Revue de presse

Menus de "substitution" (sans porc) dans les cantines : égalité ou "droit à la différence" ? (G. Chevrier, atlantico.fr , 30 août 17)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur, auteur de "Laïcité, émancipation et travail social" (L’Harmattan). 31 août 2017

"La décision rendue ce 28 août par le tribunal administratif de Dijon, sur le choix du maire de Chalon-sur-Saône de supprimer les menus de substitution dans les restaurants scolaires, était attendue. Elle pose le problème de fond d’un choix de société entre l’égalité, la laïcité et le droit à la différence.

Rappelons les faits. Le 16 mars 2015, le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret (LR), rendait publique, par un communiqué, la décision de ne plus proposer de menus de substitution dans les restaurants scolaires de la commune à compter de la rentrée suivante. Une association à ressort national inconnue en Saône-et-Loire et normalement incompétente juridiquement pour intervenir dans ce cas, la Ligue de défense judiciaire des musulmans, habituée des procès en blasphème contre Charlie Hebdo, avait demandé le 24 juillet 2015 au tribunal administratif de Dijon, de l’annuler. Elle avait persévéré en attaquant les actes mettant concrètement en œuvre la position de principe du maire du 16 mars 2015 : la délibération du conseil municipal de Chalon-sur-Saône du 29 septembre 2015 ayant approuvé le règlement des restaurants scolaires et le règlement des restaurants scolaires en question. Cette association prenait à témoin des exigences religieuses, évacuant le principe de laïcité, pour soutenir que « la décision attaquée a violé la liberté de conscience et de culte... »

Presque deux ans après, le tribunal administratif a finalement décidé d’annuler les décisions attaquées. Il avance dans sa décision, n’avoir pas pris en compte les revendications religieuses de la Ligue de défense judiciaire des musulmans, mais l’intérêt supérieur de l’enfant. Qu’en est-il ?

Des considérations religieuses relayées par « l’intérêt supérieur de l’enfant » que l’on n’ose nommer

Que dit le Tribunal pour motiver sa décision ? Qu’en raison d’un précédent propre au fait d’avoir instauré depuis 1984 des menus de substitution, qui relevaient de la prise en compte d’une certaine diversité, « dans le respect de la liberté de conscience des enfants et des parents, de préoccupations d’ordre religieux ou culturel », le fait de les retirer en prive les enfants qui en bénéficiait, et donc de leur participation à la cantine. On en conclut que cela mettrait en cause leur intérêt supérieur. Extrait de la décision : « Considérant que si le service public de la restauration scolaire a un caractère facultatif et si l’obligation de proposer aux enfants un menu de substitution ne résulte d’aucune stipulation conventionnelle, d’aucune disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire et d’aucun principe, la mesure consistant à mettre fin à une telle pratique affecte de manière suffisamment directe et certaine la situation des enfants fréquentant une cantine scolaire et constitue ainsi une décision dans l’appréciation de laquelle son auteur doit, en vertu de l’article 3-1 de la CIDE, accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant ; »

D’une part, ce qui était conventionnel est transformé aux yeux du juge ici en un droit par la pratique durable qui en a été faite, ce qui est déjà contestable, puisqu’aucune obligation législative en la matière n’est fixée aux communes qui disposent du principe de « libre administration ». Le Tribunal prend tout d’abord donc ses aises pour le moins avec la loi. D’autre part, et c’est sans doute le plus grave, on explique dans la décision que n’ont pas été prises en compte les considérations d’ordre religieux qui étaient avancées par la Ligue de défense judiciaire des musulmans, mais l’intérêt supérieur de l’enfant qui ne peut plus y manger, parce que finalement les parents de ces enfants musulmans ne veulent plus les y mettre. Et les considérations religieuses ne seraient ici pour rien dans cette décision ?

Si cette pratique des menus sans porc était liée à la prise en compte de la diversité des élèves lorsqu’elle a été initiée, n’était-ce donc pas un aménagement à caractère implicitement religieux ? D’autre part, considérer que de ne pas proposer des menus de substitution empêche les enfants en référence, autrement dit les enfants musulmans, de manger à la cantine, c’est inverser le sens des choses. Car cela ne relève jamais que du choix privé de leurs parents auquel la cantine scolaire n’a nullement dans le principe à se plier. Rappelons ici que la cantine scolaire est facultative pour les élèves. Les enfants de parents végétariens ou végétaliens, pourraient eux-aussi demander des menus de substitution, mais on les renverra en général au fait que les choix personnels des parents concernant l’orientation alimentaire de leurs enfants, sont d’ordre privé. Faire l’inverse en en faisant la règle, ce serait instaurer un droit à la différence. C’est bien ici sur le fond ce qui fait problème.

