Revue de presse

"« Charlie Hebdo », Hyper Cacher : les dérives des médias à la barre" (la-croix.com , 29 sept. 20)

1er octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Entre les survivants qui ont mal vécu la pression des journalistes et les forces de l’ordre dont le travail a été gêné durant la prise d’otages, les médias font l’objet de critiques au procès des attentats de janvier 2015.

Par Pierre Bienvault

Le droit à l’oubli médiatique n’existe pas. Pourtant Lilian, comme d’autres survivants des attentats de janvier 2015 aurait aimé pouvoir en bénéficier. Ce jeune homme qui, le 9 janvier, a passé huit heures caché sous un évier dans l’imprimerie investie par les frères Kouachi. Une épreuve qu’il est venu, avec courage, raconter à la cour d’assises spéciale de Paris. Sans fuir aucune question. Sauf celle des journalistes à la sortie de la salle d’audience

À la barre, Lilian a raconté combien il était difficile de venir à ce procès. « Surtout à cause de l’aspect médiatique. C’est mon plus gros traumatisme », a-t-il avoué, en confiant avoir très mal vécu son retour chez lui ce soir du 9 janvier. « Quand je suis sorti du van de la police, la première chose que j’ai vue, c’est une caméra et un journaliste. Cela m’a choqué », a expliqué le jeune homme. Trois jours après les faits, Lilian était venu témoigner sur le plateau de France 2. « Ces images, je voudrais qu’elles ne soient plus diffusées aujourd’hui ou qu’elles soient floutées, a-t-il demandé. Je voudrais aussi que mon nom ne soit plus mis en avant. Je ne veux plus que les gens satisfassent leur curiosité avec mon histoire. Avec ma vie à moi. La vie des gens, ce n’est pas du cinéma, ni un scoop. »

C’est une autre leçon de ce procès. Au fil des témoignages, chacun peut mesurer les blessures ouvertes par la couverture médiatique intense de ces attentats. Le gendarme qui a blessé Cherif Kouachi devant l’imprimerie a dû demander sa mutation, parce que son visage avait été mal flouté lors d’une interview et qu’il était reconnaissable. « Il y a eu trop d’infos », a expliqué Laurent, l’agent municipal qui a tenté de désarmer Amedy Coulibaly. « Les médias ont donné mon nom de famille. Cela sert à quoi de donner le nom de famille ? », s’est-il interrogé en ajoutant que son numéro « avait pas mal circulé » entre les journalistes. « Certains m’ont même appelé en se faisant passer pour des policiers », a-t-il précisé.

Des médias qui, parfois, ont quitté le rôle d’observateurs pour celui d’acteurs. Un enquêteur de la brigade criminelle a ainsi expliqué comment les négociateurs de la police avaient été gênés par les tentatives de certains journalistes de joindre directement les terroristes. Alors que jamais un policier n’a réussi à avoir en ligne les frères Kouachi dans l’imprimerie, un court échange a eu lieu avec un journaliste de BFMTV ayant appelé le numéro de fixe.

Même cas de figure à l’Hyper Cacher où Amedy Coulibaly retenait une vingtaine d’otages. « Entre 13 h 15 et 13 h 45, il y a eu 300 appels sur le fixe », a expliqué ce policier en ajoutant que beaucoup « provenaient de chaînes de télévision ou de radio ». Ce jour-là, les négociateurs réussirent certes à parler à Amedy Coulibaly, mais grâce à un numéro transmis par… BFMTV, que le terroriste avait lui même appelé.

Amedy Coulibaly a régulièrement a utilisé son ordinateur pour regarder trois chaînes d’information. Heureusement sans jamais entendre l’une d’elles annoncer qu’un otage se cachait alors dans la chambre froide. Tout comme les frères Kouachi n’ont pas entendu ces quelques journalistes ayant révélé qu’un otage était caché dans l’imprimerie. « Je ne sais pas ce qui se serait passé s’ils l’avaient su », a murmuré Lilian à la barre.

Dans la foulée des attentats, ces dérives médiatiques ont été dénoncées. Le mois suivant, en février 2015, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a relevé 36 « manquements » dont 15 ont donné lieu à mise en garde et « 21, plus graves, ont justifié des mises en demeure ». En octobre 2016, le CSA a émis une sorte de code de bonne conduite, incitant les médias à « s’abstenir de toute prise de contact avec les terroristes ou les otages au regard, d’une part, du risque d’instrumentalisation qu’elle comporte et, d’autre part, des conséquences dramatiques qui pourraient en découler ». Le CSA appelle aussi à une certaine vigilance vis-à-vis des victimes : « Certaines personnes qui acceptent de témoigner peuvent être en état de choc et ne pas être réellement en mesure de consentir de manière éclairée à la captation de leur image ou de leur propos. »

Des captations prises sur le vif et qui ne s’effacent jamais. C’est ce qu’est venue dire à la barre la famille d’Ahmed Merabet, ce policier assassiné par Cherif Kouachi. Une scène qu’un riverain a filmée et qui resurgit à chaque commémoration. « On essaie d’avancer et chaque année, à la même période, ils rediffusent la vidéo. Qu’on laisse mon frère reposer en paix », a imploré la sœur d’Ahmed Merabet, devant la cour d’assises."

Lire "« Charlie Hebdo », Hyper Cacher : les dérives des médias à la barre".


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Procès des attentats de janvier 2015 dans Attentats de janvier 2015 (Paris) (note du CLR).


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