Conférence-débat organisée par le CLR à l’Assemblée nationale

Conférence-débat pour le centenaire de la Loi de 1905 (17 nov. 05) : intervention de Philippe Foussier

Président du CLR 2006

Monsieur le Président,

Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et anciens parlementaires,

Citoyennes, Citoyens, Chers amis,

Nous sommes réunis ce soir pour célébrer la loi de 1905 au sein même de l’Assemblée nationale, qui a pris une très large part à son élaboration, et il ne pouvait exister meilleur symbole pour cette célébration. Je veux surtout remercier M. Jean-Louis Debré, qui nous accueille ce soir salle Colbert et ensuite à l’Hôtel de Lassay. Sachez, Monsieur le Président, que le Comité Laïcité République est très sensible à l’invitation que vous lui faites. Merci également à vos collaborateurs qui nous ont aidés à organiser cette soirée.

Le CLR a été créé au moment de la première affaire du voile islamique à Creil, sur la base de l’appel que lancèrent aux enseignants le 2 novembre 1989 dans Le Nouvel observateur Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler ; « Profs, ne capitulons pas ! », disaient ils alors, tandis que le ministre de l’Education nationale refusait de prendre ses responsabilités politiques. Pendant 15 ans, cette affaire a empoisonné la vie de dizaines de collèges et de lycées jusqu’à ce que la loi du 15 mars 2004 mette un terme à cette ambiguïté, à cette irrésolution, de la République.

Mais avant cette loi, sur laquelle je reviendrai, il y a eu celle du 9 décembre 1905, instaurant la séparation des églises et de l’Etat. Une loi qui a créé un équilibre sur lequel nous vivons toujours même s’il nous paraît parfois mis à mal. A l’époque, Aristide Briand, grand artisan de son élaboration, avait contre lui à la fois l’église catholique et les plus déterminés des antireligieux. Il a emprunté la voie médiane et il a bien fait : elle garantit la fin de l’emprise du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel et elle permet à chacun de vivre sa foi ou son absence de foi dans le respect mutuel. Elle est une loi de sagesse et d’équilibre. A nos yeux, elle aurait mérité un engagement de l’Etat à un niveau supérieur que celui qu’a voulu lui donner le gouvernement précédent en faisant de l’Académie des sciences morales et politiques le pilote de ce centenaire. Une mission nationale de célébration, comme celle qui avait existé pour le centenaire de la loi de 1901, aurait permis de signifier mieux encore l’attachement des plus hautes autorités de l’Etat à cette grande loi. Mais nous sommes très satisfaits de voir combien le premier des parlementaires français que vous êtes, Monsieur le Président, s’engage dans cette célébration.

Mais avant 1905, l’oeuvre législative n’avait pas été négligeable, en commençant par celle de la Révolution qui, le 18 septembre 1794 (2e sans-culottide an II), prononça la première Séparation, bien vite abolie avec le Concordat napoléonien. Il y eut bien sûr la série des lois des années 1880 sur la laïcisation des lieux publics, sur la création de l’école publique, gratuite et laïque, celle aussi de 1884 qui mit fin aux prières publiques à l’ouverture des sessions parlementaires… Et puis nos Constitutions, celle de 1946 puis celle de 1958 - cette dernière devant beaucoup à Michel Debré -, ont affirmé, plus encore solennisé, le caractère laïque de la République, ce qui donne à la France cette singularité tantôt enviée par ceux qui aspirent au-delà de nos frontières à la liberté absolue de conscience, tantôt critiquée par ceux qui doutent de la pertinence de l’humanisme, une philosophie à laquelle nous sommes particulièrement attachés parce qu’elle laisse à l’homme le soin de déterminer lui-même les bornes de sa conscience.

2005 aurait pu être un centenaire désespérant pour la laïcité. Or, depuis quelques années, que de progrès réalisés ! Il y a 10 ou 15 ans rappelons-nous, les associations laïques étaient sur la défensive, le combat laïque cantonné à un quasi-ghetto. Je nous invite à regarder la situation de façon positive. Nous avons d’excellentes raisons d’être des militants laïques confiants et satisfaits à bien des égards de la France et de l’Europe.

En quelques années, la laïcité a donc quitté le seul terrain des débats entre organisations laïques pour investir, et avec quelle puissance, le débat public. Depuis 1905, la laicité n’avait connu que des reculs, que des atteintes, depuis la loi du 31 décembre 1959 sur l’école privée jusqu’aux accords Lang-Cloupet, du recul de 1984 à l’offensive Bayrou en 1994. Sans même évoquer l’entreprise singulière menée de 1940 à 1944 par l’autorité de fait dite de l’Etat français. Pendant près d’un siècle, les laïques, après 1905, ont subi des offensives cléricales en étant rarement en mesure de les contrer.

Mais en juillet 2003, le président de la République initie un débat public sur la laïcité, créant la Commission Stasi, qui aboutira à la seule avancée législative laïque depuis un siècle avec la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école. La laïcité a marqué un point. Elle n’a plus reculé, elle a réaffirmé sa pertinence, sa modernité, et de surcroît par l’acte le plus solennel : celui de la loi.

