Revue de presse

"Cérémonie des Césars : entre faux-culs et vertu, on va s’ennuyer ferme" (Abnousse Shalmani, L’Express, 8 fév. 24)

(Abnousse Shalmani, L’Express, 8 fév. 24). Abnousse Shalmani, journaliste, écrivain et réalisatrice, présidente du jury du Prix de la Laïcité 2023. 13 février 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Par Abnousse Shalmani

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Lire "Cérémonie des Césars : entre faux-culs et vertu, on va s’ennuyer ferme, par Abnousse Shalmani".

"Peut-être faut-il se faire pardonner les talons hauts, les décolletés vertigineux, la jambe fuselée qui se dévoile à chaque pas de la robe fourreau signée d’une grande maison – d’une maison forcément honnie, qui ose continuer de faire rayonner la France à l’étranger, qui crée des emplois dans l’Hexagone, et, crime impardonnable : fait des bénéfices ! Peut-être est-ce trop indécent tout ce glamour surjoué, cette overdose de rouge à lèvres, de faux cils, d’artifices, de cinéma. Il ne faudrait pas que le public se mette à rêver ! Il pourrait oublier la lutte, la merde sous ses pieds, l’avenir bouché par l’extrême droite qui est partout, la France fasciste, la jungle de prédateurs qu’est devenu le cinéma. Enfin, de prédateurs d’avant, de vieux gros dégueulasses qui se sont crus tout permis, qui ont hurlé "bites" et "couilles" et "moules" - jusque dans des films !

Parce qu’aujourd’hui, le cinéma ce n’est plus ça du tout. Des plateaux jusqu’au contenu des films, on arrête les conneries, promis. Dorénavant, le cinéma ce sont des histoires qui s’en tiennent strictement à décrire l’indéboulonnable réel qui ne progresse jamais et broie les femmes, les enfants, les racisés, les minorités, les marginaux, etc. En résumé : on va s’e..erder sévère à la cérémonie des Césars, où le cinéma français va faire le show, la moraline sans pitié pour le public qui regardera ailleurs de quoi nourrir son âme.

L’académie des Césars, qui lave le cinéma français de tous ses péchés, a décidé "par respect pour les victimes, que les personnes qui seraient mises en cause par la justice pour des faits de violence ne seraient pas mises en lumière lors de la cérémonie 2023" - décision renouvelée en 2024. Mais. Qu’importe si "la révélation de la décision de mise en examen ou de la condamnation pénale" est le fait des "médias nationaux, de la victime partie civile ou de son avocat"…

La mise en lumière, c’est non pour tous les "salauds", présomption d’innocence ou pas, condamnés ou pas encore condamnés, qu’importe d’où vient la dénonciation, elle vaut condamnation. Et si, malgré tout ce matraquage moral paralysant, il venait à l’idée des votants de désigner un déjà coupable pas encore condamné, il serait interdit de scène, de discours, de médias. Les Césars s’érigent en juges et censeurs. La cérémonie va donc voir défiler une brochette d’acteurs, de réalisateurs, de techniciens, militants sans taches et sans casiers - enfin sauf Ladj Ly, mais tout est pardonné parce que c’est pas lui qui a commis un crime d’honneur et écopé de trois ans de prison dont deux ans ferme, non, c’est la société raciste colonialiste hétérosexuelle qui lui a forcé la main -, qui auront tous un mot très bien rédigé pour les opprimés du monde et les victimes des "VSS" (comprendre : violences sexistes et sexuelles) au prétexte féodal du "on vous croit" - en dépit de la justice.

Le chant du cygne du cinéma français libre

L’ironie dans cette sinistre affaire faux-culs et vertu est Anatomie d’une chute. Le film nommé dans cinq catégories, dont celle du meilleur réalisateur, aux Oscars n’a pas été retenu par la France pour la représenter aux Oscars - conséquence du discours ingrat et malhonnête de la réalisatrice Justine Triet après l’obtention de la Palme d’or. Mais l’ironie n’est pas là. L’ironie est dans la qualité du film et de ses personnages, l’ironie est dans LA scène du film, la séquence de la dispute, qui démonte consciencieusement toutes les inepties que ressassent les néoféministes, où il n’est question que de responsabilité et de choix, ni de victime ou de patriarcat, et où un couple se balance ses vérités qui sentent toujours l’amertume et l’envie, où madame est un tempérament avant d’être une femme, un écrivain avant d’être une mère ; l’ironie est dans l’enfant qui est aussi manipulateur que les adultes, qui sait mais ne veut pas savoir, qui a oublié son innocence dans la vie réelle – comme tous les enfants ; l’ironie est peut-être qu’Anatomie d’une chute est l’élégant et superbe chant du cygne du cinéma français libre.

Car, après cet interminable sketch de pureté pour les nuls, qui osera raconter une histoire qui sorte des clous de l’idéologique synthèse identitaire ? Qui osera écrire un personnage féminin qui ne souffre pas de sa vie de femme ? Qui osera encore sourire et rire et jouir et aimer la vie et la chair dans un film français ? Qui osera encore défier la censure ? Qui osera encore créer ?"


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