26 décembre 2015
"Récemment, sur Canal+, Michel Onfray a accordé à Thierry Ardisson ce qui était annoncé comme une « dernière interview avant le silence médiatique ». Un peu avant, il avait confié au « Point » une « grosse lassitude » devant « l’hystérie » que suscitent ses prises de position. Il a décidé de ne pas sortir son nouveau livre, « Penser l’islam » (Grasset), de « fermer [son] compte Twitter », sur lequel il était très actif, et de « retourner dans son bureau ». « Le Monde » a titré : « Michel Onfray annonce son retrait du paysage médiatique ». Il n’a pas répondu à notre sollicitation. Nous voulions l’interviewer sur son refus d’être interviewé.
Chez Thierry Ardisson, après le visionnage d’un medley de ses déclarations les plus tonitruantes (« Les vraies civilisations se constituent avec les gens qui peuvent mourir, qui veulent mourir, qui font la défense de la guerre »), Onfray a évoqué plus précisément cette lassitude de l’intellectuel médiatique :
« Si vous pensez qu’en deux secondes, on peut dire quelque chose d’intelligent… En revanche, on peut dire quelque chose de fatal pour celui qui a parlé. Qu’on me fasse la grâce d’imaginer qu’il faut plusieurs phrases pour développer une idée. »
On le sentait fatigué depuis quelques temps. Il avait déclaré, au « Petit Journal » de Canal+, en juin dernier :
« Quand je dis des médias qu’ils formatent une pensée, une réflexion, ils nous invitent effectivement à ne pas penser. Parce qu’il faut aller vite, il faut être drôle, malin, marrant, hyper-réactif. On n’a pas le temps de développer une pensée, d’aller jusqu’au bout d’une phrase. Au bout du compte, ça marche à l’émotion. La plupart du temps, l’émission est montée. On garde les engueulades, les coups de gueule, les coups de griffe, les coups de patte. Si quelque chose est un peu complexe, ça disparaît parce que sinon les gens zappent et passent à autre chose. »
La complainte a quelque chose de frappant, venant de quelqu’un qui semble s’épanouir parfaitement dans les eaux médiatiques, et qui d’ailleurs se plaint des journalistes dans les émissions les plus journalistiques qui soient. Michel Onfray, auteur de tweets sanglants et de clashs mémorables, roi des intellectuels publics, dénonçant la machine qui l’a fait : il se passe quelque chose.
Interrogé en 2004, quelques mois avant sa mort, par Xavier de la Porte et Jade Lindgaard pour les besoins d’un livre sur Bernard-Henri Lévy, Jacques Derrida parlait déjà du désarroi des média-philosophes :
« Ils se sont rendus compte eux-mêmes, à un moment donné, que leur visibilité médiatique les discréditait. Ils le savent. C’est là l’ambiguïté de l’intellectuel médiatique, l’auto-immunité de la chose. Ils sont tous intelligents. Ils savent que plus ils ont de crédit médiatique, moins ils ont de crédit dans certains milieux qui sont des milieux créant des puissances d’évaluation. »
La plupart des intellectuels pratiquent ce genre de diète, notamment après une tournée médiatique trop mouvementée. On téléphone à Emmanuel Todd, qui en début d’année a déclenché la tempête avec ses ruades contre la France Charlie. « Ah non non non, s’écrie-t-il quand on se présente, je fais une pause là. Vous voyez, je fais des courses au supermarché, j’achète des légumes, je ne veux plus rien avoir à faire avec les journaux. Oubliez ma présence sur votre carnet d’adresse. Considérez-moi comme un personnage non-public. »
Pascal Bruckner, autre habitué des plateaux, parle d’un « burn-out » post-promotionnel. « Après un livre, on n’en peut plus, dit-il. Au bout d’un moment, on ne pense plus qu’à sortir du tourbillon. » Dans les périodes fastes, il reçoit plusieurs invitations par semaine. « Quand on accepte trop, c’est non-stop. Beauvoir racontait que, certains jours, Sartre pouvait signer vingt pétitions, sans les lire. On peut vite y passer son temps. Le matin à la radio, l’après-midi dans un journal, le soir à la télévision. Les médias ont un appétit gargantuesque. Ils ont besoin de remplir des cases. On vous demande d’intervenir sur tout. Les tsunamis, l’euro, les attentats. Une fois, on m’a convoqué d’urgence pour commenter un soulèvement dans un pays africain dont j’ignorais tout, supposant que j’étais un spécialiste. »
« Ces temps-ci, je reçois dix appels par jour pour parler de l’islam, dit l’historien Pascal Blanchard. Je travaille sur l’immigration postcoloniale. C’est censé me donner une compétence sur les Arabes, donc sur l’islam. Et comme je peux parler d’islam, je peux nécessairement parler de terrorisme, de la situation en Irak, des lois sécuritaires, etc. On vient vous chercher pour des raisons très particulières, qui ont généralement peu à voir avec ce que vous faites réellement. Les plateaux sont composés selon des oppositions droite/gauche, excités/calmes, jeunes/vieux. Vous remplissez une fonction. »
