Revue de presse

"Charlie confiné, c’est un peu la routine. Bienvenue à tous" (charliehebdo.fr , 3 av. 20)

"Making-of : comment fait-on Charlie au temps du Covid  ?" 15 avril 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Comme la plupart des rédactions, Charlie s’est mis au télétravail. Au regard des mesures de protection dans les locaux et la vie dans un bunker depuis 2015, Charlie confiné, c’est un peu la routine. Bienvenue à tous dans le monde des confinés.

Mercredi 18 mars, comme chaque semaine, la conférence de rédaction a bien lieu mais cette fois-ci par Skype. Du jamais vu dans l’histoire de Charlie  ! Thomas, notre ingénieur informatique, avait prévu le coup : envoyer en amont un tuto à certains d’entre-nous pour apprivoiser cette technologie. Le jour J, à dix heures tapantes, tout le monde était au poste. Plus nombreux et moins en retard à cette conf’ virtuelle qu’à l’ordinaire. Chez ceux dont la connexion n’est pas top ou qui vivent dans les zones blanches de la province, les micros des ordinateurs prenaient les intonations de Radio-Londres. Quoi de plus normal après tout puisque, comme nous l’avait dit Macron la veille, « la France était en guerre ».

C’est peu dire qu’à Charlie, le confinement on connait. On est même – et c’est notre seule ressemblance avec les moines ou les bonnes sœurs – des experts de la vie recluse. « En ce qui me concerne, je suis presque déjà habitué à être confiné chez moi la plupart du temps, du fait de ma protection qui impose des règles que les Français sont en train de découvrir à leur tour. Bienvenue dans le monde des confinés ! », lance Riss en connaisseur. Depuis 2015, le journal est un bunker. Est-ce la raison pour laquelle, lors des premières alertes de la pandémie en France, on se sentait invulnérables  ? Et qu’à part quelques rares hypocondriaques, les autres bravaient l’ennemi invisible, claquant la bise, serrant la pogne sans vergogne.

Depuis, il a fallu faire comme toutes les autres entreprises du secteur tertiaire où la technologie permet le travail sans la présence physique. Comment dans de telles conditions faire quand même un journal vivant, tonitruant même  ? Un journal dont les journalistes permanents ou pigistes partent en reportage, se tapent dans le dos autant qu’ils s’engueulent de manière mémorable. « L’écran crée une distance. La déconnade collective, importante à Charlie, est plus difficile », constate Gérard Biard. Pour autant, bousculer les habitudes n’a pas que du mauvais. « Chacun est obligé de laisser parler l’autre, sinon on n’y comprendrait plus rien, reconnaît Riss avant de tempérer sa remarque. Il n’y a plus la spontanéité des conférences de rédaction habituelles. C’est le défaut de Skype : ça permet des échanges mais ça limite de vraies discussions, où chacun prend la parole très librement ». Si on n’assiste plus aux joutes oratoires entre Fabrice Nicolino et Antonio Fischetti, aux dessins en direct de Coco, Juin, Félix, qui nous croquent impitoyablement, il est toujours aussi difficile d’en placer une quand Tonio prend la parole. Surtout que le bougre s’inquiète aussi de son image. « Pourquoi on ne me voit pas sur l’écran  ? Parce que sans les mains pour appuyer mon propos, j’ai peur de ne pas être assez convainquant », plaide t-il après avoir persuadé toute la rédaction de l’utilité de son prochain sujet sur le manque de crédit pour la recherche en zoologie. Heureusement, malgré le chamboulement généralisé, certaines traditions demeurent. Au bureau comme chez lui, Foolz porte toujours beau, cravate, costume aussi finement taillé que son bouc. Le Covid-19 n’aura pas la peau du chic à la française.

« Le télétravail c’est de l’arnaque »

À Charlie, la réticence de certains envers le télétravail n’est pas qu’une légende urbaine. Et le confinement a réveillé chez Gérard sa méfiance envers cette pratique. Pas pour l’hostilité ontologique des petits chefs qui aiment à surveiller leurs troupes pour s’assurer qu’ils bossent, mais plutôt parce que « le télétravail, c’est l’arnaque. On travaille encore plus que d’habitude  ! ». Toutes les études faites sur cette pratique le démontrent. Ce que les salariés gagnent en temps de trajet et en tranquillité d’esprit est, dans l’immense majorité des cas, surinvesti dans le travail et non gaspillé en glandouille dans le canapé.

Alors, ces dessinateurs, à tort considérés comme des dilettantes, comment vivent-ils le confinement obligatoire  ? Pour ceux qui vivent un peu en décalage horaire, c’est la possibilité d’être en phase avec leur propre rythme biologique. Biche, par exemple, aime à dessiner tard le soir ou la nuit : « je suis un grand adepte de la sieste, là je peux en faire sans problème  ! ». « Les dessinateurs sont plutôt casaniers et ils sont souvent plus à l’aise chez eux pour réaliser leurs dessins, que dans le brouhaha de la salle de rédaction », estime Riss, dessinateur en chef de Charlie. Mais pas tous. Alice, par exemple, regrette l’échange qui « permet de trouver l’inspiration. C’est un ping-pong entre nous. On teste nos vannes et ça nous permet de trouver des angles. Seule, la dynamique n’est pas du tout la même », déplore la jeune dessinatrice, qui aime aussi avoir les critiques constructives de Riss. « Il nous dit : tu devrais mettre un peu de plus de noir ici, reprendre un trait… J’aime bien écouter les avis des plus anciens, surtout que je doute toujours un peu de mon travail. »

