15 mars 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Jeudi 9 et vendredi 10 mars se tenaient Place Beauvau les premières assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires. À son initiative : Sonia Backès, la secrétaire d’État à la Citoyenneté, elle-même intimement concernée par la question. Un rendez-vous qui marque une rupture par rapport au désintérêt des responsables politiques pour les sectes et leurs victimes, désintérêt qui a failli conduire à la disparition d’un outil précieux dans la lutte contre ces dérives : la Miviludes.
Lire "Chasse aux gourous : la saison est rouverte".
Souvent gouvernement varie. Jeudi 9 mars, le ministère de l’Intérieur a hébergé les toutes premières assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires – et le complotisme. Le raout, fruit de quatre mois de préparation, a réuni dans une ambiance bon enfant tous les acteurs de la lutte contre les gourous – agents de l’État, associations, chercheurs, journalistes et lanceurs d’alerte. À l’origine de cette initiative : la secrétaire d’État à la Citoyenneté, Sonia Backès, et le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), le préfet Christian Gravel. Une grande première, donc, organisée pour marquer symboliquement la fin d’une époque : celle d’une quinzaine d’années de désintérêt politique pour le phénomène sectaire .
Mieux sensibiliser les magistrats aux dérives sectaires, former les personnels de santé, interdire la publicité pour les soins non conventionnels, améliorer la mesure statistique du phénomène sectaire… Les invités autorisés (experts, lanceurs d’alerte, victimes et associations) ont planché, vendredi, dans sept commissions chargées de faire des propositions pour améliorer la réponse de l’État sur le sujet ainsi que sur le complotisme. Des échanges « riches et intéressants », fait savoir à Charlie une participante, mais qui ont abouti à des préconisations « denses, dont il est impossible d’être sûr qu’elles seront portées politiquement ».
Qui a voulu tuer la Miviludes ?
« Nous n’avons pas voulu nous réunir pour nous réunir, assure la secrétaire d’État à Charlie Hebdo. Nous voulons initier une démarche structurante à moyen et long terme. » Banale com ? Sonia Backès, choisie par Emmanuel Macron pour succéder à Marlène Schiappa, part avec un avantage : elle connaît son sujet. Fille d’une mère scientologue, elle a fugué du foyer familial, adolescente, pour échapper à ce qu’elle découvre être – par une camarade de classe – une secte. Un pedigree qui a de quoi rassurer le parterre d’experts et d’acteurs de cette sphère, habitués aux ministres interchangeables et à l’enfumage politique.
Mais l’engagement personnel de Sonia Backès est avant tout une bonne nouvelle pour les agents de la Miviludes eux-mêmes, une douzaine de personnes qui reviennent de loin. À l’automne 2019, l’annonce de la suppression prochaine de cette institution, créée en 2002 et dédiée exclusivement à la surveillance et à la lutte contre les dérives sectaires, avait fait grand bruit dans le milieu. Et pour cause : la Miviludes, instrument unique au monde, a étudié et signalé à la justice pléthore de dérives liées à des groupes à caractère sectaire installés en France. Chaque année, pendant un peu moins de vingt ans, la publication du « rapport » de la Miviludes avait permis aux pouvoirs publics et aux journalistes d’avoir un état des lieux synthétique du paysage sectaire dans le pays. Et dans ses précieuses archives, elle a conservé la trace des témoignages qu’elle a reçus et des mouvements sur lesquels elle a collecté des informations.
Autant dire que les associations de victimes y sont attachées. À l’époque, sa suppression suscite l’incompréhension (la Miviludes ne coûte, au regard du budget de l’État, que des clopinettes), voire une certaine suspicion. Son ancien président, le LR Georges Fenech, va jusqu’à déclarer, le 25 novembre 2019, sur CNews, que « certains réseaux et certains mouvements ont suffisamment d’influence dans des lieux de pouvoir et de décision pour obtenir cette très, très mauvaise solution ». Quels réseaux ? quelle influence ? Dans le milieu, on pointe deux personnalités alors très haut placées, liées à la biodynamie (le secrétaire général du gouvernement d’alors, Marc Guillaume) et aux écoles Steiner-Waldorf (l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen), deux mouvements mal connus issus d’une hydre new age, l’anthroposophie.
Vive la pandémie !
Mais début 2020, alors que le gouvernement parle d’une « réorganisation » plutôt que d’une suppression, tous les charlatans ésotériques et les gourous de la santé se trouvent un nouvel hameçon : la pandémie de Covid-19. Sortis de leurs trous, dans lesquels certains croupissaient depuis la crise de la grippe H1N1, les « dérapeutes » (contraction de « dérapage » et « thérapeutes ») complotistes phagocytent les réseaux sociaux, particulièrement YouTube, pour y diffuser un discours fermement antivax, antiscience, voire apocalyptique : les Témoins de Jéhovah qualifient la pandémie des « derniers des derniers jours », mais sans que leur prophétie se réalise. Résultat ? Le nombre des signalements adressés à la Miviludes explose. En 2021, elle enregistre un chiffre record de 4 020 signalements, soit un bond de 33 % par rapport à 2020 (et de 86 % depuis l’année 2015).
Loué soit le Covid ! Voilà la Miviludes sauvée et rattachée au ministère de l’Intérieur. Le gouvernement, forcé de rétropédaler, assure qu’il n’a jamais été question de suppression. Une source, qui a bien connu cette période, nous glisse pourtant : « Vous savez comment meurt un arbre ? Par l’intérieur. Impossible de savoir qu’un arbre est mort si on se contente de le regarder de l’extérieur. C’était ça, la stratégie. » Une stratégie désormais impossible à maintenir.
Appel au soutien
Jeudi 9 mars, lors de ces premières assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires, le préfet Christian Gravel, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de la Miviludes, balaie d’ailleurs ces errements politiques avec un certain triomphalisme : « Une page se tourne, celle de la rumeur de la fin de la Miviludes. »
Côté ministère, on assure à Charlie que « les moyens humains de la Miviludes vont être augmentés de 25 % » et que des agents formés aux dérives sectaires seront bientôt présents dans les commissariats, gendarmeries et services territoriaux de l’État. Une campagne de communication nationale pour sensibiliser aux dérives sectaires » est également prévue. À condition, bien sûr, que la secrétaire d’État à la Citoyenneté soit soutenue par son ministre de tutelle, Gérald Darmanin, lequel devra trouver, in fine, l’appui du président de la République, qui n’est plus à un revirement près.
Jean-Loup Adénor"
Comité Laïcité République
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