Christian Delporte, historien des médias et de la communication politique, regarde le métier du télé-intellectuel comme une performance théâtrale. « Il s’agit avant tout de tenir un rôle. Ce que les Nouveaux philosophes ont amené, dans les années 1970, c’est cette capacité à se plier au rythme et aux formes du spectacle audiovisuel. Le cœur du métier, ce n’est pas la profondeur de la pensée, mais l’incarnation d’un imaginaire immédiatement identifiable par le téléspectateur. Quand BHL apparaît à l’écran, on sait d’emblée ce qu’il va dire et comment il va se situer. L’intellectuel médiatique est celui qui se laisse entraîner là où le journaliste le souhaite, et qui accepte de former son personnage. »
La consigne télévisuelle incite en somme à parler de tout, mais en disant tout le temps la même chose. L’école, la science, la technologie, le terrorisme, le tourisme, l’écologie : les questions les plus singulières sont rabattues sur des figures de pensée ultra-absorbantes.
Il existe, de ce point de vue, une sorte de hiérarchie, corrélée au degré de célébrité. Plus un intellectuel est célèbre, plus le domaine potentiel de son intervention est large. Un chercheur peu identifiable restera consigné à son domaine de compétence. Graduellement, on lui accordera de donner son opinion sur un nombre grandissant de sujets. Invité en 2010 chez Franz-Olivier Giesbert pour parler de Freud, auquel il vient de consacrer un livre, Michel Onfray est interrogé pêle-mêle sur les rumeurs d’infidélités dans le couple Bruni-Sarkozy ou sur l’attitude de Benoît XVI face à la pédophilie.
Le philosophe Michaël Foessel voit là un « devenir-journaliste de l’intellectuel, au moment où le journalisme, de télévision en particulier, n’est plus ce qu’il était ». Christian Delporte note qu’en France, « les intellectuels rêvent d’écrire dans la presse et les journalistes rêvent d’être considérés comme des intellectuels, voire comme des guides. La partie la plus visible de la production journalistique, c’est l’opinion. Et aujourd’hui, les rôles se rejoignent. Le cas le plus caractéristique étant Eric Zemmour. »
Le sociologue Eric Fassin est venu aux médias au début des années 1990, par la presse écrite, à une époque où « l’impact d’une tribune dans ‘‘le Monde ou ‘’Libé’’ était beaucoup plus grand. » « C’est évidemment passé par des hasards, mais c’était aussi un choix. J’ai trouvé que c’était intéressant de pouvoir éclairer l’actualité à partir de mon travail. L’intellectuel a selon moi une mission de service public. Je suis sociologue, mon métier est de parler de la société, mais je dois aussi parler à la société. »
Il est fréquent d’entendre, dans le milieu universitaire, que le niveau du débat d’idées a considérablement baissé au cours des dix dernières années. Fassin estime toutefois qu’il garde en France une place importante.
« C’est un héritage auquel j’attache du prix, dit-il, et que j’aspire à préserver. Malheureusement, la redéfinition médiatique de la figure de l’intellectuel fait qu’on s’y retrouve avec des gens de mauvaise compagnie. Aujourd’hui, les médias classent comme intellectuels des personnages qu’aucun universitaire ne reconnaîtrait comme tels. Ce n’est pas nouveau, mais ça prend de l’importance. »
Il distingue « l’intellectuel médiatique de l’intellectuel médiatisé », et définit le premier comme celui dont « l’existence intellectuelle est entièrement produite par ses interventions médiatiques ». « J’aspire à être un intellectuel médiatisé. Le fait d’être reconnu dans mon champ scientifique, la sociologie, est important. Mon but n’est pas de me soustraire à l’université en allant chercher une reconnaissance ailleurs, mais de faire passer des choses d’un monde à l’autre. »
Il est principalement sollicité par les chaînes et radios publiques. « Manifestement, les émissions de divertissement ne doivent pas trouver que je suis un bon client, puisqu’elles font rarement appel à moi. D’ailleurs, elles ont raison. Quand je crains que ma parole se perde dans le bruit, ou que l’apport intellectuel se dilue dans le spectacle, je préfère refuser. »
Pierre Bourdieu, qui entretenait des relations délicates avec le monde journalistique, jugeait « important d’aller parler à la télévision sous certaines conditions. » Il s’agissait notamment, pour lui, de « s’inquiéter de savoir si l’on pourra dire quelque chose », et donc de contrôler les conditions de sa prise de parole.
