« Laïcité et enseignement supérieur » (30 mai 15)

Charles Coutel : « Les missions de l’Université et la défense de la laïcité » (Colloque du CLR, 30 mai 15)

Charles Coutel, professeur émérite des universités en philosophie politique. 13 juin 2015

Ce propos introductif devrait être inutile, et pourtant il apparaît nécessaire de faire quelques rappels ; il nous faut redire les missions de l’Université car elle fait partie de l’Ecole de la République, aujourd’hui bousculée de toutes parts.

Le Code de l’Education dans son art. 123, 1 à 8, énonce sept missions : enseignement, recherche, diffusion et valorisation des résultats, diffusion de l’information scientifique, orientation et insertion professionnelle, participation à l’espace européen de l’enseignement supérieur, et enfin formation des formateurs. L’unité et l’importance de ces missions de l’Université expliquent le monopole de la collation des grades.

Cette juxtaposition un peu fastidieuse manifeste une ambition mais risque de faire oublier la finalité éminente de l’institution universitaire. Celle-ci fut fondée au Moyen Age, à l’ombre des cathédrales, mais on oublie qu’elle fut ré-instituée par la Troisième République. Le nom de Louis Liard doit être mentionné. Ce fut une refondation rationaliste, républicaine et laïque. Que nous dit ce geste refondateur en passe d’être oublié : il est de l’intérêt de la raison et de la science d’être recherchées par le plus grand nombre possible d’esprits libres, instruits et cultivés. Il y va de la nature réflexive de la République ; c’est aussi une condition de possibilité du principe de laïcité définie comme coexistence pacifique et rationnelle des libertés. Cette thèse rejoint l’ambition démocratique et républicaine affirmant que tout citoyen doit pouvoir se prononcer sur toute question qui engage l’intérêt général. L’enseignement supérieur requiert et alimente une vie intellectuelle libre ; l’actuelle omniprésence du terme « professionnel » cache cette ambition philosophique et politique.

Une urgence absolue devant l’inculture d’Etat

Le rappel de ces missions éclairées par la finalité laïque et rationaliste de l’enseignement supérieur est urgent quand l’inculture semble promue par l’Etat. Doit-on rappeler que depuis des semaines l’Université n’a toujours pas de ministre ! Or c’est pour défendre cet idéal que de courageux collègues à l’Université ou dans les ESPE prennent la parole, essuient des insultes de tous ceux qui sont dans le déni, risquent même leur vie : salut et soutien fraternel à eux ! Ils défendent la République et l’honneur de la laïcité contre les fanatismes et les intégrismes.

L’ampleur de l’entrisme prosélyte par des associations intégristes dans l’enseignement supérieur français est actuellement niée par des acteurs parfois élus dans l’Université ; ces élus n’ont pas mis les pieds dans des amphithéâtres ou des salles d’examen depuis des années. Ministres en tête, ces élus jouent aux « idiots utiles » du pédagogisme et du communautarisme. Comme le dit Christian Mestre dans Les Echos du 19 mai dernier : « un certain nombre de responsables ont manifesté trop de tolérance au nom de la paix sociale ». Or la tranquillité c’est souvent la guerre différée. En effet, loin d’être soutenus, les défenseurs courageux de la laïcité républicaine à l’Université sont souvent abandonnés par ces « despotes faibles » que sont devenus les Présidents d’Université, toujours entre deux élections.

Un ensemble de provocations intégristes

Ensemble, osons dire que l’entrisme prosélyte et communautariste s’aggrave dans les établissements d’enseignement supérieur. On ne compte plus :

  • les coups de téléphone intempestifs appelant à la prière pendant certains cours
  • les refus d’entendre le mot « créateur » autrement que pour évoquer « Dieu »
  • les refus de lire un auteur présumé homosexuel
  • les intimidations auprès d’étudiants à la sortie des établissements
  • les menaces de mort sur des collègues
  • les injures antisémites
  • les boycotts de certains cours consacrés à la laïcité dans les ESPE
  • les utilisations de salles de cours comme lieu de prière
  • les perturbations lors des examens

La coupe est pleine !

Or tous ces faits tombent pourtant sous le coup de la loi comme autant de « troubles à l’ordre public » ou « d’atteintes aux activités d’enseignement et de recherche ». L’arsenal juridique est bien là. Mais cela est-il connu ? Tout semble étouffé et dénié. Ces mesures sont-elles rappelées lors des recrutements ou encore lors des inscriptions ?

Pourquoi ne pas instaurer des modules consacrés à la laïcité dès la première année ?

Avant que les politiques en campagne n’instrumentalisent cette question de la laïcité dans l’enseignement supérieur, il est bon de débattre et de s’informer ; mettons la puissance publique devant ses responsabilités.

Quelques propositions claires et pacifiques

Défendre la laïcité de et dans l’enseignement supérieur, c’est affirmer que sur tous les campus la liberté peut et doit être complète, tout en respectant l’ordre public. Mais dans tout espace dédié à la recherche, à l’étude, à l’enseignement, et a fortiori aux examens c’est l’interdiction absolue de tout signe ostentatoire religieux ou politique qui doit prévaloir. L’enseignement supérieur est le lieu solennel où nos convictions personnelles peuvent devenir, à nos propres yeux et grâce aux savoirs rationnels et scientifiques, des thèses à discuter, voire à contester. Une seule institution donc, mais deux espaces distincts ; les étudiants le comprennent quand ils revêtent bien volontiers une toge identique lors de la remise de leur diplôme. Ce qui vaut pour cette remise des diplômes vaut a fortiori pour tout ce qui la rend possible.

Pour cela, il faut ré-instituer solennellement l’Université et toute l’Ecole de la République. Ce qui requiert d’abord du courage politique. Mais attention, le libéralisme des franchises universitaires et notre liberté intellectuelle risquent à chaque instant d’être considérés comme des signes de faiblesse et de laxisme par les intégristes et les obscurantistes ; il n’est pas trop tard pour que vive et revive l’Université de la République.



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