Revue de presse

"Celui qui croyait au réel, celui qui n’y croyait pas" (Riss, Charlie Hebdo, 12 jan. 22)

Riss, directeur de la publication de "Charlie Hebdo". 18 janvier 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Galilée avait tort, l’Église avait raison est le titre d’un ouvrage américain publié en 2010 et qui en est aujourd’hui à sa douzième réimpression. Écrit par de soi-disant experts, ce livre affirme que c’est Dieu qui a créé l’Univers et placé la Terre en son centre, et non qu’elle tourne autour du Soleil, comme l’avait pourtant démontré Galilée.

On pourrait rire d’une telle faribole, mais ce serait une erreur, car on assiste à une prolifération de discours de plus en plus fantaisistes et obscurantistes, qui remettent en question des réalités qu’on pensait incontestables. Jamais, depuis deux siècles, la science n’a été aussi attaquée, et des faits scientifiquement démontrés sont jetés à la poubelle sans honte et sans vergogne par le premier venu.

L’ivresse procurée par l’engagement politique s’est trouvé de nouveaux terrains de jeu. Comme si le triomphe de la démocratie, depuis la chute de l’URSS et la disparition de quelques dictatures sanglantes, avait privé l’homme de l’excitation d’avoir en face de lui des ennemis à sa hauteur. Après les statues de figures historiques au passé peu reluisant, c’est au tour de savants géniaux d’être jetés à terre. Ainsi, Galilée devient un escroc qui a trompé l’humanité, et Darwin un charlatan qui a défendu des thèses scandaleuses. Demain, ce sera au tour d’Alexander Fleming d’être traité d’empoisonneur, et Marie Curie de sorcière.

On a parfois l’impression que la démocratie s’autodétruit inexorablement sous nos yeux et qu’elle est en réalité bien moins menacée par un danger venu de l’extérieur que par une maladie qui la rongerait de l’intérieur. Les régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine n’ont pas besoin d’envoyer leurs chars dans nos contrées pour nous réduire, il suffit tout simplement d’instiller dans nos esprits des théories qui contestent les évidences les plus évidentes, y compris scientifiques, pour, au bout du compte, saper notre confiance dans notre système démocratique. Instiller le doute pour que tout devienne contestable, même ce qui faisait consensus.

Pendant la guerre d’Algérie, des militaires français montèrent une opération pour déstabiliser le FLN. Ils lancèrent une campagne d’intoxication qui laissait croire aux responsables du FLN que leur organisation était truffée de nombreux traîtres. La suspicion et la paranoïa firent le reste, et les chefs militaires algériens purgèrent leur mouvement en torturant leurs soldats pour les faire avouer, alors qu’ils étaient innocents de ce qu’on les accusait. Cette opération fit des milliers de morts parmi les combattants du FLN, tués par leur propre camp, sans que les militaires français qui l’avaient mise au point n’aient à salir leurs mains du sang de leurs ennemis.

C’est un peu la même sensation angoissante qu’on ressent ­aujourd’hui quand on voit mises à bas des connaissances scientifiques qu’on pensait incontestables. La méfiance s’installe, et on commence alors à s’entre-déchirer. Car c’est la confiance même en nos démocraties qui se trouve ébranlée par le poison du doute. L’attaque du Capitole, à Washington, mit en évidence cette défiance qu’avaient certains citoyens américains et qui les poussa à attaquer ce lieu sacré de leur démocratie. Un an après, celle-ci semble fracturée comme jamais par des divisions ethniques, culturelles, identitaires et même sanitaires, avec la crise du Covid, entre les antivax et les vaccinés.

Les libertés d’opinion et d’expression sont des droits fondamentaux, mais qui peuvent être dévoyés pour faire proliférer des théories qui rejettent des démonstrations scientifiques établies et propagent une vision paranoïaque de nos sociétés libérales.

L’émergence de l’idéal démocratique, il y a plus de deux siècles, est concomitante à la naissance de la science moderne, et la contestation de ses découvertes majeures est aussi la contestation même de nos démocraties. Si le minimum de confiance entre chaque citoyen disparaît, c’est le contrat social qui les lie à la société qui finira par se désagréger.

Plus rien alors ne nous retiendra de sombrer dans le chaos, puisque plus rien ne nous reliera les uns les autres. La science n’est plus un territoire neutre dont les découvertes devraient rassembler tous les citoyens par-delà leurs sensibilités politiques. Elle risque de devenir un champ de bataille idéologique supplémentaire où ne s’affronteront même pas des thèses scientifiques opposées, comme il est normal en ce domaine, mais carrément l’irréel contre le réel."

Lire "Celui qui croyait au réel, celui qui n’y croyait pas".


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