27 décembre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"A l’image de la Nouvelle-Zélande qui entend offrir la parité aux savoirs traditionnels maoris, les thèses décoloniales et identitaires gagnent du terrain.
Par Thomas Mahler
Lire "Ceux qui veulent "décoloniser" une science jugée trop "occidentale"".
"Les connaissances indigènes peuvent contribuer à faire progresser les connaissances scientifiques à certains égards, mais ce n’est pas de la science." Parue le 31 juillet 2021 dans l’hebdomadaire néo-zélandais Listener, une tribune intitulée "En défense de la science" met les pieds dans le plat. Sept professeurs de l’université d’Auckland critiquent la volonté de leur gouvernement de placer le "matauranga maori" au même niveau que d’autres savoirs dans les programmes scolaires du secondaire. "Matauranga maori" ? Le terme désigne les connaissances traditionnelles des Maoris, ces autochtones polynésiens qui représentent environ 17 % de la population de la Nouvelle-Zélande.
Les sept universitaires fustigent aussi l’idée, promue par un groupe de travail du gouvernement, que la science serait "une invention de l’Europe occidentale et constitue en soi une preuve de la domination européenne sur les Maoris et les autres peuples indigènes". Pour ces biologistes, médecins ou psychologues, un tel discours encourage non seulement la méfiance à l’égard de la science, mais s’avère factuellement faux. Soulignant que "la science est universelle", ils rappellent qu’elle "trouve ses origines dans l’Egypte ancienne, la Mésopotamie, la Grèce antique et plus tard l’Inde, avec des contributions significatives en mathématiques, astronomie et physique de la part de l’islam médiéval, avant de se développer en Europe et plus tard aux Etats-Unis, avec une forte présence en Asie".
En Nouvelle-Zélande, la tribune met le feu aux poudres. Les sept sont accusés de racisme. Signée par un millier d’universitaires (en réalité, essentiellement des étudiants), une lettre ouverte assure que "les savoirs indigènes - dans ce cas, le matauranga - ne sont pas inférieurs aux autres systèmes de savoir". Vice-chancelière de l’université d’Auckland, Dawn Freshwater déclare que la tribune a causé "beaucoup de peine et de consternation" au sein de l’institution. La Société royale néo-zélandaise va jusqu’à lancer une enquête contre deux membres signataires, en vue d’une exclusion.
"Notre texte a déclenché une gigantesque panique morale", résume aujourd’hui Kendall Clements, l’un des sept auteurs de la tribune. Ce professeur à l’Ecole des sciences biologiques de l’université d’Auckland, spécialiste de l’écologie, se souvient que le jour même de la parution, un "postdoc" de son département a envoyé un e-mail à tous pour se plaindre que l’école ne soit plus "culturellement sûre pour les Maoris". Le chercheur, qui lors des dernières élections a voté pour le parti travailliste (de gauche), assure que sa démarche n’a rien de politique, ni d’offensante à l’égard d’un peuple autochtone victime de discriminations : "Les Maoris sont sous-représentés dans les sciences et à l’université. Nous soutenons le besoin qu’il y ait plus d’enfants maoris qui se lancent dans des études scientifiques. Mais dépeindre la science comme un outil d’oppression coloniale ne va pas pousser ces jeunes à s’y intéresser."
“Le créationnisme est toujours une connerie, même si c’est une connerie indigène”
RICHARD DAWKINS
En bon scientifique, Kendall Clements a étudié le "matauranga maori". Méthodiquement, il nous fait la démonstration de pourquoi celui-ci ne répond pas à des critères scientifiques. "Le matauranga appartient aux Maoris et repose sur des autorités culturelles, alors que la science n’appartient à personne et est ouverte aux points de vue contradictoires. La science cherche à distinguer la cause et la corrélation. Le "matauranga" ne cherche pas à comprendre ces mécanismes, mais se base sur un calendrier de saisons. Celui-ci établit par exemple des liens entre des floraisons d’arbres et la pêche des oursins, toutes deux dépendantes du photopériodisme." Surtout, le "matauranga maori", en plus de connaissances pratiques, repose sur des éléments mythologiques et spirituels, là où la science se contente de causes naturelles. Dans la cosmogonie traditionnelle maorie, les êtres humains et les éléments naturels sont, via un arbre généalogique, reliés au couple premier Rangi et Papa, dont émanent le ciel et la Terre. "Cela n’a rien à voir avec un arbre de l’évolution" tranche Kendall Clements. [...]
