« L’après-janvier » (14 mars 15)

Charles Coutel : "Laïcité et citoyenneté dans l’amour de la République" (Colloque du CLR, 14 mars 15)

Philosophe, universitaire. 17 mars 2015

La double menace du populisme qui prend la Nation en otage et du communautarisme qui étouffe les personnes, et d’abord les femmes, doit pousser les citoyens laïques à agir. N’oublions pas que les journalistes de Charlie hebdo n’aimaient guère les laïques « mous » ou se complaisant dans le déni.

Sachons faire nôtre l’avertissement de Lydia Guirous : « Le principe de laïcité est l’un des principes républicains les plus importants. C’est une digue… mais qui risque aujourd’hui de céder. Cessons cette fuite en avant et réaffirmons notre attachement à la France, à son identité héritée des Lumières et soyons à la hauteur des pères fondateurs de la République. »

Cette voix retrouve la force des Lumières et notamment celle d’un Montesquieu qui prévient, lui aussi, que quand les Républiques doutent d’elles-mêmes, le fanatisme religieux peut ressurgir : « le mal est venu de cette idée qu’il faut venger la divinité (…) (or) il faut honorer la divinité et ne la venger jamais. »

Pour ce faire éclairons la laïcité par la citoyenneté et la citoyenneté par la laïcité, au nom de notre attachement à la République.

Retrouver l’amour de la République

Prolongeant et amplifiant la citoyenneté intégratrice et laïque, la tradition républicaine depuis Montesquieu, Rousseau et Condorcet nous rappelle que l’unité de la Cité repose sur l’amour de la République. Cet amour est même pour Montesquieu « le principe des républiques » (chapitre 2 et 3 du livre IV de l’Esprit des lois). Il s’éprouve dans l’amour des lois, de la patrie et de l’égalité. Le philosophe se tourne vers l’éducation, notamment familiale, pour le transmettre. Condorcet y ajoutera le devoir d’instruction publique, car « il faut qu’en aimant les lois on sache les juger ».

Cet amour de la République permet cette co-existence pacifique et rationnelle des libertés qui donne tout son sens au principe de laïcité, qui sera formalisé en 1905.

Je crois que si les terroristes sont allés jusqu’au bout de la haine, les citoyens laïques et républicains ne sont pas encore allés jusqu’au bout de l’amour de la République.

Cet amour ne pourra pas tout mais il pourra beaucoup. Nous en appelons au « vivre ensemble » parce que nous n’osons plus aimer ardemment la République. Car enfin on peut « vivre ensemble » en vivant côte à côte : les communautaristes y trouveraient parfaitement leur compte.

L’amour de la République, comme tout amour, se renforce dans son affirmation même (« Marianne, je t’aime ! » écrivit un jour Patrick Kessel). Il nous faut aussi ce cri du cœur pour développer notre citoyenneté laïque et humaniste ; c’est l’âme de l’intégration républicaine.

Trois obstacles à surmonter d’urgence

Cet attachement à la République n’apparaît pas clairement aux yeux de tous car trois obstacles brouillent les choses.

  • Une méconnaissance profonde de la nature réflexive de la philosophie républicaine, constituée par l’unité de trois synthèses qui ne sont plus transmises ni par l’Ecole ni par les partis politiques : la synthèse des principes (liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, dignité et humanité) ; la synthèse des appartenances où les principes précédents s’éprouvent (individu, famille, Nation, République, Europe, Humanité) ; enfin, la synthèse des volontés (qui unit la volonté individuelle à la volonté générale). Cette méconnaissance de la tradition républicaine alimente une « insécurité culturelle » pour reprendre une expression analysée de près par Laurent Bouvet.
  • L’omniprésence d’une idéologie compassionnelle qui entend imposer l’évidence qu’il serait possible de nous mettre « à la place des autres » par le truchement d’une empathie jamais vraiment définie. Or, s’il faut apprendre et échanger pour construire une Cité fraternelle, laïque et libre c’est justement parce qu’on refuse toute volonté d’occuper la place des autres. Opposons ici la sympathie à l’empathie ; car il est urgent de détecter les situations qui blessent et humilient.

On met souvent de la mièvrerie partout et nulle part de la solidarité fraternelle et discrète.

  • Enfin l’exercice d’une citoyenneté intégratrice et laïque se heurte aux habitudes et aux dispositifs électoralistes qui désintellectualisent les partis politiques voire le pouvoir exécutif. L’électoralisme n’épargne personne et nourrit les communautarismes dont les agents ont l’habileté de faire passer le cultuel pour du culturel ; on s’attache ainsi des électorats dociles en manipulant le tissu associatif.

L’amour de la République s’en trouve négligé et les candidats en campagne ne semblent pas croire ce qu’ils disent.

Conclusion : cinq engagements concrets pour la République

Chérir la République est important, le manifester publiquement et concrètement est encore plus nécessaire.

  • C’est parce que j’aime l’Ecole républicaine que je souhaite le succès du projet d’enseignement moral et civique à la rentrée prochaine, mais alors pourquoi ne pas en profiter pour réaffirmer que c’est l’instruction et la maîtrise parfaite de la langue qui sont les meilleurs facteurs d’intégration dans la République ? La haine de l’abstraction et la peur du moindre effort intellectuel alimentent un anti-intellectualisme qui désormais est largement partagé par la gauche.
  • C’est parce que j’aime l’Université de la République que je souhaite, comme la majorité des Français, l’extension de la loi de 2004 sur le port des signes religieux, notamment dans les salles de cours et d’examen. Par le savoir rationnel enseigné, appris et partagé, je peux faire de mes propres convictions, notamment religieuses, des thèses à comprendre, à discuter, voire à juger. Pourquoi tant de timidité chez nos élus ?
  • C’est parce que j’aime l’égalité entre les hommes et les femmes que je veux lutter contre le machisme et le communautarisme qui aliènent le corps et l’esprit des femmes, notamment.
  • C’est parce que j’aime l’ordre républicain que je préconise la fermeture immédiate et définitive de tout lieu, notamment de culte, où il est avéré qu’un appel à la haine voire au meurtre a été proféré.
  • C’est parce que j’aime la République, qui permet à chacun de trouver sa grandeur propre et sa liberté dans la fraternité partagée, que je souhaite pour mon pays un sursaut de salut public contre la menace populiste et la menace communautariste.

Nous devons gagner tous ces combats laïques, humanistes et républicains pour tous les martyrs de la liberté.

Charles Coutel
charles.coutel@univ-artois.fr



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