Lettre ouverte aux citoyens d’Alsace et de Moselle

Concordat : pour une nouvelle nuit du 4 août (22 déc. 14)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 22 décembre 2014

Lettre ouverte aux citoyens d’Alsace et de Moselle

Concordat : pour une nouvelle nuit du 4 août

par Patrick Kessel,
Président du Comité Laïcité République

Chers amis, citoyens d’Alsace et de Moselle,

L’histoire, comme vos hivers froids et secs, a été rigoureuse pour l’Alsace et la Moselle, en première ligne des trois terribles conflits entre l’Allemagne et la France, transbahutées entre deux nations, deux cultures, deux langues, deux systèmes juridiques. Rattachés à la France en 1919 vos départements, qui avaient été annexés en 1871, ont conservé de la législation allemande des dispositions juridiques et un statut concordataire, qui font de votre région une terre d’exception au cœur de la République. Cette situation dérogatoire qui devait être transitoire doit-elle être préservée ?

Le débat n’est pas nouveau. Les républicains laïques réclament depuis 1919 que la loi de séparation des églises et de l’État, qui garantit la liberté de conscience et donc la liberté de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun, soit appliquée sur tout le territoire national. Pourquoi dès lors vous interpeller en cette fin 2014, alors que les voix des conservateurs de la politique et de la religion font chorus pour ressasser que la question ne se poserait pas ?
Profondément attachés à leur culture régionale, les Alsaciens seraient arc-boutés à leur statut. Mais de quoi parle-t-on ? De culture, de langue ? En quoi l’adhésion à la loi commune leur porterait-elle atteinte ? L’universalisme des principes républicains ne vise pas à uniformiser les différences mais à asseoir la liberté et l’égalité des droits.
S’agit-il de défendre le droit local, hérité du droit allemand, qui comporte des dispositions plus avantageuses dans certains domaines que le droit français ? Mais personne ne souhaite l’abroger et il serait même possible d’envisager son élargissement à tous les citoyens.
Ou bien, s’agit-il de défendre le concordat, texte vétuste qui fait obligation à l’État de financer la religion, en tout cas certaines d’entre elles puisque l’islam notamment en est exclu ? Discriminatoire et dérogatoire, le concordat est aussi en pleine contradiction avec les principes constitutionnels qui définissent la République comme indivisible, laïque, démocratique et sociale. Les arrêts des plus importantes instances juridiques permettent de cacher la poussière sous le tapis. Ils ne répondent pas aux problèmes de fond. Le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs pris soin de rappeler que rien n’est gravé dans le marbre puisque le Parlement dispose de toute latitude pour légiférer.

Pourquoi relancer ce débat que les majorités politiques trouvent toujours opportun de reporter à plus tard, le politiquement correct conduisant à ne faire aucune vague et à délaisser les sujets délicats ?
En fait, nous sommes inquiets de la montée des communautarismes identitaires, religieux, ethniques, régionalistes qui, au nom du droit à la différence, engendre la différence des droits. Des différencialismes qui nourrissent en retour la montée de l’extrême-droite. Vous le constatez comme moi, cette dynamique inquiétante dépasse largement les intérêts de votre seule région et concerne désormais toute la nation.

