Revue de presse

"Collisions sociétales chez les socialistes" (E. Conan, Marianne, 16 oct. 15)

20 octobre 2015

"La gauche en dit souvent plus quand elle se tait. Ses partis, ses journaux, très bavards pour dénoncer l’intolérance, la discrimination et les « phobies », ont parfois des absences surprenantes. Des grands blancs incompréhensibles. Ainsi de la première condamnation judiciaire d’une élue pour refus de mariage homosexuel. Un événement passé à la trappe. Pas d’articles pour accabler la coupable. Pas de communiqués pour saluer la décision des juges. De la prison avec sursis. Une sévérité réclamée par anticipation lors du vote de la loi du 17 mai 2013. Son application, promettaient tant d’éditorialistes, ne devrait accepter le moindre indice d’homophobie. Leurs journaux la débusquaient à longueur de reportage et de numéro spécial. Les mêmes se taisent depuis quinze jours après le jugement du tribunal de Marseille condamnant la maire adjointe du 8e secteur de la ville à cinq mois de prison avec sursis et à 2 700 € pour « discrimination en raison de l’orientation sexuelle commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ». Parce qu’il y a un os. La condamnée est élue socialiste.

Après avoir procédé à quatre mariages hétérosexuels, le 16 août 2014, Sabrina Hout s’était défaussée devant celui d’Hélène Burucoa et Claude Génart. Elle en confia la tâche à un élu non habilité moyennant un faux en écriture. C’est Samia Ghali, maire socialiste du 8e secteur, qui a annoncé plusieurs semaines après aux deux épouses la nullité de leur mariage. Expliquant que son adjointe avait été « contrainte par ses frères de ne pas célébrer ce mariage contraire à leur religion ». Et leur proposant de le recélébrer elle-même. De son côté, le procureur avait classé l’enquête avec un simple rappel à la loi, estimant que la fautive avait « eu peur de se mettre en porte à faux par rapport à son environnement ». [...]

« Notre seule volonté était que ce scandale éclate et que cela se sache », disent les plaignantes. Raté. Trop compliqué. Les journaux ont préféré en faire des tonnes sur une collègue de Sabrina Hout. L’horrible Kim Davis, cette greffière refusant d’enregistrer les mariages homosexuels. C’est au Kentucky. Et elle est chrétienne évangélique.

Au même moment, dans une autre ville française, une autre de ses élues embarrassait le Parti socialiste. Conseillère régionale, Céline Pina n’a pas supporté qu’un « Salon de la femme musulmane » invite à Pontoise des imams connus pour justifier le viol conjugal et recommander aux femmes de se voiler si elles ne veulent pas se faire agresser. Elle explique le silence de ses collègues élus par le « clientélisme communautariste » : « Pour des partis exsangues, sans vision ni repères, c’est le seul moyen de contrôler des territoires et d’assurer la pérennité de leur pouvoir, serait-ce au prix de la trahison des principes. » Là aussi, il y a un os. « Ce clientélisme est incompatible avec la défense de l’égalité hommes-femmes », ajoute-t-elle en évoquant le témoignage de l’une de ses connaissances, résolue à porter le voile pour avoir la paix à force d’intimidations, s’estimant trahie par les élus : « Là où l’on croise le plus les politiques, c’est quand ils viennent faire leur marché à la mosquée et pour l’Aïd. Ils sont bras dessus, bras dessous avec ceux-là mêmes qui nous mettent la pression. Entre dominants, ils se sont reconnus et, nous, ils nous ont passées par pertes et profits. »

[...] Pas une grande voix de la Rue de Solferino n’a répondu à Céline Pina. Le responsable départemental de son parti ne s’est exprimé que pour démentir son exclusion. L’actualité du PS, c’est la sortie du livre de Cambadélis : A gauche les valeurs décident de tout.

Ce mutisme socialiste face aux cas Sabrina Hout ou Céline Pina exprime le deuil de la fameuse ligne Terra Nova. Ce think tank très écouté suggérait au PS d’assumer sa mutation sociale-libérale en abandonnant « l’électorat historique » des catégories populaires agrippées à des revendications sociales archaïques et des valeurs culturelles conservatrices. Pour miser sur une « nouvelle coalition » : « La France de demain » rassemblant autour des « valeurs de tolérance » les cadres diplômés, les femmes, les jeunes, les minorités sexuelles et les populations d’origine immigrée. C’est parce que ce programme Terra Nova a explosé que les socialistes se taisent. Ils réfléchissent. Ils n’en ont pas d’autre."

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