Revue de presse

“Chez les souverainistes, la tentation de la « normalisation » du Front national” (Le Monde, 25 mars 11)

28 mars 2011

“Le débat sur le statut du parti d’extrême droite a fait irruption dans les medias, notamment à l’hebdomadaire Marianne.

Raphaëlle Bacqué

Lire "Chez les souverainistes, la tentation de la "normalisation" du Front national".

C’était, dans les années 1990, un groupe hétéroclite, venu de la droite et de la gauche, des cabinets de Charles Pasqua et des clubs chevènementistes. Lorsque l’Europe divisa profondément les grands partis de gouvernement français, ils s’organisèrent autour de la Fondation Marc Bloch et leur courant, le souverainisme, connut son heure de gloire. La liste de Charles Pasqua, en 1999, fît mordre la poussière à Nicolas Sarkozy aux élections européennes. Et la candidature de Jean-Pierre Chevènement joua son rôle dans la disqualification de Lionel Jospin lors de la présidentielle, le 21 avril 2002.

Paradoxalement, leur déclin coïncida en partie avec l’avancée de leurs idées : en 2005, la victoire du “non” au référendum sur la constitution européenne trouva leur groupe éparpillé. Certains avaient abandonné la politique, à l’instar du soutien de Charles Pasqua, William Abitbol, devenu restaurateur à Paris, ou du séguiniste Jean-Christophe Comor, professeur et vigneron en Provence.

D’autres usèrent de leur talent dialectique pour devenir des commentateurs labellisés « politiquement incorrect » dans les médias les plus dominants. Eric Zemmour cumule aujourd’hui les tribunes (France 2, RTL, Le Figaro, i Télé), Elisabeth Lévy dirige un site et un magazine influent, Causeur, et est régulièrement conviée dans des émissions de télévision.

Nicolas Dupont-Aignan a tenté plusieurs positionnements afin de sortir de sa marginalité, mais prône aujourd’hui, à l’instar du FN, la sortie de l’euro. L’un d’eux, enfin, Henri Guaino, est devenu le conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée.

C’est pourtant parmi les souverainistes de ces années-là, que l’on trouve la tentation la plus vive de replacer le FN dans le système républicain et de le traiter comme un parti « comme les autres ». Les tentatives de normalisation de Marine Le Pen y sont pour beaucoup. Son discours au Congrès de Tours, en janvier, qui l’a intronisée présidente et où elle multipliait les références au rôle de l’Etat, à la laïcité, à la République et même à Jean Jaurès, les a souvent troublés. Sa reconnaissance des horreurs de la Shoah a souvent enlevé leurs dernières réticences. Il n’est pas rare qu’ils clament que le FN s’est normalisé. Mardi 22 mars, sur le plateau de « Ce soir ou jamais », sur France 3, Elisabeth Lévy répétait ce qu’elle dit depuis des mois : « Marine Le Pen a un discours républicain [...], je crois que l’on devrait traiter le FN comme un parti normal. »

Au sein de Marianne, l’hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn, le débat a pris un tour si aigu que le 14 mars une assemblée générale a réuni les journalistes autour du cas de l’un de ses piliers, Philippe Cohen, rédacteur en chef du site internet de l’hebdomadaire. Ce dernier, venu de l’extrême gauche, fut l’un des moteurs des mouvements intellectuels souverainistes des années 1990. Il n’a jamais cessé de militer, au sein de Marianne, pour une réappropriation par la République de la nation, sans jamais adopter le discours parfois franchement anti-immigré de ses anciens compagnons Elisabeth Lévy ou Eric Zemmour.

Devant la rédaction, il a dû cependant s’expliquer. Le journal avait, deux jours auparavant, consacré sa couverture et vingt six pages au FN et à sa présidente. Philippe Cohen y relatait sans s’émouvoir l’arrivée autour de Marine Le Pen d’anciens souverainistes. C’est cette apparente neutralité qui a choqué, dans un journal qui ne s’est pas privé de traiter Eric Besson de « traître », Nicolas Sarkozy de « fou ». « Le FN n’est pas un parti comme les autres, se défend Philippe Cohen, mais je ne vois pas d’autres solutions que de le traiter comme un objet journalistique. Dois-je passer pour autant pour un crypto-lepéniste ? »

Il n’empêche. « Le journal s’est toujours refusé à traiter la politique "à plat" lorsqu’il s’agissait du PS ou de l’UMP, rappelle Maurice Szafran, le directeur de Marianne, et nous le ferions pour le FN ? Il n’en est pas question ! » La société des rédacteurs, a appelé « à la plus grande lucidité vis-à-vis des tentatives de récupération des thèses laïques et républicaine par l’extrême droite qui en est l’adversaire historique ».”


(10 mai 2011) Le Monde daté 10 mai 2011 a publié un droit de réponse de Philippe Cohen (sous le titre “Correspondance. Une lettre de Philippe Cohen”).

"Raphaëlle Bacqué me qualifie de "souverainiste". Or, je ne me suis jamais présenté comme tel (même si ce n’est pas déshonorant de l’être). Raphaëlle Bacqué serait bien en peine de trouver ce mot dans le texte fondateur de l’Association pour la Fondation Marc-Bloch, que j’ai créée avec de nombreux intellectuels et personnalités de la gauche et du gaullisme social. Elle indique également que j’ai dû "m’expliquer" devant l’assemblée générale de la Société des rédacteurs de Marianne, réunie le 14 mars. Ce n’est pas exact.

C’est à ma demande et à elle seule qu’a été abordée la question du traitement du Front national à Marianne, ou plus exactement d’une dénonciation m’assimilant de façon ridicule dans un hebdomadaire à un "agent décontaminateur" du FN. A la suite d’un débat de quelques minutes, notre société des rédacteurs a adopté une résolution qui, loin de me mettre en cause, défendait mon travail journalistique sans ambiguïté : "La SRM s’inscrit en faux contre la présentation de notre collègue Philippe Cohen en agent de "décontamination" des idées du FN et de Marine Le Pen."

Comme toutes les rédactions, celle de Marianne connaît actuellement un débat sur le traitement journalistique du Front national L’existence d’avis divergents sur le sujet n’implique nullement une quelconque complaisance à l’égard de ce parti."


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