Une fois par semaine, c’est jour du bouclage et du choix de la Une. Comment faire à distance  ? C’est dès le vendredi que les dessinateurs, toujours via Skype, commencent à « brainstormer ». Ils en rediscutent le dimanche. Chose incroyable : en période de confinement, tout va plus vite. À 10 heures le lundi, le mur de la salle de rédaction regorge des propositions de dessins envoyés durant le week-end, quand il faut attendre la fin de journée habituellement. « On boucle deux, voire trois heures plus tôt », confie Gérard. Ce jour-là, dessinateurs et journalistes, mais aussi les chevilles ouvrières de la fabrication du journal et de l’administration, bravent le danger et viennent physiquement à la rédac en respectant les gestes barrières, « en plongeant les mains dans le gel hydroalcoolique avant et après avoir tendue la copie à Gérard pour le bon à tirer à envoyer à l’imprimeur », rigole Brigitte, secrétaire de rédaction, qui assure avec Philippe la relecture de tout le journal. Les flics protecteurs sont là, eux aussi, même si contre le Covid, ils ne peuvent pas cette fois jouer leur rôle de vigies ni de gilets pare-balles.

La hâte de ressortir

Dans cette période de confinement, rire et réfléchir deviennent des préoccupations de tous. Ça tombe bien, ce sont aussi les nôtres. Les échanges avec les lecteurs se poursuivent assidument et Marika en assure le suivi journalier. Vous êtes toujours nombreux à nous lire en kiosque, quand ils sont ouverts et/ou sur notre site internet. Vous êtes encore plus nombreux à nous envoyer par mail des mots d’encouragements, des remerciements et des questions pour savoir comment nous parvenons à tenir le rythme hebdomadaire pour sortir le journal, et celui quotidien qu’impose internet. Le télétravail, « permet au journal de sortir toutes les semaines malgré les règles de confinement, ce qui est déjà une performance. Humainement, c’est plus aride, mais dans cette période, c’est un moindre mal », reconnaît Riss.

Le reste de la semaine, qu’ils viennent ou non à la rédac’, les journalistes passent leur temps le cul sur une chaise, les yeux rivés aux écrans et l’oreille collée au téléphone. Les reporters piaffent de pouvoir de nouveau circuler plus librement, de rencontrer du monde, d’aller sur place pour sentir, ressentir, capter dans la gestuelle et les mimiques d’un interlocuteur là où ça gratte. Si ce qu’il nous dit est bien vrai, si c’est utile… toute une série d’indices qui aident le journaliste dans son boulot de recherche et de vérification de l’info.

Notre baroudeuse internationale Inna Shevchenko a bien failli être bloquée à Amsterdam après son reportage dans le quartier rouge. Une place dans l’un des derniers avions qui volaient encore l’a ramené à bon port. Le confinement à, chez cette militante Femen, des effets incroyables. « Je suis devenue ma propre caricature de Charlie. Je me transforme en femme au foyer, en caricature antiféministe car je me mets à cuisiner et à nettoyer  ! ». C’est les masculinistes qui vont être contents  ! La journaliste ukrainienne se sent aussi plus que jamais entre ses deux mondes : la France et son pays natal. « Je suis en contact avec ma famille et suis ce qui se passe en Ukraine. Un vrai décalage. Là-bas, c’est comme si ça n’existait pas ou que ce n’était pas grave. On ne parle même pas de confinement et les politiques disent que ça vient de l’Ouest. Le virus, pour eux, c’est comme les LGBT, la faute à l’Occident  ! ».

Boomers vs « jeunes geeks »

Et du côté de l’équipe web alors  ? On observe goguenard les « boomers » qui découvrent brutalement tout l’intérêt du numérique. Les jeunes geeks ont été priés de rester sagement chez eux, des fois que ces porteurs sains viennent filer le virus (du web) aux derniers des Mohicans du papier. Nos lecteurs nous découvrent aussi par le biais de la liseuse (le journal maquetté et mis en page, comme en vrai) et du site internet avec ces exclus web quotidiennes. Et, vous êtes de plus en plus nombreux à venir nous voir  ! « C’est l’épreuve de feu pour le site. Pour voir ce qui fonctionne ou pas », constate Julia, la directrice artistique du site qui a dû, en 24h, changer toute la présentation de la home page pour qu’elle puisse répondre à la crise historique que le monde entier est en train de vivre.

Une crise qui vient aussi bouleverser des certitudes. Yannick Haenel, écrivain et chroniqueur littéraire de Charlie, le constate. En pratique, cela ne change pas ses habitudes. Il continue d’écrire tous les matins de chez lui. Mais « je plaide l’autocensure pour ma chronique », avoue t-il. Quoi, de l’autocensure à Charlie  ? Il s’explique : « Ma subjectivité est à l’épreuve de quelque chose de plus grande qu’elle. J’ai peur de dire des conneries dans cette période si particulière ». Il a été horrifié par les premiers journaux de confinement qui sont parus ça et là dans la presse et estime qu’il faut éviter de « déblatérer narcissiquement ». « Dans mon cas, j’ai estimé qu’il valait mieux la boucler. Celles et ceux qui pourraient avoir des choses à dire de passionnantes sont précisément ceux qui ne tiennent pas de journaux en ce moment : les soignants ». Et aussi Félix avec son formidable et quotidien Journal d’une pandémie, à lire en exclusivité ici."

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Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Crise du coronavirus, Massacre à Charlie Hebdo (7 jan. 15) (note du CLR).


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