Une interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant qui promeut le droit à la différence

Le Tribunal s’appuie sur la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU, ratifiée par la France en 1990, pour justifier sa décision et spécialement à l’appui de son article 3.1 : « Considérant que selon le 6 de l’observation générale n° 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, « l’intérêt supérieur de l’enfant est un concept triple : a) C’est un droit de fond : Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale lorsque différents intérêts sont examinés en vue d’aboutir à une décision sur la question en cause (…) b) Un principe juridique interprétatif fondamental : Si une disposition juridique se prête à plusieurs interprétations, il convient de choisir celle qui sert le plus efficacement l’intérêt supérieur de l’enfant (…) c) Une règle de procédure : Quand une décision qui aura des incidences sur (…) un groupe défini d’enfants (…) doit être prise, le N° 1502100, 1502726 »

Cette Convention a une vocation assez large, mais pour son application on ne peut faire abstraction de l’articulation au droit national. Elle a été ratifiée par bien des Etats dont le droit diffère, parfois à l’opposé, comme la France avec son principe d’égalité de traitement des individus, sa laïcité, et des pays qui pratiquent le multiculturalisme et l’égalité des différences, le droit religieux d’Etat. L’Etat français a d’ailleurs émis des réserves sur ce texte, concernant plusieurs de ses articles qui viennent télescoper les libertés et droits individuels. Une dimension que semble complètement omettre le tribunal.

Ainsi, l’article 30 de la CIDE met en avant un droit des minorités totalement contraire aux libertés et droits individuels relatifs aux droits de l’enfant tels qu’ils prennent leur sens dans notre Constitution et se traduisent dans notre Code civil : « Art. 30. - Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe. »

Voilà la réserve qu’a posé l’Etat français : « Le Gouvernement de la République déclare, compte tenu de l’article 2 de la Constitution de la République française, que l’article 30 n’a pas lieu de s’appliquer en ce qui concerne la République. » Il est fait ici référence à l’unicité de la République autour de sa langue, le Français, un article qui s’inscrit dans l’ordre des principes de notre Constitution (« Liberté, Égalité, Fraternité »), pour justifier de ne pas avoir à prendre en compte la reconnaissance d’un droit des minorités.

Reconnaître l’article 30 de cette Convention serait admettre le multiculturalisme, que l’Etat traite directement avec une population organisée en communautés représentées par des chefs, derrière lesquels les droits de l’enfant en question finalement s’effaceraient, avec ceux de leurs parents. On voit ici toute la contradiction soulevée à travers cette référence à un « intérêt supérieur de l’enfant », qui serait de prendre en compte dans les cantines scolaire « un groupe défini d’enfants » selon leur besoin, propre à « une différence » que présenteraient certains élèves au regard des autres. A bien y regarder donc, cette décision répond implicitement à une demande religieuse, et formule un droit à la différence, contrairement à ce qu’entend avancer le Tribunal.

Aussi, l’invocation de l’article 3 de la Convention, de l’intérêt supérieur de l’enfant, doit être lue selon les réserves de l’Etat français prenant en compte le caractère inaliénable des droits et libertés individuels, indépendamment de la couleur, l’origine, la religion, et donc à l’opposé de la prise en compte d’une diversité culturelle s’imposant par-delà l’égalité de traitement.

La CNCDH aurait-elle une lecture inversée de la laïcité qui conduit en son contraire ?

