plus les athées (Charlie Hebdo), la police (8 janvier 2015) ou les juifs (l’Hypercasher du 9 janvier 2015) mais n’importe qui vivant en France qui est visé. L’idée avait été énoncée par Ben Laden il y a déjà plus de 15 ans : ils veulent créer en France une guerre civile sur des bases religieuses. S’ils y parviennent, c’est la destruction de la gauche politique et sociale dans ce pays. Ces total-terroristes, rois du pétrole (de contrebande) et de vidéos Youtube abjectes, sont des ultra-capitalistes 2.0 d’une efficacité incroyable car ils s’appuient tout à la fois sur les vulnérabilités des démocraties et sur un projet de « civilisation (!) » qui justifie la démesure des actes.

On ne dialogue pas avec une Kalachnikov. Alors oui des mesures « régaliennes » doivent êtres prises, à la hauteur de la guerre que le total-terrorisme nous fait. Bien sûr, il faut que cette lutte se fasse sous la surveillance du droit et des citoyens, des limites doivent être posées, mais en lui assurant enfin une efficacité. De ce point de vue, comment ne pas s’interroger sur l’échec que constituent pour nos services de sécurité les massacres du 13 novembre ?

Mais comment aussi ne pas voir la faillite d’un certain discours gauchiste qui, après s’être soigneusement abstenu de participer aux immenses défilés populaires du 11 janvier, s’est consacré à lutter contre « l’hystérie sécuritaire » ? Pourtant, contre le terrorisme, il n’y avait pas « trop » de sécurité, mais pas assez.

Prévenir et réprimer, oui, mais, nous devons aussi mener la bataille de l’opinion, débattre avec les citoyens, rassembler le plus largement possible, faire converger les forces progressistes pour une réponse commune au nouveau terrorisme. Nous devons le faire avec la grande majorité des musulmans attachés aux principes républicains malheureusement bafoués tous les jours par nos dirigeants depuis des décennies, notamment en faisant la chasse à tous les actes anti-musulmans.

La gauche doit exister dans le combat antiterroriste

Comparer la situation de ce jour à celle de l’« après-Charlie », c’est d’abord montrer l’échec patent de la direction politique de notre pays qui n’a pas pris la mesure des enjeux de la situation ouverte par les massacres de janvier 2015. Le trio adulé des médias néolibéraux (Hollande-Valls-Macron, Sarkozy-Fillon-Juppé-Ciotti, la machine de Marine le Pen) a pu continuer ses conflits picrocholins pour s’assurer les parts d’audience.

La gauche ne peut disparaître dans une « union nationale » sans contenu. Elle doit féconder d’un contenu progressiste le combat antiterroriste. Le Front de gauche, en particulier, doit s’occuper de cette question, qui ne saurait être abandonnée au gouvernement. Il doit prendre des initiatives, de réflexions et d’actions. A Paris et en province. Dire clairement qu’il va nous falloir lutter en même temps contre le capitalisme, contre le communautarisme et contre l’intégrisme. Ouvrir les yeux de ceux qui, encore, s’acharnent à croire que le terrorisme est un « fantasme », alors qu’il constitue un danger mortel immédiat, ou qui s’imaginent qu’il dépérira tout seul, sous l’effet de politiques sociales, alors que les causes (au demeurant multiples et complexes) ne sauraient disparaître en un jour.

Non à l’attentisme, non à l’esquive : si on continue comme cela, ce sera comme à la fin de la IVe République, mais en plus grave : un coup de massue électoral en 2017 et/ou un coup d’Etat institutionnel mettant au pouvoir la machine Le Pen alliée à une partie de la droite traditionnelle, pour le pire assuré.

La résistance aux politiques socio-libérales continue, n’en déplaise à Hollande-Valls-Macron qui accélèrent le cours des réformes destructrices contre nos acquis sociaux. Mais cette résistance ne saurait servir d’excuse pour éviter d’aborder de front les questions spécifiques que nous pose le total-terrorisme. [...]"

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