Revue de presse

"Cessons de pénaliser le boycottage d’Israël" (Le Monde, 6 mars 14)

Ivar Ekeland, Rony Brauman, Ghislain Poissonnier. 8 mars 2014

" « En tant que consommateur citoyen, je n’achète pas de produits israéliens tant qu’Israël ne respectera pas le droit international ; j’appelle aussi mes concitoyens à faire de même afin de faire pression sur Israël pour qu’il démantèle le mur de séparation et les colonies. » Pour avoir tenu de tels propos dans la rue ou dans des commerces, pour les avoir écrits dans des magazines ou sur Internet, près d’une centaine de personnes sont traduites en France devant les tribunaux. Il s’agit de membres d’associations qui soutiennent la campagne « Boycott-désinvestissement-sanctions » (BDS). Ces personnes sont poursuivies par les procureurs en vertu d’un texte interne au ministère de la justice adopté le 12 février 2010, dite circulaire Alliot-Marie, garde des sceaux de l’époque.

La circulaire ordonne aux parquets de poursuivre pénalement les personnes qui appellent au boycottage des produits israéliens. Elle affirme, sans le démontrer, que l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 sur la presse permettrait de réprimer les appels lancés par des citoyens ou des associations au boycottage de produits issus d’un Etat dont la politique est contestée. Ce texte interprète la loi de manière extensive, en contradiction avec la règle de l’interprétation stricte des lois pénales.

En effet, l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 ne s’attache pas à interdire les appels au boycottage, mais uniquement les provocations « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

La circulaire Alliot-Marie a été critiquée par le monde associatif au nom de la liberté d’expression. Mais également par de nombreux juristes, universitaires, avocats et magistrats, en raison de son contenu qui procède à un usage détourné de la loi prévue pour lutter contre les propos racistes et antisémites. Des procureurs ont même refusé de requérir oralement la condamnation des militants de la campagne BDS, en dépit des instructions écrites de leur hiérarchie.

La cour d’appel de Paris a prononcé en 2012 des relaxes, considérant que les propos tenus relevaient de la critique pacifique de la politique d’un Etat. La Cour européenne des droits de l’homme, quant à elle, rappelle très régulièrement que les groupes militants bénéficient sur des sujets politiques d’une protection renforcée de leur liberté d’expression. Christiane Taubira a même déclaré publiquement à plusieurs reprises que cette circulaire contenait une interprétation de la loi qui pouvait être considérée comme « injuste » ou « abusive ».

L’ensemble de ces éléments et le changement de majorité politique permettaient de penser que la prise de conscience du caractère absurde de cette situation allait se traduire en acte. Or, la circulaire Alliot-Marie de 2010 est toujours en vigueur et les poursuites pénales contre des militants de la campagne BDS continuent. Ce faisant, la France se singularise en Europe et dans le monde : elle est le seul Etat, avec Israël, à envisager la pénalisation d’une campagne pacifique et citoyenne, demandant le respect du droit international. Campagne pacifique en ce sens que les actions d’appel au boycottage organisées consistent en des mesures incitatives, qui se limitent à faire appel, par la diffusion d’informations, à la conscience politique des consommateurs. Aucune forme de contrainte n’est exercée ni à l’égard des clients et des distributeurs français, ni à l’égard des producteurs israéliens. En France, l’appel au boycottage, forme d’action politique non violente, s’inscrit dans le débat politique républicain depuis des décennies.

Mme Taubira l’a même qualifié de « pratique militante, reconnue, publique » et admet l’avoir encouragé en son temps contre les produits sud-africains, dans le cadre d’une campagne internationale que personne n’avait alors envisagé d’interdire.

Campagne citoyenne en ce sens qu’elle repose sur une mobilisation des sociétés civiles. La campagne BDS a été engagée en 2005 à la demande de 172 associations et syndicats palestiniens. Elle appelle les sociétés civiles du monde entier à se mobiliser pour que leur gouvernement fasse pression sur l’Etat d’Israël.

En France, de nombreuses associations ont rejoint l’appel lancé en 2005. Les actions qu’elles conduisent dans le cadre de cette campagne se situent au cœur de la liberté d’expression et d’information des citoyens français sur un sujet international. Ces actions ne consistent pas à discriminer les citoyens israéliens : elles visent à boycotter les institutions et les produits d’Israël en vue de faire changer une politique d’Etat.

Campagne pour le respect du droit international enfin, dans la mesure où le but recherché est d’obtenir le respect des résolutions des Nations unies et la fin des politiques déclarées illégales par l’avis du 9 juillet 2004 de la Cour internationale de justice de La Haye que sont la construction du mur de séparation et la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. La mobilisation des sociétés civiles est rendue indispensable, car la plupart des Etats n’ont rien fait ou presque pour pousser Israël à se conformer à l’avis de la Cour, notamment en prenant des mesures de sanctions pour que le mur et les colonies soient démantelés.

Rien n’est plus faux que de laisser entendre que la campagne BDS puisse être raciste ou antisémite. Cet amalgame relève de la même rhétorique que celle parfois utilisée dans les années 1970 et 1980 contre les militants anti-apartheid comparés à d’irresponsables marxistes-léninistes ou à des racistes anti-Blancs. Aucun des militants de la campagne BDS poursuivis depuis 2010 en vertu de la circulaire évoquée ne l’a d’ailleurs été pour avoir tenu des propos ou commis des actes racistes et antisémites. Il est temps de procéder à l’abrogation de la circulaire Alliot-Marie.

Ivar Ekeland, président de l’Association universitaire pour le respect du droit international en Palestine ;
Rony Brauman, médecin, essayiste ;
Ghislain Poissonnier, magistrat
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