Encore, le Tribunal administratif dans l’explication de sa décision, s’appuie sur ce qu’en dit la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme qui a été sollicitée : « La Commission nationale consultative des droits de l’homme, sollicitée par le Tribunal en application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative, a présenté ses observations le 30 décembre 2016 ; elle estime que la délibération s’appuie sur une interprétation erronée des principes de laïcité et d’égalité et méconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant. » Qu’est-ce à dire ? Si la laïcité est bien ce principe qui est celui de l’égalité de traitement des enfants indépendamment de leur origine, couleur, religion, en quoi le fait de ne pas proposer un menu de substitution serait « une interprétation erronée des principes de laïcité et d’égalité » ? Et comment rattacher cette affirmation à une méconnaissance de « l’intérêt supérieur de l’enfant », ce dernier ne pouvant que découler de cette même égalité pour tous bénéficiant du même service commun ? Cet intérêt supérieur de l’enfant, serait-il selon la CNCDH de créer un droit à la différence au nom de la laïcité, en en renversant la lecture ?

Mais aussi, « Le Défenseur des droits, sollicité par le Tribunal parle d’« un caractère discriminatoire ». » Encore là, le Défenseur des droits semble se tromper de combat en portant cette accusation grave qui reste entièrement à prouver. Ce qui n’a d’ailleurs pas été retenu par le Tribunal administratif. Effectivement, ne pas prendre en compte les différences des élèves n’a rien de discriminatoire dans un cadre laïque et communal, où l’égalité de traitement de tous prévaut sur les différences, principe constitutionnel (Article Premier).

La commune fait appel de la décision rendue.

Menus de substitution ou pas, on ne saurait ici invoquer un droit

Que l’on souhaite ou pas qu’il existe des menus alternatifs, la liberté en est laissée aux communes, et rien ne saurait les y obliger. C’est l’argumentaire proposé par le Tribunal qui prête à s’inquiéter, à chercher à en créer par des détours l’obligation, pour faire passer par là un droit d’ordre général, à la différence. Le Tribunal avance que sa décision ne peut constituer une règle d’ordre général, considérant qu’il s’agit d’une situation locale particulière. Mais cette décision ne saurait manquer de faire jurisprudence pour servir à cette association musulmane ou à d’autres pour attaquer des communes qui ne proposent pas de menus sur le fondement de cette lecture erronée de l’intérêt supérieur de l’enfant. S’il n’y avait pas de montée du communautarisme musulman dans notre pays, avec une multiplication des revendications religieuses, cette pratique ne poserait certainement pas problème.

Ne pas créer au nom de l’accueil de tous à la cantine, un droit à la différence, c’est protéger tous les enfants vis-à-vis du risque de prédestination à être soumis aux règles d’une minorité, d’être séparés dans la société elle-même jusque dans l’école, par des tables sans porc comme on les voit se former régulièrement dans les cantines scolaires. Rappelons que c’est justement cela qui avait amené la commune à cesser de proposer des menus de substitution, ainsi que l’identification des enfants selon leurs croyances et cultures. Seule l’égalité de traitement de tous, et non le traitement égal des différences, protège les droits de l’enfant, sa liberté, son intérêt supérieur, comme l’école laïque le défend. C’est simplement là rappeler ce que l’on oublie allègrement, que l’esprit de nos institutions et de l’école est de faire des citoyens avant tout et non des membres d’une communauté culturelle ou religieuse avant le reste, en favorisant de se mettre à part de notre société, ce qui ne peut conduire qu’à des fractures regrettables. C’est à celles-ci que nous avons jusqu’alors su parer, en favorisant ainsi le mélange, au lieu de la séparation, de la division. C’est la liberté qui est ainsi défendue, qui a pour fondement l’égalité de tous. Permettre à chaque enfant de s’émanciper comme individu, au lieu d’être assigné par prédestination à un groupe, le voilà son intérêt supérieur !

Une évolution vers la reconnaissance d’un droit à la différence qui remet en cause nos choix de société

On doit s’inquiéter de cette évolution qui veut que, trop souvent, des organismes et des institutions, censés défendre les droits qui sont les nôtres, leur sens véritable, aient une lecture inversée de la laïcité qui conduit à la promotion d’un droit à la différence qui confine à la différence des droits. Ce qui n’est rien de moins que mortel pour l’égalité en tant que principe commun, principe fédérateur qui a porté le progrès et nourri ces acquis pour tout un peuple que bien des pays nous envient, et dont tous bénéficient, par-delà les différences. C’est aussi là, comme dans d’autres cas, sans le nommer, l’énoncé en réalité d’un choix de société."

Lire "Chalon-sur-Saône : la justice annule la fin des menus sans porc dans les cantines. Egalité ou droit à la différence ?"



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