« L’accès à la télévision, écrivait-il dans « Sur la télévision », a pour contrepartie une formidable censure, une perte d’autonomie liée, entre autres choses, au fait que le sujet est imposé, que les conditions de la communication sont imposées et surtout, que la limitation du temps impose au discours des contraintes telles qu’il est peu probable que quelque chose puisse se dire. » Invité spécial du « Petit Journal » de Canal+, Michel Onfray a été interrompu dans ses réponses en moyenne toutes les 19 secondes. Sur l’antenne de France Inter au début du mois d’octobre, Alain Finkielkraut a eu 55 secondes, en moyenne toujours, pour répondre aux questions qu’on lui posait.
« Les émissions du service public laissent plus d’espace, dit Rony Brauman. C’est peut-être la dernière distinction qui existe entre le public et le privé. » La minute de parole reste toutefois un format qu’on retrouve dans la plupart des émissions grand public qui invitent des intellectuels. Dans les plus généreuses, où la conversation peut s’étirer, les journalistes interrompent presque systématiquement au bout de deux ou trois minutes. Ils coupent la parole, changent de sujet ou recentrent la conversation selon ce qu’ils jugent digne d’intérêt. Dans la presse écrite, la place accordée aux tribunes diminue.
« On vous demande de faire ‘‘Pourquoi la France est-elle au bord du gouffre ?’’ en 3000 signes, dit Pascal Blanchard. C’est la condition : savoir causer en très peu de temps. Ce n’est pas un exercice évident. C’est comme le sport, ça se travaille. Il faut le faire en continu. Mais c’est la règle du jeu. On est prévenu. »
« On construit des émissions de telle sorte qu’il faut huit invités pour vingt minutes, dit Michaël Foessel. On sent la panique dans le regard de l’animateur dès qu’on s’embarque dans une phrase un peu longue. Mais c’est assez normal, au fond. Quand on enseigne, aussi, il faut simplifier. C’est la condition même de la pédagogie. »
L’ultra-brièveté des formats médiatiques imposés pose un problème plus sérieux. « Ça a un impact indéniable sur le discours, juge Rony Brauman. Plus on doit être bref, plus on doit forcer le trait. Ça peut pousser à l’insulte ou à la caricature, qui sont dans l’ADN de cette forme de discussion. » Situation aggravée par le circuit de la reprise médiatique, qui a tendance à favoriser la parole agressive sur la parole intelligente. « Si on veut se retrouver dans le zapping, mieux vaut dire des énormités, dit Fassin. La provocation paie. Quand je dis, même en trois phrases, que tel problème est plus compliqué qu’il n’en a l’air, j’ai peu de chance d’être repris. Mais c’est une affaire de choix. Veut-on proposer des éléments pour ceux qui ont envie de réfléchir, ou bien faire du buzz, c’est-à-dire toucher le plus grand nombre, mais peut-être superficiellement ? »
Sur quels critères décide-t-on qu’une émission a été réussie ou ratée ? Dans une récente interview accordée à « l’Obs », Yann Moix, chroniqueur chez Laurent Ruquier, a révélé que la production d’« On n’est pas couché », lui envoyait par SMS les audiences et le nombre de tweets. La recherche de l’influence dans cet écosystème hurleur pourrait expliquer ce phénomène nouveau : à mesure qu’un intellectuel gagne en visibilité, il se radicalise.
