Revue de presse

C. Duneton : L’orthographe, le nouveau péché laïc (lefigaro.fr , 28 av. 17)

Claude Duneton (1935-2012), écrivain, comédien. 5 mai 2017

"Tout ce qui peut contribuer à fortifier la langue française aujourd’hui est bienvenu. L’une des chances de retarder son étiolement, peut-être une condition de sa survie, est la solidarité entre les nations francophones, qui doit obliger notre langue à une diversité de bon aloi, et à une ouverture d’esprit salutaire de la mentalité des Français à l’égard des parlers d’ailleurs, tout particulièrement du Québec et de Belgique, ces pays plus francophones de souche que la France elle-même. Nous devons intégrer cette diversité d’accents et de lexique dont jouissent les langues européennes fortes, comme l’anglais et l’espagnol.

La France présente une différence énorme avec les autres pays européens : notre pays s’est francisé, linguistiquement, par l’action forcée de l’école primaire entre 1880 et 1920 quarante ans, une génération d’importance capitale qui a « fait la France », intellectuelle et affective. Cette nation scellée dans un flot de sang ! De même que l’Allemagne s’est unifiée à partir de la notion d’« aryen », la France s’est homogénéisée, dans une large mesure, par la dictature de l’orthographe.

Le nouveau péché laïc

Oui ! J’ai beau en vouloir à nos aïeux d’avoir assis le pouvoir républicain en s’aidant de cette béquille nationaliste : il en a été ainsi, et nous ne pouvons pas changer l’histoire. L’unité symbolique de la France est représentée abusivement certes ! mais bien réellement par la sacro-sainte graphie correcte de la langue d’Etat laïque et obligatoire. L’orthographe a été un gage de diplômes et d’emplois, modestes ou prestigieux, dans la grande usine de la fonction publique. L’orthographe fut en quelque sorte le ciment du sentiment national au même titre que le service militaire et l’anticléricalisme étatisé. La « faute » d’orthographe a été pendant longtemps le nouveau pêché laïc !

Ça, c’est une originalité que la France ne partage avec personne. Alors ?... Eh bien, contrairement à ce que prônent certains linguistes trop « professionnels », il convient de réformer l’orthographe du français avec la plus grande timidité. Ce qui importe n’est pas de savoir si une modification est justifiée « scientifiquement », mais de doser les dégâts qu’elle peut produire dans l’imaginaire des francophones. De ne pas leur donner le sentiment regrettable d’une faillite, et qu’ils ne quittent pas mentalement le navire ce qui, aujourd’hui, se traduit par passer corps et bien dans la frégate anglaise.

De plus, rien ne prouve qu’une simplification substantielle de notre orthographe faciliterait son apprentissage auprès de quiconque. La dyslexie est un phénomène lié aux conditions psychologiques d’un individu, pas à la difficulté d’une représentation graphique. Par contre, les subtilités orthographiques font partie du charme secret d’une langue écrite et nul ne parle de simplifier la graphie délirante de l’anglais afin de mieux le répandre dans le monde ! De plus, les pays qui ont opéré une réforme pour l’espagnol, le russe, l’italien l’ont fait dans des périodes de fièvre expansive, pas en pleine récession, dans la panique d’un colmatage.

L’essentiel est de faire aimer le français par les jeunes, et quand on aime on ne compte pas vraiment les lettres !"

Lire "La dictature de l’orthographe".


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