Revue de presse

""Bonjour, maîtresse" : de Mitterrand à Macron, les entrevues des présidents et des Immortels" (L’Express, 18 août 22)

21 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Chaque élu à l’Académie française est reçu en rendez-vous à l’Elysée. Une tradition monarchique qui permet au chef d’Etat d’éprouver son rapport aux lettres.

Par Étienne Girard

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Emmanuel Macron raccompagne Hélène Carrère d’Encausse et Maurizio Serra à l’escalier qui les redescend au rez-de-chaussée du palais de l’Elysée. Dans sa main, le président de la République serre un ouvrage, que vient de lui offrir le diplomate italien. Il s’agit d’une édition rare de Dix jours en Italie, un récit de voyage de Maurice Barrès. L’écrivain et député nationaliste, connu pour ses mots antisémites - "Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race" -, l’a publié en 1916, en pleine Première Guerre mondiale. En prenant congé de ses deux invités, le chef de l’Etat remercie l’Académicien pour son cadeau : "Ce sera dans ma bibliothèque personnelle."

La scène a lieu début 2020, quelques semaines après l’élection de l’ambassadeur à l’Académie française. Malgré la réforme des retraites, la campagne des élections municipales et les balbutiements de la crise du Covid, le président a pris le temps de recevoir l’Immortel, accompagné du secrétaire perpétuel de l’institution, pendant 45 minutes. Le principe de ces rendez-vous n’est inscrit dans aucun texte, mais la tradition veut que le premier magistrat du pays, "protecteur" de la compagnie, approuve personnellement l’entrée de chaque élu sous la Coupole, à travers une entrevue. Un "rite républicain", décrit l’ex-ministre Xavier Darcos, fauteuil 40, on pourrait aussi y voir une survivance aristocratique. "C’est un adoubement", confirme Hélène Carrère d’Encausse, la "tsarine" du Quai Conti, comme disent ses confrères, en citant cette cérémonie médiévale au cours de laquelle le jeune noble était fait chevalier par un seigneur. [...]

En 1998, Jacques Chirac avait même reçu trois Académiciens ensemble : le juriste Georges Vedel, l’écrivain Erik Orsenna et l’historien René Rémond. [...] Avec la romancière Florence Delay, la même année, le chef de l’Etat se montre cette fois dragueur. "Bonjour, maîtresse", lance-t-il en lui faisant le baise-main, féminisant volontairement le vieux qualificatif de "maître" qui s’applique aux Immortels. "Ah non, monsieur le président !", rouspète l’historien Marc Fumaroli, qui l’escorte. Les deux hommes discutent de la manière dont les Japonais considèrent leurs maîtres. "Ça va jusqu’au trésor !", prévient l’universitaire. Immanquablement, Jacques Chirac s’en souviendra au moment de se séparer de ses invités. "Au revoir, trésor", murmure-t-il à celle qui joua Jeanne d’Arc dans le film de Robert Bresson.

En théorie, le chef de l’Etat peut répudier un candidat. "Personne ne sera reçu à l’Académie, qui ne soit agréable à Monseigneur le protecteur", est-il écrit dans les premiers statuts de l’institution, datés de 1635, toujours en vigueur. En 1683, Louis XIV, déçu que le poète Nicolas Boileau ait été battu, s’oppose pendant un an à son tombeur, Jean de la Fontaine. En 1959, le général de Gaulle fait connaître son hostilité au diplomate Paul Morand, totalement compromis sous Vichy. Neuf ans plus tard, il lève ce veto, Morand enfile l’habit vert. Aujourd’hui, l’enjeu de l’approbation n’existe plus vraiment et chaque président envisage l’Académie à sa façon. [...]

"Pour François Hollande, l’Académie française a beaucoup compté", salue Hélène Carrère d’Encausse. Le socialiste a rendu un service à la "tsarine", en 2013 : à sa demande, il a écrit une lettre au Quai Conti pour confirmer qu’il n’existait aucune condition de nationalité pour candidater. L’écrivain canado-haïtien Dany Laferrière envisageait alors de se présenter et le secrétaire perpétuel avait entendu un de ses confrères demander, en réunion, suspicieux : "Est-il bien français ?". [...]

A la fin de son quinquennat, le président socialiste est contacté par Jean d’Ormesson. "Il a demandé à me voir le dernier jour de ma présidence", révèle François Hollande, qui a décliné. Il ne souhaitait pas copier François Mitterrand, qui avait passé ses deux dernières heures au pouvoir en compagnie du "roi Jean". En dépit de cette amitié et de sa passion pour la littérature, Mitterrand n’aimait pas cette institution conservatrice, longtemps réfractaire aux talents venus de la gauche. "Je pourrais doubler le nombre des Académiciens pour faire entrer mes amis", avait-il menacé auprès de Maurice Druon, le ministre de Georges Pompidou, secrétaire perpétuel de 1985 à 1999. A l’occasion de la refonte du protocole des cérémonies officielles, en 1989, le chef de l’Etat décide d’ailleurs... de faire reculer les Immortels. Situé au treizième rang par un décret de 1907, le secrétaire perpétuel glisse au vingt-quatrième. Les Académiciens, eux, disparaissent. Un casus belli pour Druon, qui ne se rend plus à la moindre commémoration.

Avec Nicolas Sarkozy, la discussion de salon finit souvent par évoquer... Nicolas Sarkozy. [...] Devant plusieurs élus, le chef de l’Etat répète aussi qu’il verrait bien Alain Souchon et Francis Cabrel en habit vert. Sans succès. [...]

En 1974, les Académiciens profitent d’ailleurs du court mandat du châtelain René de Castries, "le plus riche de l’Académie", dixit Paul Morand, qui raconte l’épisode dans son Journal inutile, pour lui faire réclamer au président Giscard d’Estaing un relèvement de l’indemnité des Immortels. "9 F l’heure, salaire d’une femme de ménage", s’indigne le duc de Castries - en vain, aujourd’hui encore, les élus touchent environ 317 euros net par mois. [...]"

Lire ""Bonjour, maîtresse" : de Mitterrand à Macron, les entrevues des présidents et des Immortels".


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "Les secrets de l’Académie française" (juil.-août 22) (note du CLR).


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