Revue de presse

"Comment Macron a « dealé » avec l’Arabie saoudite pour réguler le pèlerinage" (lopinion.fr , 4 oct. 20)

5 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le chef de l’Etat a annoncé que le pèlerinage des musulmans de France serait enfin réglementé. Le résultat de trois ans de discussions avec les Saoudiens, entre diplomatie parallèle et dîners d’Etat

Par Ivanne Trippenbach

« La structuration du pèlerinage du hajj apportera des financements nécessaires [à la formation des imams en France]. Nous avons conduit un très gros travail avec l’Arabie saoudite pour réglementer celui-ci », a déclaré Emmanuel Macron aux Mureaux (Yvelines), vendredi. Cette phrase perdue au milieu du discours contre le « séparatisme islamiste » est le fruit de discussions secrètes menées trois ans durant.

Avril 2018. Emmanuel Macron s’entretient avec Mohammed ben Salmane, prince héritier et vice-Premier ministre d’Arabie Saoudite, à l’Elysée. Désireux de bâtir une vraie « stratégie commune » avec Riyad, le chef d’Etat aborde un dossier jusqu’ici négligé dans la relation bilatérale : le pèlerinage des Français à La Mecque. Chaque année, 20 000 à 25 000 personnes entreprennent le hajj, grand pèlerinage, et environ 80 000 le petit pèlerinage, omra.

Ce business religieux officie en toute opacité. Le prix du circuit sacré — un « pack » comprenant billet d’avion, hôtel, déplacements en bus et nuits sous tente : 5 500 à 7 000 euros, soit 30 à 50 % plus cher qu’en Allemagne, en Belgique ou en Angleterre. Son coût a plus que doublé en dix ans. « La demande dépasse le quota de visas accordé par le ministère saoudien du Pèlerinage, explique un familier du dossier. Et le hajj constitue une rente, puisque c’est le cinquième pilier de l’islam, à accomplir une fois dans sa vie. »

Une profusion d’intermédiaires en tirent profit, depuis l’agence de voyages jusqu’au guide local. Autant d’occasions de grasses commissions et d’arnaques rocambolesques… Ces activités ne sont pas spécifiquement réglementées : en dehors des cas de fraudes, l’Etat ne peut fourrer son nez dans les affaires religieuses. Depuis 2008, le ministère saoudien du Pèlerinage publie la liste d’agences autorisées à vendre le hajj chaque année. Mais un « marché noir » prospère, les agences officielles revendant illégalement des visas à des agences sous-traitantes, qui elles-mêmes payent des rabatteurs.

« Certains sont des escrocs, d’autres des incompétents. L’organisation du pèlerinage est comme un château de cartes ; une carte bouge, et tout s’écroule », raconte Abdelali Mamoun, imam chargé du hajj dans le sud de Paris. Chaque année, 2 000 à 4 000 croyants apprennent au dernier moment qu’ils ne partent pas, parfois sans être remboursés. « On a vu des escroqueries de grande envergure : une compagnie aérienne vend deux fois les 300 sièges d’un avion. Quelqu’un au consulat fait ensuite monter les enchères entre deux agences pour donner les visas à la mieux offrante », rapporte le responsable d’une agence francilienne.

D’autres mauvaises surprises surviennent sur place. Comme lorsque ce groupe de fidèles apprend à La Mecque que l’agent d’hôtellerie a vendu un même lit à deux ou trois personnes, avant de disparaître dans la nature… Avec 2,5 à 3 millions de croyants circulant sur les lieux saints, la moindre négligence peut virer au drame. « Il suffit qu’un bus tombe en panne ou qu’il manque des sacs à glaçons. Un pèlerin de 70 ans qui passe 2 heures sous le soleil, en tenue de sacralisation [étoffes blanches sans protection pour la tête], il meurt d’insolation. Le soleil d’Arabie n’est pas celui de la Côte d’Azur ! », relate l’imam Mamoun.

Le grand pèlerinage est équivalent à 80 Coupes du monde, abonde un coreligionnaire : « Les humains deviennent du bétail. Quand 300 000 personnes se déplacent à pied vers Arafat, il suffit qu’une barrière entre les deux chemins soit percée pour que le flux parte à contresens. Un mouvement de foule peut faire des milliers de morts ». Après des bousculades meurtrières ces dernières années, les autorités saoudiennes ont durci les amendes contre les agences défaillantes.

Mais une autre dérive, idéologique cette fois, inquiète les autorités françaises. Des agences peu regardantes se fient à des prédicateurs qui font office de guides, tout au long du voyage de Djeddah à La Mecque, Mina, Arafat, Muzdalifa… « Dans les bus, des accompagnateurs de l’université de Médine racontent au micro des histoires sur le prophète selon une version salafiste », témoigne un pèlerin. Des milliers de croyants rentrent ensuite en France, imprégnés d’une vision fondamentaliste de leur périple.

Très vite, Emmanuel Macron a voulu réguler le pèlerinage des musulmans de France. En 2017, l’idée lui avait été soufflée par Hakim El Karoui, auteur du rapport L’islam, une religion française. Ce dernier est allé tâter le terrain auprès du ministre saoudien du pèlerinage l’année suivante. Une initiative jugée « atypique » au Quai d’Orsay, où l’on se méfie de la « diplomatie off » d’un électron libre à qui l’on prête l’oreille du président de la République. Puis les Affaires étrangères s’emparent du dossier, sous l’impulsion de l’ancien consul général de France à Jérusalem, Pierre Cochard, et du conseiller aux affaires religieuses, Jean-Christophe Peaucelle.

Les discussions diplomatiques avancent discrètement. Fin 2018, l’affaire Khashoggi, du nom du journaliste assassiné au consulat saoudien à Istanbul, glace les relations avec l’Arabie Saoudite ; Emmanuel Macron annonce au roi Salmane que la France soutiendrait des sanctions internationales. « Il devenait hors de question de signer un protocole officiel avec les Saoudiens sur le pèlerinage. La France aurait été accusée de vendre l’islam de France à l’Arabie Saoudite », explicite un haut fonctionnaire au cœur du dossier. Un diplomate impliqué ironise : « Si on ne fait de la politique qu’avec Greta Thunberg et les blogueurs, on ne change pas la planète. »

Début 2019, le deal est clair. Les diplomates français suggèrent aux autorités saoudiennes de laisser la France « moraliser » le secteur grâce à un certificateur de ses agences, qui percevra une ressource pour le culte musulman. « Ce nettoyage a deux intérêts pour l’Arabie Saoudite : améliorer son image, qui souffre des magouilles et des accidents, et arrêter de partager la manne avec des intermédiaires indésirables », résume un connaisseur. Après le pétrole, le tourisme religieux représente la deuxième source de revenus du royaume, avec des dizaines de milliards d’euros par an. Les Saoudiens acceptent, à condition que la France désigne elle-même son certificateur. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) et l’Association musulmane pour l’islam de France (Amif) y travaillent.

Le futur régulateur contrôlera les agences. « L’Amif pourra vérifier la qualité des prestations selon une grille de certification », suggère Hakim El Karoui, son fondateur. Aux Saoudiens, ensuite, de rayer de leur liste les structures non conformes au cahier des charges français. Une avancée qui ne nécessite ni traité, ni accord écrit. « Tout repose sur la bonne volonté des Saoudiens. Avec eux, le diable est dans les détails », souffle un acteur du dossier. Des détails, il en reste beaucoup à régler. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé la suppression des imams et enseignants détachés, un fundraising par le pèlerinage doit être créé de toutes pièces. En attendant un audit du secteur, les acteurs impliqués espèrent au moins 4 millions d’euros par an."

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