Quand la gravité offre une "perspective occidentale"
On pourrait penser le psychodrame néo-zélandais circonscrit à l’histoire particulière, et lointaine, de ce pays du Pacifique. Mais il est emblématique d’un courant montant qui appelle à "décoloniser" une science perçue comme occidentale ou blanche. En 2016, en Afrique du Sud, le mouvement "Science must fall", promu par des étudiants du Cap, invitait à renverser tous les acquis de la science, au prétexte que la gravité découverte par Newton ne représenterait qu’une "perspective occidentale"… Moins radicale mais plus influente, la journaliste sud-africaine Linda Nordling expliquait en 2018 dans la prestigieuse revue Nature qu’"il ne s’agit pas seulement d’augmenter le nombre de scientifiques noirs, bien que cette "transformation" raciale soit une partie importante du processus. C’est aussi démanteler l’hégémonie des valeurs européennes et faire place à la philosophie et aux traditions locales que les colons avaient écartées". Après la mort de George Floyd en 2020, les articles évoquant le décolonialisme, l’intersectionnalité ou la théorie critique de la race ont connu une inflation spectaculaire dans les revues scientifiques.
Dénonçant ce qu’il estime être une intrusion grandissante des idéologies identitaires dans le domaine scientifique, Andreas Bikfalvi cite les thèses de Bram Wispelwey et Michelle Morse, deux médecins activistes qui plaident pour "un agenda antiraciste pour la médecine". "Cela veut dire qu’un malade n’est plus jugé uniquement en fonction de ses symptômes, mais aussi de son origine ethnique. C’est absolument dramatique. En cas par exemple d’une angine de poitrine, même si un patient blanc a des symptômes plus sévères, un patient noir doit être privilégié pour passer en réanimation", décrypte Andreas Bikfalvi.
Aux Etats-Unis, la crise sanitaire du Covid-19 a révélé une surmortalité au sein de la population afro-américaine. Mais, pour Andreas Bikfalvi, une grille de lecture strictement ethnique donne une image trompeuse de la réalité : "Les Afro-Américains sont plus précaires sur le plan socio-économique. Il y a une plus forte obésité dans cette population. En plus, le système américain, privatisé, n’offre pas de couverture universelle. On transpose ainsi un problème social vers la ’race’." Totalement délégitimé sur le plan scientifique depuis des décennies, le concept de "race" fait paradoxalement un retour en force en étant promu par des militants antiracistes, jusque dans les revues les plus réputées au monde.
La France métropolitaine n’a pas de populations "autochtones" qui ont été colonisées et discriminées, comme en Nouvelle-Zélande ou en Amérique du Nord. Du fait de sa tradition républicaine, elle se montre bien moins obnubilée par les questions ethniques que les pays anglo-saxons. Cela semble l’immuniser contre cette montée des questions identitaires jusque dans les sciences et la médecine. Mais pour Andreas Bikfalvi, les chercheurs français n’échapperont pas au phénomène. "Notre reconnaissance passe par la publication d’articles dans des journaux anglo-saxons. Etant donné que la science est connectée internationalement, nous y serons forcément exposés. Tôt ou tard, comme aux Etats-Unis, les sciences sociales vont déborder sur les sciences dures, en passant d’abord par le domaine de l’épidémiologie…""
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier L’Express : "Les nouveaux obscurantistes" (22 déc. 22) dans la rubrique Science,
les rubriques "Wokisme", "Antiracistes" racialistes, Créationnisme (note du CLR).
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