« C’est une dérive de la pensée, dit Christian Delporte. Le propre de l’intello médiatique, c’est qu’il est intéressant à l’origine. Puis il sombre dans la facilité, parce qu’il n’a plus le temps de penser. Il court les plateaux, il réagit sans cesse. Le travail intellectuel exige de consacrer du temps à la réflexion. Onfray, pour prendre son exemple, n’est pas seul responsable de ce qui lui est arrivé. Il est entouré de toute une machine de journalistes, d’éditeurs, d’attachés de presse. »
« J’aurais tendance à penser que plus on se radicalise, plus on passe à la télévision, dit Brauman. Si on prend Onfray, ou Finkielkraut, ou BHL : ce sont eux qui ont progressivement rétréci leur champ de pensée pour la limiter à des formules frappantes et des idées englobantes. Qui sont devenus de moins en moins intellectuels, et de plus en plus médiatiques. Je les crois intelligents. Mais je pense que le rétrécissement de leur parole est une pré-condition de leur exposition. »
Il est arrivé à Brauman de jouer le jeu de la phrase-choc, un jour où il évoquait l’usage de la torture par l’armée israélienne. « J’avais ajouté sous la pression du journaliste que les victimes d’hier étaient devenus les bourreaux d’aujourd’hui. Je me suis longtemps reproché cette phrase, qui est une généralisation abusive et stupide. Sur le coup, ça sonne bien. C’est une bouchée sonore, qui vous abrutit. Ce sont des formules frappantes qui assomment ceux qui les énoncent. »
Selon Pascal Bruckner, « on sort parfois du plateau avec des regrets. On a dit une connerie, ou on n’a pas réussi à dire ce qu’on voulait dire. A la télévision, et même à la radio, surtout depuis qu’elle est filmée, on est un corps contrôlé. On doit se mettre en scène, et éviter de déraper. Ça arrive parfois, et on peut nous y pousser. Certains journalistes sont à l’affut de la petite phrase qui va faire le délice des réseaux. »
« Au fond, un intellectuel, médiatique ou pas, est censé incarner un rapport à la vérité, dit Michaël Foessel. Si le système médiatique le refuse et s’en dédit, ça donne ce à quoi on assiste : la valorisation des opinions extrêmes, qui garantissent un buzz. Par exemple, la promotion incroyable donnée à la parole raciste. Si on me dit qu’un type a pété un câble et sorti une énormité, je vais aller regarder. Mais je ne vais pas adhérer pour autant. Ça peut aussi me désoler. On a intériorisé l’idée que les spectateurs sont défiants à l’égard du débat intellectuel sérieux, que tout devrait être dit vite, sans réflexion ni médiation. Mais le regard est biaisé. Il ne faut pas sous-estimer l’ironie avec laquelle le public voit ces choses-là. La demande n’est pas si formatée. Le plus grand score de Ruquier, c’est l’émission spéciale tournée après les attentats, sans rires, sans public, sans controverse. »
Foessel, qui a participé à cette émission, a 41 ans. Jeune enseignant, versé dans la philosophie politique, il est passé à la radio, où il s’est avéré être un de ces « bons clients » qu’on peut ré-inviter sans crainte. En 2013, il a été choisi pour succéder à Alain Finkielkraut à la chaire de philosophie de l’Ecole Polytechnique, ce qui lui a valu un surcroît d’exposition. « J’ai pris le parti de ne pas refuser d’intervenir, dit-il. C’est important d’aller parler à la société quand on travaille sur des sujets qui touchent au politique, de vouloir rendre son travail public au sens le plus fort du mot. » Il aime bien la radio, moins la télévision. « Les studios sont souvent très loin. On se fait maquiller, on attend beaucoup. Finalement, on parle deux minutes, mais ça prend cinq heures. Ca n’est pas forcément agréable. »
Positionné à gauche, il se plie à l’exercice par « stratégie ». « Si on considère qu’une hégémonie culturelle se constitue et qu’on la déplore, dit-il, on peut choisir le repli, ce que font beaucoup de mes collègues, ou essayer modestement de la bousculer. Au bout d’un moment, il y a une tentation, que j’ai éprouvée. On se rend compte qu’entre un travail d’écriture laborieux, long, mal payé, et une intervention médiatique, le caractère coût-bénéfice est à l’avantage de la seconde. Le but du travail intellectuel est de produire un effet, et d’une certaine manière on en produit plus en parlant à tout bout de champ qu’en s’enfermant dans son bureau pendant un an. La tentation humaine de base est d’aller au plus facile. C’est là qu’intervient une dimension éthique et politique : choisir de ne pas participer au discrédit de sa propre position, et tenir à ce que la médiatisation soit fondée sur un travail. »
Le travail intellectuel, comme tout travail, repose partiellement sur des élans narcissiques, que la télévision sait flatter. Dans l’entretien cité plus haut, Derrida disait : « Aujourd’hui encore, à mon grand âge, et en ayant beaucoup publié, je me demande si c’est bien, si je n’ai pas publié parce que je suis trop exhibitionniste, si je n’ai pas publié pour faire l’intéressant. »
L’exposition aux médias, et à la télévision en particulier, rend célèbre. Mais la célébrité intellectuelle peut être étrange et paradoxale. « La plupart du temps, quand quelqu’un m’interpelle, c’est pour me dire qu’il m’a vu, mais qu’il ne se souvient plus de ce dont j’ai parlé », dit Rony Brauman. Expérience confirmée par presque tous les intellectuels interrogés, vus à la télé, mais pas forcément entendus.
