Revue de presse

C. Pina : « La leçon de liberté des Algériennes en bikini » (lefigaro.fr/vox , 28 juil. 17)

Céline Pina, ex-conseillère régionale (PS) d’Ile-de-France, animatrice de Viv(r)e la République, auteur de "Silence coupable" (Kero). 29 juillet 2017

"Lasses d’être harcelées et insultées pour le seul crime d’oser enfiler un bikini, à Annaba, en Algérie, sur la plage de Seraidi, des femmes s’organisent pour venir en groupe à la plage afin de porter un maillot-de-bain sans que cela ne les mette en danger. Ces femmes luttent ainsi contre une police des mœurs insidieuse qui se met en place, tandis que les autorités choisissent de détourner le regard. Ne pouvant être protégées par le pouvoir politique, elles n’ont que leur nombre et leur mobilisation pour tenter de faire accepter cette simple liberté.

Il faut dire que le mois de ramadan a donné lieu à une mobilisation militante sur les réseaux sociaux notamment, émanant des islamistes et des conservateurs, afin de diaboliser le bikini, vu comme une tenue occidentale, contraire aux valeurs de l’Islam et donc impure. Porter un maillot de bain devient « être dans le péché », « être nue » et pire vous vaut d’être mises au ban de l’humanité. C’est ainsi que pour délégitimer cette émancipation des femmes du carcan patriarcal et religieux, une campagne a été lancée avec pour slogan : « Je me baigne avec mon hijab, je laisse la nudité aux animaux ».

Le port du bikini n’étant pas interdit en Algérie, c’est à l’autocensure que ces femmes sont invitées. En théorie, elles ont le choix ; en pratique, ce choix est un leurre. La femme qui veut simplement aller à la plage en maillot de bain perd son âme, elle est rabaissée au rang de bête. De telles allégations sont lourdes de violences futures et portent en elles un potentiel d’agression non négligeable. Après tout, l’homme qui se laisserait aller à ses bas instincts sur une femme réduite à l’état animal ne commet pas un crime. Puisque selon ses critères à lui, elle ne se respecte pas, elle sera donc, plus que lui, responsable de la violence qui lui est faite. La perversion du raisonnement, pour lamentable qu’elle puisse être, n’empêche pas la violence ravageuse de ses effets quand de telles logiques imprègnent les mentalités.

Et le problème dépasse la question du port du bikini. D’après l’interview donnée au journal algérien Le Provençal par la fondatrice du groupe, qui pour sa sécurité se présente sous pseudonyme : « Maintenant que nous avons construit une communauté soudée, nous avons décidé de nous battre pour imposer nos robes et nos jupes dans les rues de la ville pendant toutes les saisons de l’année. Au XXIème siècle, même les Algériennes ont le droit (…) de mettre en avant leur féminité sans culpabiliser ».

Le combat de ces femmes pour leur émancipation commence par le corps et tandis qu’elles réclament le droit à être dans l’espace public sans cacher leur corps derrière un linceul symbolique ou sous des vêtements mettant en scène leur « pudeur », les néo-féministes françaises, dans la mouvance du Parti des indigènes de la république et de l’UOIF, ne connaissent qu’un combat à mener pour libérer les femmes : défendre le port du voile et se faire les relais de cette prétendue « pudeur islamique » qui n’est que le cache-sexe dérisoire de la négation de la femme.

Ces femmes en Algérie nous montrent l’ampleur de leur courage et témoignent, en creux, de l’enfer que devient le fait d’être femme dans des pays travaillés par le fondamentalisme religieux. Pendant ce temps, en France, montrer à quel point ce fondamentalisme fait vivre aux femmes un véritable calvaire et les met en danger, vous vaut les pires accusations de racisme. La gauche indigéniste, en se couchant devant les revendications de l’islam politique et les oukases du patriarcat, trahit et abandonne les plus faibles et les plus fragiles à une idéologie qui les réduits à être les objets de leur communauté et non des sujets libres, autonomes et désirants. Elle abandonne la cause des femmes et rentre dans la logique patriarcale et religieuse où la simple existence d’une différence entre les sexes suffit à justifier une hiérarchie entre eux.

L’aboutissement d’une telle palinodie est remarquablement incarné par le sémillant Justin Trudeau, premier ministre du Canada. Désireux de refondre complètement le Guide de citoyenneté, qui est remis à chaque individu voulant immigrer au Canada, il y a fait ôter un avertissement soulignant que certaines « pratiques culturelles barbares » telles que les crimes d’honneur et l’excision du clitoris étaient considérées comme des crimes au Canada. Non que ces pratiques aient été totalement éradiquées, elles connaissent plutôt un regain mal venu, mais parce qu’il estime que dire que lapider les femmes adultères, exciser les jeunes filles, commettre des crimes soi-disant « d’honneur » est barbare, pourrait être ressenti comme une offense par les musulmans. Or je crois que c’est la position même de Justin Trudeau sur ce dossier qui est offensante pour les musulmans.

Une amie croyante à qui j’en parlais s’est étouffée de rage et de colère : « Mais pour qui nous prend-il ? Ce n’est pas respecter l’autre que de penser qu’il est incapable de sortir de pratiques criminelles, ou de considérer que là où certains sont capables de grandir en civilisation, d’autres n’ont d’autres identités que l’obscurantisme et la barbarie. Et puis nous ne sommes pas tous soumis à la propagande wahhabite. Cela ne lui est pas venu à l’idée que pour certains et surtout pour certaines, nous pouvons désirer venir en occident pour partager les libertés qui y sont accordées ? Pourquoi serions-nous voués à ne souhaiter que la régression ? » En supprimant cette mention pour ne pas soi-disant offenser les musulmans, Justin Trudeau fait preuve d’une condescendance qui n’est autre qu’une forme sophistiquée du mépris. Pire même, pour donner des gages aux plus radicaux militants de l’Islam politique, il abîme l’image des migrants de confession musulmane et livre les femmes à l’oppression, pour peu qu’elle soit présentée sous un vernis culturel : c’est ainsi que dans le pays du multiculturalisme triomphant, l’excision n’est plus un acte barbare, mais une tradition devant laquelle on se doit de s’abstenir de tout jugement.

Or ces mutilations qui pèsent sur les femmes ont un but très précis : les cantonner à une fonction de reproductions et nier leur sexualité et pour s’assurer le contrôle des ventres. La femme n’est ainsi respectable qu’en devenant mère et en se cantonnant à sa fonction biologique. C’est ainsi que se met en œuvre la trilogie primitive de la domination : privation de libertés, privation de l’accès au savoir et privation d’accès à toute fonction d’autorité. Et plus ce système archaïque et répressif vomit la femme, plus il vénère la mère. Ces mères qui deviennent souvent le plus sûr verrou de la transmission du pouvoir patriarcal et qui jouent un rôle prépondérant dans l’aliénation des filles. En reprenant le pouvoir sur leur corps, en réclamant le droit à la féminité, les baigneuses algériennes nous montrent ce qu’est une vraie lutte féministe. Hélas, si ces bains collectifs deviennent un happening politique et féministe, c’est avant tout parce qu’elles ne peuvent pas compter sur le pouvoir politique pour défendre l’égalité entre les sexes. [...]"

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