Comment en effet expliquer à de jeunes français issus de l’immigration qui revendiquent pour certains des dérogations à la loi commune que la République est légitime à leur refuser alors qu’elle accepte des dérogations aux Alsaciens et aux Mosellans ? Du coup, on comprend le sentiment d’injustice que certains expriment.
Comment, en effet, justifier que le principe "mêmes droits, mêmes devoirs pour tous", quels que soient les origines, la couleur de la peau, les appartenances religieuses, philosophiques, sexuelles, soit bafoué en terre concordataire ? Y aurait- il des identités plus fortes que d’autres, dont les règles seraient supérieures aux principes universalistes de la République ?
Imagine-t-on cette République négocier avec les Corses, les Bretons, les Basques, les Provençaux, les Picards, avec les asiatiques du quartier chinois de Paris, les afro-antillais de métropole, avec les communautés musulmane, juive, arménienne, avec les églises évangélistes, les bouddhistes, les sikhs, les hindouistes des droits spécifiques en fonction des appartenances communautaires ?
Accepterait-on que la République finance un enseignement religieux ou philosophique pour chaque « communauté » ? Qu’elle subventionne les associations d’agnostiques, d’athées, de libre-penseurs et leur érige des temples à la gloire de la Raison ? En retour, est-il acceptable que les impôts de tous les citoyens, croyants et incroyants, financent prêtres, pasteurs, rabbins de votre région ?
Poser cette question n’est pas faire preuve d’irrespect par rapport à vos traditions. D’ailleurs l’évêque de Guyane, territoire régit par une disposition de type concordataire instaurant le financement de la seule église catholique par le budget départemental, a lui-même récemment déclaré qu’à condition « de laisser du temps au temps », il « ne trouverait pas choquant qu’un jour les chrétiens de Guyane payent leur clergé ».
 
Disons-le sans ambages, alors que se développent inégalités sociales et replis identitaires, le concordat fait tache. Voilà pourquoi il fait sens de s’interroger, ici et maintenant, sur la pérennité d’un statut profondément inégalitaire. Les athées, les agnostiques mais aussi les musulmans, les bouddhistes, les hindouistes, les sikhs sont ainsi exclus de la manne de l’État qui consacre environ 65 millions d’euros par an au financement du concordat. Seraient-ils moins citoyens que les autres ?

À reporter sans cesse la recherche d’une solution de transition, on prend le risque de devoir traiter la question à chaud. Qu’adviendra-t-il le jour où, saisie d’une plainte pour discrimination, la Cour européenne des droits de l’Homme condamnerait la France ? Une situation qui se révèlerait d’autant plus embarrassante que des dispositions juridiques interdisent d’élargir le périmètre du champ d’application du concordat. Faut-il toujours dans notre pays que les situations atteignent leur point de fusion pour que les problèmes soient traités ?

Voilà pourquoi le Collectif des associations laïques nationales et d’Alsace-Moselle a proposé de traiter le sujet à froid et de travailler à un projet d’application graduelle et concertée de la laïcité sur tout le territoire national. Une proposition qui ne modifierait aucun des avantages sociaux du droit local, n’entraverait nullement la liberté de pratiquer un culte et mettrait tous les citoyens sur un pied d’égalité. Un symbole très fort à un moment où notre société a besoin d’égalité et de rassemblement.

L’Observatoire de la laïcité a décidé d’ouvrir une réflexion sur le sujet et d’auditionner les différentes sensibilités régionales. C’est une bonne décision car on ne gagne jamais à glisser la cendre sous le tapis. Pour autant, sans préjuger de rien, il semble peu vraisemblable, au vu de l’influence des églises sur les politiques de droite comme de gauche, qu’il en sorte un avis en ce sens.
On peut cependant espérer qu’il sera proposé, a minima, d’en finir avec l’enseignement religieux obligatoire (sauf dérogation) dans les écoles publiques ainsi qu’avec l’interdiction du blasphème. Ce serait là une première étape en attendant qu’on en vienne à la République laïque sur tout le territoire comme l’imaginaient, voilà un siècle, ceux qui périrent dans les tranchées pour libérer ces départements.

On peut rêver que les Alsaciens et les Mosellans, à la façon des députés de 1789 abrogeant les privilèges de la noblesse une certaine nuit du 4 août, demandent à leurs parlementaires de proposer l’abolition du concordat. Cela ne manquerait pas de panache dans un monde politique où l’audace fait cruellement défaut. Les rêves sont faits pour inspirer la réalité. Aussi, en cette période propice aux voeux, je forme celui-là. Cela dépend de vous, amis et citoyens d’Alsace et de Moselle.

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République
Décembre 2014


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