Revue de presse

S. Tomeï : Clemenceau au-delà des clichés

par Philippe Foussier 20 janvier 2009

Samuël Tomei, Clemenceau le combattant, La Documentation française, collection Tribuns, 120 p., 10 €.

Pour être courte, la biographie de Clemenceau que vient de publier Samuël Tomei n’en est pas moins extrêmement réussie. En une centaine de pages, dans une nouvelle collection, Tribuns, coéditée par la Documentation française et l’Assemblée nationale, l’auteur nous propose en effet un panorama synthétique mais dense de la vie de ce « combattant » que fut Clemenceau. Et nous permet de sortir des caricatures souvent proposées sur ce personnage haut en couleur et en caractère, qui n’émanent pas seulement des milieux gauchistes.

Né en 1841 en Vendée, Clemenceau sera fortement marqué par l’image de son père, violemment opposé au Second Empire, et qui sera incarcéré un temps parce que soupçonné d’avoir participé à un attentat contre Napoléon III. Le jeune Clemenceau lui-même sera emprisonné pour avoir manifesté, en 1862, à l’occasion de l’anniversaire de la IIe République. Résolument hostile au régime, il fait la connaissance de Blanqui, à qui il apportera tous les jours pendant un an des oranges en prison, lors d’un des nombreux épisodes d’incarcération du célèbre socialiste révolutionnaire.

Maire de Montmartre au moment de la Commune de Paris, à seulement 29 ans, Clemenceau nouera à cette occasion, lui le « médecin des pauvres », une amitié durable avec Louise Michel, l’institutrice, grande figure de l’anarchisme. S’il adhère à beaucoup des points du programme de la Commune, Clemenceau rejette en revanche la violence révolutionnaire. Toute sa vie, d’ailleurs, il fera preuve d’une grande indépendance tant vis-à-vis de sa gauche que de sa droite.

Chef de file des radicaux socialistes, il n’aura sa carte du Parti radical qu’une seule année et ferraillera autant contre les radicaux opportunistes que contre les socialistes. Dans les années 1880, il se montrera d’une hostilité inflexible à l’endroit de Jules Ferry, lequel avait déjà été du côté de Thiers pendant la Commune, souligne Samuël Tomei.

L’engagement anticolonialiste déterminé de Clemenceau, près d’un siècle avant que la décolonisation ne s’engage, mérite d’être rappelé.

Comme d’autres, il s’impliqua ensuite totalement dans l’Affaire Dreyfus –il écrit 665 articles sur le sujet !- et en faveur de la loi de Séparation des églises et de l’Etat, qui fut votée en 1905. Partageant avec Jaurès ces deux engagements, il reste des deux hommes des débats célèbres. Par exemple, comme ministre de l’Intérieur, lorsqu’il aura à réprimer des grévistes armés de matraques qui pillent et saccagent les maisons des non-grévistes : « C’est une grande erreur sur laquelle vous devriez bien éclairer les ouvriers, Monsieur Jaurès, de confondre le droit de grève et le droit à la matraque ».

Mais leurs échanges sur la conception de l’homme et de l’action publique demeurent des références de philosophie politique. « Vous prétendez fabriquer directement l’avenir ; nous fabriquons, nous, l’homme qui fabriquera l’avenir et nous accomplissons ainsi un prodige beaucoup plus grand que le vôtre », assure Clemenceau l’individualiste radical à Jaurès le socialiste « collectiviste ».

En 1906, pour la première fois, à 65 ans, Clemenceau deviendra ministre, puis président du Conseil quelques mois plus tard, pour une courte période. Président de la commission de la défense du Sénat au début de la Première Guerre, il reviendra à Matignon en 1917 pour devenir le « Père la Victoire », lui qui n’hésitait jamais à aller partager la dure condition des Poilus dans les tranchées.

Il échouera à entrer à l’Elysée, le poste étant quasiment toujours destiné sous la IIIe République à des personnalités falotes. Son caractère bien trempé lui valut de nombreuses inimitiés dans la classe politique, mais il ne transigeait pas avec ses principes. Ainsi lorsque, président du Conseil, il refusa d’assister à la messe de Te Deum à l’issue de la Guerre au nom de la Séparation des églises et de l’Etat et qu’il dissuada même le président de la République, Poincaré, de s’y rendre. Voilà qui tranche avec des exemples contemporains…

En 1920, Clemenceau prendra sa retraite politique avant de mourir en 1929. S’il a commis des erreurs durant sa carrière, il demeure un exemple de rectitude et de solidité de conviction, d’attachement aux principes républicains. Le petit livre de Samuël Tomei nous le démontre avec brio.

Philippe Foussier


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