2 septembre 2015
"Quand on évoque, en France, la liberté de conscience à propos de l’islam, c’est usuellement pour affirmer que l’Etat doit laisser les musulmans libres de suivre les préceptes de leur religion, en particulier dans ce qui touche au port d’une tenue islamique. L’invocation de cette liberté conduit parfois à critiquer vertement l’interdiction du port de la burqa. Mais, une autre dimension de la liberté de conscience, telle que la définit la Déclaration universelle des droits de l’homme, est largement passée sous silence : le droit de ne pas être contraint à suivre les préceptes d’une religion.
On oublie dès lors le rôle que l’Etat doit jouer dans la protection de la liberté de conscience des personnes nées dans l’islam face aux pressions communautaires qui visent à assurer le respect des préceptes islamiques, de l’observation du ramadan à l’interdiction de quitter l’islam pour se convertir à une autre religion ou à celle pour une musulmane d’épouser un non‐musulman. On sait combien, dans les pays où l’islam a prévalu, la liberté de conscience est réduite. L’apostat qui, dans certains de ces pays risque la mort, encourt souvent une sorte d’anéantissement social, même là où ses jours ne sont pas en danger. Jusque dans des pays d’islam modéré, comme le Maroc, la loi empêche une musulmane d’épouser un non‐musulman et punit de peines de prison le non‐respect du ramadan. La population, prête à dénoncer les coupables, concourt à la mise en œuvre d’une forme de police islamique.
En France, les « mauvais musulmans » n’ont, certes, rien à craindre des lois de la République. Mais ils ne sont pas libres pour autant, face à la pression communautaire à laquelle ils sont soumis. Innombrables sont les témoignages en ce sens, qu’ils concernent les établissements universitaires, la vie des quartiers à forte présence musulmane ou les prisons. Officiellement, les responsables du culte musulman ne sont pour rien dans cette situation. Si, au moment de la création du Conseil français du culte musulman, les organisations le composant ont refusé de reconnaître explicitement le droit d’un musulman à quitter l’islam, c’est en affirmant que leur demander de se prononcer sur ce sujet constituait à leur égard une exigence discriminatoire, et que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales suffisait à assurer ce droit.
Mais, comme ces responsables n’ont pas pris leurs distances de manière claire par rapport aux préceptes de l’islam entravant la liberté de conscience, ils alimentent la conviction des « vrais musulmans », selon laquelle la pression qu’ils exercent sur leurs coreligionnaires qui quittent le droit chemin est légitime. Et, à ce titre, l’islam pratiqué en France est loin de faire bon ménage avec les droits de l’homme. Face à cette situation, les responsables politiques sont embarrassés. Pour être efficace, une entrave communautaire à la liberté n’a pas besoin de violer ouvertement la loi. Un mélange insidieux d’intimidation, de pression morale, de menace d’ostracisme suffit. On en a eu un exemple en Egypte dans la manière dont, au cours des dernières décennies, les Frères musulmans ont imposé progressivement une islamisation de la tenue des femmes.
La célèbre pièce d’Ionesco, Rhinocéros [1959], fournit une parabole éloquente des processus qui sont à l’œuvre. La crainte d’être accusé d’islamophobie dissuade de reconnaître l’existence d’un tel phénomène. Ainsi, il y a quelques années, un rapport de l’inspection de l’éducation nationale, qui le mettait en évidence dans les établissements d’enseignement, a été mis au fond d’un tiroir. Certes, un moyen de combattre la pression communautaire sans stigmatiser l’islam est de brandir l’étendard de la laïcité face à toutes les religions, en rappelant, pour faire bonne mesure, l’Inquisition, même si, de fait, dans la France d’aujourd’hui, c’est bien l’islam qui fait spécifiquement question. C’est à une telle démarche qu’on a eu recours, en s’abritant derrière une interdiction générale des signes religieux ostentatoires, pour prohiber la tenue islamique à l’école.
Mais nul n’ignore que c’est l’islam seul qui est alors en cause, ce qui est source de malaise, et les domaines où la pression communautaire s’exerce dépassent largement ceux pour lesquels il est légitime de mettre la laïcité en avant. Pour réagir à cette situation, qui alimente la vision très négative de l’islam qui prévaut dans la société française, un premier pas serait de recenser officiellement les actes de pression communautaire, de la même façon qu’on le fait pour les actes islamophobes. Dès lors, les autorités de l’islam de France devront prendre position par rapport à ces actes, sortir ainsi de leur attitude équivoque et dire clairement si, oui ou non, elles veulent promouvoir en France un islam qui, respectueux de la liberté de conscience, prend ses distances avec l’islam pratiqué dans les pays musulmans."
Lire "Combattons la pression communautaire sans stigmatiser l’islam".
"Jean-Pierre Augustin, professeur émérite de géographie à l’université Bordeaux-Montaigne ;
Pierre-Yves Beaurepaire, professeur d’histoire à l’université Nice-Sophia-Antipolis ;
Dominique Bourg, professeur de philosophie à l’université de Lausanne ;
Fabrice Bouthillon, professeur d’histoire à l’université de Brest ;
Michel Bozdémir, directeur des études turques à l’Institut national des langues et civilisations orientales ;
Jean-Claude Cheynet, ancien directeur de l’Institut d’études byzantines du Collège de France, professeur d’histoire à l’université Paris-Sorbonne ;
Gérard-François Dumont, professeur de géographie à l’université Paris-Sorbonne ;
Franck Fischbach, professeur de philosophie à l’université de Strasbourg ;
Michel Guérin, professeur émérite de philosophie à l’université d’Aix-Marseille ;
André Gueslin, professeur d’histoire à l’université Paris-Diderot ;
Philippe d’Iribarne, directeur de recherche en sociologie au CNRS ;
Pascal Jan, professeur de droit à Sciences Po Bordeaux ;
Gérard Jorland, directeur de recherche en philosophie au CNRS et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ;
Jacqueline Lalouette, professeure émérite d’histoire à l’université Lille-III ;
Nicole Lemaitre, professeure émérite d’histoire à l’université Panthéon-Sorbonne ;
Anne-Marie Le Pourhiet, professeure de droit à l’université Rennes-I ;
Frédéric Nef, directeur d’études en philosophie à l’EHESS ;
Etienne Picard, professeur émérite de droit à l’université Panthéon-Sorbonne ;
Yves-Charles Zarka, professeur de philosophie à l’université Paris-Descartes."
Comité Laïcité République
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