Jean-Paul Brighelli, enseignant, essayiste, auteur notamment de "La Fabrique du crétin" (Gawsewitch, 2005) 1er juin 2015
"Le Comité Laïcité République, club indépendant, s’est réuni à l’Assemblée samedi. Le constat dressé est accablant : partout, la laïcité est en danger.
Comme son nom l’indique, le Comité Laïcité République s’occupe de laïcité et de République, deux mots indissociables dans son esprit, mais à géométrie variable pour les médias et les partis politiques. Pour les groupes de pression surtout, et surtout ceux qui aimeraient bien que l’après-Charlie soit un avant-charia. Ce qui pourrait bien arriver, surtout si quelques idiots utiles, du genre Emmanuel Todd ou Edwy Plenel, persistent à leur tendre la main sous prétexte de plaindre ces damnés de la terre, ces réprouvés de la colonisation, ces descendants d’esclaves, ces exclus des banlieues, bla-bla-bla. Pour l’idéologie de la victimisation et de la culpabilisation, voir les nouveaux programmes de collège.
De Patrick Kessel, président du CLR, à Alain Seksig, ancien responsable de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’intégration (l’un de ces « machins », qui devait bien avoir son utilité, puisque Ayrault s’en est débarrassé très vite et l’a remplacé par l’innocent Observatoire de la laïcité, où Jean-Louis Bianco ronronne doucement en entérinant tous les reculs de la laïcité en France), tous les intervenants, sur des registres divers, ont enfoncé le clou : oui, la laïcité est menacée partout en France, et particulièrement à l’université. Oui, il faut élargir aux cours de fac (pas forcément aux campus, il y a des distinctions byzantines que je respecte entre espace public et espace d’enseignement) la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires, quels qu’ils soient. Et non, il n’est pas supportable que des fanatiques puissent menacer de mort un directeur d’IUT - Samuel Mayol en l’occurrence, applaudi debout à la fin de l’intervention où il résumait ses mésaventures, dont j’ai déjà parlé ici. Outre la sienne, toutes les interventions du colloque sont sur le site du Comité.
Au-delà de la France, la laïcité, revivifiée ici par les assassinats de janvier et la manifestation unitaire qui les a suivis, est revenue au premier plan de l’actualité, dans Palmyre occupée par l’État islamique, qui y a procédé à des centaines d’exécutions, au Nigeria, où des centaines de gamines sont violées et mises en esclavage par Boko Haram, partout où le Coran manié par des fanatiques remplace les droits de l’homme.
Le 22 janvier dernier, Mme Vallaud-Belkacem annonçait sa ferme intention de ne « plus rien laisser passer ». Chiche ! [1] Éclats de rire de la salle. Tout le monde sait bien que le ministre de l’Éducation avait autorisé en octobre les mères voilées à accompagner les élèves en sorties scolaires. Elle n’est pas revenue sur cette décision anti-laïque. Ou comment miner l’une des rares décisions totalement positives de Luc Chatel. Verba volant, scripta manent - pardon de parler latin, ce sera bientôt défendu.
Tous les intervenants ont insisté sur le fait que l’école et l’université enseignent à penser, et que penser, ce n’est pas croire. C’est même exactement le contraire. La foi ne pense pas, ce serait hérétique. L’intolérance ne pense pas, cela lui est impossible. Le fanatisme ne pense pas - il tue.
Des débats qui suivirent les interventions, avant la récapitulation opérée par Alain Seksig, interviewé ici même il y a quelques mois, il s’ensuit qu’il est urgent d’écrire un codicille à la loi de 2004. Les exemples concordants de menaces sur les personnes, de comportements inadmissibles de militants, d’affirmations choquantes de futurs professeurs au sein des Espe, ne permettent pas d’espérer que tout se réglera en fermant les yeux.
Il faut non seulement appliquer la loi de 2004, revivifier celle de 1905, qui est un acte fondateur de notre République, et peut-être même la réécrire, tant l’entrisme fondamentaliste dans les diverses administrations (celle des hôpitaux, par exemple) est un sujet d’une actualité brûlante.
Le 27 mai dernier, comme en témoigne l’un des participants, l’historien Guy Chevrier, ancien membre lui aussi du Haut Conseil à l’intégration, la réunion prévue dans la salle du conseil municipal de Saint-Denis a dû être annulée au dernier moment sous les menaces physiques du Collectif dionysien contre le FN et l’extrême droite (si, ça existe !) [2]. La vidéo mise en ligne est accablante : les ennemis de la liberté usent de n’importe quel amalgame pour imposer ce qu’ils croient être des idées et qui n’est que le remugle d’un nouveau fascisme. Au point que je serais personnellement tout à fait favorable à une interdiction générale des signes religieux ostentatoires - dans tout l’espace public. Comme je l’explique par ailleurs, tout ce qui abaisse la femme est une insulte aux combats menés depuis des siècles, un retour à la nuit.
François Hollande a célébré il y a quelques jours, en accompagnant au Panthéon le cercueil de Jean Zay, la laïcité ardemment défendue par le dernier grand ministre de l’Éducation qu’ait produit la gauche. Alors, chiche à nouveau, Monsieur le Président : donnez à la laïcité, qui est un bien inaliénable de la République française, les armes dont elle a besoin dans son combat contre tous les intégrismes. Ou disparaissez dans les poubelles de l’histoire, sur lesquelles des extrémistes bien pires que ceux imaginés par Houellebecq poseront le couvercle."
[1] Voir Patrick Kessel (vidéo) : "Ne laissons rien passer, chiche !" (Colloque du CLR, 30 mai 15) (note du CLR).
Lire aussi Colloque du CLR « Laïcité et enseignement supérieur » (Paris, 30 mai 15) (note du CLR).
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