8 août 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Analyse Entre 1831 et 1997, 139 pensionnats autochtones ont opéré au Canada sous l’égide du gouvernement canadien qui en a délégué la gestion aux Églises chrétiennes. Le manque de moyens alloués et la mentalité coloniale expliquent en partie les mauvais traitements subis par les pensionnaires.
Alexis Gacon, avec Matthieu Lasserre
Le premier établissement du réseau des pensionnats au Canada ouvre à Brantford, en Ontario, en 1831. L’initiative vient du gouvernement, et correspond aux projets missionnaires des Églises dans le Nouveau Monde. « Le gouvernement fédéral offrait le financement pour les locaux et le matériel. Les congrégations se chargeaient de la main-d’œuvre, des enseignants et du personnel administratif », précise Mathieu Arsenault, historien spécialiste de la construction de l’État colonial, à l’Université de Montréal.
L’encyclopédie canadienne estime qu’à l’apogée du réseau des pensionnats, dans les années 1930, l’Église catholique en administre les trois cinquièmes. La majorité de ses pensionnats sont dirigés par les Oblats de Marie-Immaculée, qui délèguent l’éducation et la gestion courante à diverses congrégations féminines, du Canada comme les Sœurs grises de Montréal (12 pensionnats) ou d’Europe comme les Sœurs de la Providence (8 pensionnats). Un quart des établissements va à l’Église anglicane. L’Église unie (protestante) et les Églises presbytériennes gèrent le reste.
La mainmise des congrégations religieuses s’explique par deux facteurs. Primo, l’État canadien alloue peu de fonds à l’entretien des pensionnats. « Cela lui coûtait beaucoup moins cher de déléguer cette tâche aux prêtres », rappelle Catherine Larochelle, historienne de l’Université de Montréal.D’autre part, les communautés chrétiennes disposaient d’un accès privilégié aux Premières Nations. « Les Oblats missionnaires étaient en contact avec les indigènes dans le Nord-Ouest depuis 1840 », illustre l’historienne.
Ottawa responsable de l’éducation des enfants des Premières Nations
À partir de 1876, la Loi sur les Indiens rend Ottawa responsable de l’éducation des enfants des Premières Nations et de leur assimilation. « L’intérêt des Autochtones comme celui de l’État requiert (…) tous les efforts (…) pour aider l’homme rouge à sortir de sa condition de tutelle et de dépendance et il est clairement de notre savoir et de notre devoir de le préparer, par l’éducation et tout autre moyen à un plus haut degré de civilisation (…) », note un rapport ministériel de 1876.
C’est donc l’État, à travers la loi, qui va fixer les objectifs d’éducation, pour les jeunes de 7 à 16 ans, et arracher les jeunes Autochtones à leur communauté. Tous les moyens sont bons pour en faire de bons Canadiens chrétiens. « Des membres du personnel enseignant vont même demander au département des affaires indiennes quelles sont les règles en matière de châtiments corporels. On leur répond qu’il n’y a pas de règles », raconte Mathieu Arsenault.
Dès les premières années, la mortalité s’envole. D’après l’historien, il est encore difficile d’expliquer complètement cette surmortalité car près de la moitié des causes des décès n’est pas spécifiée dans les registres. Lorsque c’est le cas, la tuberculose est la principale responsable, jusque dans les années 1950. « La malnutrition, le délabrement, le manque d’hygiène ont beaucoup contribué », ajoute Mathieu Arsenault.
Par ailleurs, le personnel des pensionnats est mal payé et sous-formé : « Le gros problème, c’est le manque de fonds et l’absence de contrôle gouvernemental, analyse Jim Miller, professeur émérite de l’université de Saskatchewan. Faute de moyens et de personnel, les congrégations ont fait appel à des enseignants extérieurs, parmi lesquels se trouvaient des abuseurs ». Pour trouver de l’argent, les enseignants doivent aussi faire travailler davantage les élèves à des tâches de production. « Le Canada s’attendait à ce que les enfants produisent leur nourriture. Une partie de la journée, ils apprenaient la religion, et l’autre, ils travaillaient dans les champs. »
Sur les 150 000 enfants qui ont fréquenté les pensionnats, 80 000 sont encore vivants. Au sein des communautés indigènes, l’image de l’Église catholique en particulier reste durablement entachée, en témoignent les récents incendies d’églises dans les réserves. « Les Premières Nations sont majoritairement croyantes, résume Manuel Menrath, chercheur à l’université de Lucerne. Elles aiment le message de la Bible, mais elles en rejettent aujourd’hui le messager »."
Lire "Canada : des pensionnats autochtones voulus par l’État et délégués aux Églises".
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