Dans le monde universitaire, l’épithète « médiatique » est plutôt perçue comme infâmante. « Bien sûr, ça rend beaucoup de collègues méfiants, dit Fassin. En même temps, les médias attirent. L’espace public compte. Le coût de la médiatisation est plus important quand on est jeune, et donc quand on travaille à établir sa légitimité dans le champ scientifique. L’avantage de vieillir, c’est qu’aujourd’hui, on m’embête moins. » La célébrité s’inscrit aussi dans le jeu économique de la recherche et de son financement. « La médiatisation peut amener les institutions à utiliser votre travail, ou à faire vivre votre laboratoire, à obtenir des budgets », dit Pascal Blanchard.
Et puis il y a les plaies inévitables de la renommée, intellectuelle ou pas. A commencer par les insultes. « Après avoir fait une émission, vous vous en prenez plein la gueule, continue Blanchard, dont le domaine de compétence, l’immigration, est de nature à déchaîner les passions. Un Taddeï, c’est 120 mails d’insultes. Ce qui est énorme, parce que les gens font l’effort de trouver votre adresse. On les jette le matin et on commence la journée. » Il n’est ni sur Twitter, ni sur Facebook. « Sinon vous passez votre temps à vous polariser là-dessus. »
Eric Fassin est actif sur Twitter, en guerre permanente contre « les trolls professionnels ». « J’aime l’idée que ce soit entièrement public, et que n’importe qui puisse m’interpeller. On lit des réactions de gens qu’on ne croiserait pas autrement. Il n’y a pas que de la malveillance. Les reproches lancés me paraissent parfois injustes, quand on me critique à partir d’un contresens et que je n’arrive plus à m’en dépêtrer. » (Dans un texte sur le féminisme, il avait expliqué qu’il fallait « changer la notion de désirable ». Des twittos en colère avaient compris qu’il appelait les féministes à être plus séduisantes, et le lui avaient fait savoir avec virulence.)
Fassin travaille beaucoup sur la question des Roms, autre thématique trollogène. « Ce que je reçois systématiquement, ce sont des tweets du type : il n’a qu’à les prendre chez lui, lui qui habite forcément dans les beaux quartiers. Je les reçois comme un matériau pour comprendre la logique à la fois sociologique et psychologique du ressentiment. En ce sens, Twitter ne me sert pas uniquement à diffuser des articles, mais aussi à avancer dans ma démarche en réfléchissant sur ce qui se passe dans les différents espaces publics. »
D’autres sont plus réticents. « Ça me sidère de voir des intellectuels qui insistent sur la rigueur de l’argumentation et du travail tout en utilisant Twitter, dit Rony Brauman. Michel Onfray par exemple, qui ne cesse de rappeler les milliers de pages qu’il a lues pour parler à son public. Ça me semble une contradiction intenable. Le tweet est un point d’orgue du débat télévisé, fait de petites phrases, de soundbites. »
Onfray a quitté Twitter, après la tempête déclenchée par son tweet posté quelques heures après les attentats du 13 novembre (« Droite et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l’islam politique récoltent nationalement la guerre de l’islam politique »). Sur son blog, il déclare : « Lorsque 80 livres comptent moins qu’un tweet de 140 signes, c’est le tweet qu’il faut arrêter. »
Brauman a quant à lui quitté Facebook, réseau social qui laisse pourtant libre de publier d’interminables pensums argumentatifs. « Je ne m’en servais pas pour commenter l’actualité, ce qui est une maladie grave. Je ne voulais pas céder à l’épidémie. Je mettais en ligne des choses qui m’intéressaient. » Puis, après la confirmation que Damas utilisait des armes chimiques, il défendu l’idée d’une réplique armée contre le régime syrien.
« Ça a provoqué un déluge de réactions qui m’ont étouffé, par leur nombre et leur intensité, dit-il. Je ne voulais pas répondre, mais je trouvais intenable de ne pas répondre. J’avais l’impression de mépriser les gens. J’ai fermé le compte. Les amis Facebook sont de drôles d’amis. Ils vous apprécient pour des raisons que vous n’appréciez pas. Mes critiques contre Israël sont des critiques, pas des systèmes. Là, certains réagissaient comme si j’avais rejoint le camp des démons. Ça m’a passé l’envie. »"
Lire "Onfray, Fassin, Bruckner… ce que les intellos médiatiques pensent des médias".
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