Et à cet instant, Monsieur le Président, je voudrais souligner le rôle éminent que vous avez joué : alors que la Commission Stasi débutait ses travaux, le président de l’Assemblée nationale créait ici même une Mission d’information sur la seule question des signes religieux à l’école publique. Et pour souligner l’attachement que vous portiez à cette question, vous présidiez vous-même cette mission d’information, dirigiez tous ses travaux, en marquant le souhait que la représentation nationale prenne ses responsabilités devant les citoyens. Ce n’était en effet, comme vous l’avez souligné ensuite, « ni au juge, ni à la presse, ni même à l’opinion et moins encore à la religion de déterminer ce que doit être la laïcité, mais au Parlement ».

La France a ainsi marqué à nouveau son attachement à ce principe. Fustigé par les régimes cléricaux, attaqué par les dignitaires religieux, stigmatisé par les Etats-Unis d’Amérique, notre pays a fait face. Et la catastrophe que certains prédisaient après le vote de cette loi ne s’est en rien produite. On nous promettait les foudres de la Cour européenne des droits de l’homme, des écoles coraniques par centaines, des collèges à feu et à sang… Vous le savez, certains minorent le rôle de cette loi, le rôle de la loi en général. Pour notre part, nous voyons dans la loi, dans cette loi en particulier, un engagement clair de la représentation nationale, à la quasi-unanimité, en faveur d’une réaffirmation du principe de laïcité, qui plus est dans ce lieu capital pour la citoyenneté républicaine qu’est l’école.

Au-delà du contexte national, nous pouvons aussi nous réjouir du rejet de la Constitution européenne qui, vous le savez, dans son préambule comme dans deux de ses articles, malmenait gravement la laïcité. Cette Constitution, nos concitoyens l’ont rejetée à une majorité confortable. Mais auparavant, le Président de la République et le Premier ministre s’étaient battus, seuls contre tous les dirigeants européens, pour faire disparaître du préambule les références aux racines chrétiennes de l’Europe. Ils avaient partiellement obtenu gain de cause en dépit de l’acharnement du Vatican, de la Pologne ou de l’Italie à revendiquer cet héritage. Certes, il restait dans ce texte de sérieuses atteintes à la laïcité, qui ont d’ailleurs conduit le CLR à se prononcer contre son adoption. Mais les plus hautes autorités de l’Etat, à l’époque Jacques Chirac et Lionel Jospin, ont préféré déplaire au Vatican qu’aux citoyens attachés à la laïcité. J’y vois un signe encourageant pour notre combat.

Une nouvelle Constitution européenne sera probablement présentée aux Français d’ici quelque temps : pouvons-nous vous demander de peser de votre autorité pour que ce texte soit un texte d’inspiration laïque ? Ne pouvons-nous pas imaginer une rédaction qui laisse les religions en dehors de la sphère publique et qui respecte autant les non-croyants que les croyants ? Est-ce vraiment trop demander ?

Bien entendu, dans ce paysage institutionnel qui pourrait être plus défavorable, il y a des raisons de demeurer vigilants. Nous sommes ainsi inquiets lorsque des tribunaux rétablissent le délit de blasphème, au pays de Voltaire. En outre, l’obsession d’un membre du gouvernement à vouloir réviser la loi de 1905 n’est pas de bon augure. Son ingérence dans les affaires internes d’une religion, l’islam, nous entraîne dans un processus dont nous ne mesurons pas encore tous les risques. La République veut ainsi régler les problèmes des responsables religieux musulmans ? Un jour, ceux-ci, logiquement, revendiqueront la réciproque et diront à l’Etat comment il faut qu’il s’adapte aux préceptes de l’islam. D’ailleurs, pour la première fois sur notre territoire, une fatwa a été prononcée par l’UOIF début novembre.

En entendant certains responsables politiques s’exprimer, on se dit que la filiation historique du concordat napoléonien est assurée. On s’adresse ainsi aux hommes et aux femmes d’origine musulmane comme s’ils étaient tous croyants et pratiquants comme on n’oserait pas le faire avec les catholiques, en escomptant que les imams jouent le rôle de gardiens de la paix. Que les dignitaires religieux aient une emprise sur les consciences nous paraît suffisant ; leur assigner en plus des missions de maintien de l’ordre nous semble un pari hasardeux.

Républicains et laïques, nous croyons en l’homme et militons pour que les citoyens soient dégagés de la gangue de leurs origines ethniques, familiales, culturelles, régionales, bref de leur communauté, surtout lorsque ces communautés enferment et empêchent l’émancipation. Nous nous dressons contre cette conception communautariste, différentialiste, qui trouve un écho parfois complaisant chez ceux qui prétendent remédier aux inégalités sociales par le gadget dangereux de la discrimination positive. Nous croyons en la capacité de tout homme, de toute femme, à se projeter dans un autre destin que celui que déterminent ses origines.

Monsieur le Président, vous affirmiez au printemps dernier que « la laïcité n’a pas besoin de longs développements législatifs pour exister, elle a besoin de vigilance ». Au-delà des opinions et des sensibilités, nous avons constaté votre détermination à élaborer une loi efficace et concise pour la laïcité, mais nous savons que tous les problèmes ne sont pas réglés, ni à l’hôpital, ni dans les entreprises, ni même à l’école lorsque par exemple des élèves refusent certains enseignements, certains professeurs en raison de leurs origines ou demandent à être servis par des personnels de cantine de même confession qu’eux. De notre côté, nous continuerons à être vigilants. Mais aussi confiants dans notre Parlement. Vous y êtes personnellement pour beaucoup.


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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