Revue de presse

"Biologie, médecine… Quand la wokisation du savoir contamine les sciences" (L’Express, 22 déc. 22)

23 décembre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Négation des différences entre les sexes, disqualification de Darwin, décolonisation de la médecine… Un nouvel obscurantisme a pris ses quartiers en France.

Par Laetitia Strauch-Bonart

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[...] Une menace inédite se fait jour dans nos pays, la contestation croissante de la démarche scientifique et de ses résultats au nom d’une idéologie nouvelle, prétendument progressiste. Le phénomène est particulièrement visible dans la discipline essentielle à notre compréhension de l’humain, la biologie.

Insidieuse, parce qu’apparemment inoffensive, respectable et drapée dans les oripeaux de la "justice sociale", cette idéologie remet en cause, au nom du progrès, des connaissances fondamentales, sur l’évolution de l’espèce, les fondements naturels du comportement humain ou encore les différences entre hommes et femmes. Dernièrement, ce "wokisme" diffus a même trouvé un allié inattendu dans un créationnisme revivifié par l’islam rigoriste.

Ce nouvel obscurantisme, il faut l’admettre, a pris ses quartiers à gauche bien plus qu’à droite. Celui de droite est connu depuis longtemps : d’abord religieux, il s’est recyclé dans le néo-créationnisme, notamment aux Etats-Unis, le climatoscepticisme ou le refus de la vaccination. Le cas est dénoncé, connu, disséqué.

La difficulté posée par l’obscurantisme de gauche est qu’il est difficile à reconnaître et à nommer car il se pratique évidemment au nom du bien. A l’arrivée, pourtant, le mal est fait.

Une "science prolétarienne" qui conduit à un "grand abêtissement"

La grande enquête de L’Express sur ce mouvement d’ampleur l’illustre abondamment. A chaque fois, la méthode est la même : refuser la validité de faits biologiques au nom d’une raison supérieure qui n’a rien à voir avec la science, et terroriser les institutions ou les chercheurs qui diffusent ces faits.

D’aucuns refusent l’existence de disciplines comme la génétique comportementale ou même les neurosciences sous prétexte que l’être humain ne serait, au plan psychologique, qu’une "page blanche" sans aucune assise naturelle. D’autres nient l’existence de différences naturelles entre les sexes au nom d’une égalité qu’ils confondent avec la similarité. D’autres appellent à la "décolonisation" des sciences, à commencer par celle de la "médecine", pour éponger les souffrances subies par les peuples autochtones. D’autres ne peuvent concevoir qu’on leur livre une histoire de l’espèce humaine dépourvue de finalité, en clair contraste avec celles que racontent les religions - qui ont toute légitimité pour le faire, mais comme des histoires et non des vérités. D’autres, enfin, ne trouvent d’autre stratagème pour réfuter des thèses qu’ils détestent que la disqualification personnelle de leurs auteurs, à commencer par les plus grands, comme Charles Darwin.

A la manœuvre, des étudiants bien sûr, des militants, des médias, et malheureusement moult chercheurs en sciences sociales, qui estiment que décrire le réel revient peu ou prou à le cautionner.

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Les attaques actuelles contre le savoir seraient au fond anecdotiques si elles se cantonnaient aux départements de lettres ou de sciences humaines qui, du marxisme à la psychanalyse, n’en sont pas à leur première lubie. Mais le danger guette lorsque la wokisation du savoir contamine les sciences. Professeur émérite à la Sorbonne, le philosophe Jean-François Braunstein, dans un récent entretien à l’Express, nous confiait ainsi : "S’il ne s’agissait que des facultés de lettres, je n’aurais pas écrit ce livre [La religion woke, Grasset]. Le problème, c’est que le wokisme contamine maintenant les facultés de médecine ou de biologie. Si on enseigne aux étudiants qu’un homme peut être enceint et avoir ses règles, je suis un peu inquiet quant à leurs connaissances biologiques. Selon des penseurs comme Anne Fausto-Sterling ou Donna Haraway, la biologie est ainsi une fausse science, qualifiée de ’patriarcale’, ’viriliste’ ou même de ’colonialiste’. Le philosophe des sciences et militant du genre Thierry Hoquet va jusqu’à expliquer que la ’biologie nous biaise’. Elle ne serait qu’un ’dispositif politique contre lequel il faut défendre ceux que la biologie du sexe a contribué à opprimer : femmes, homosexuels, transsexuels, intersexués’ ".

Or cette nouvelle "science prolétarienne" ne nous prépare à rien moins qu’à un "grand abêtissement", ce qui serait déjà en soi une tragédie, mais qui aurait en sus des conséquences pratiques dont nous ne mesurons pas assez le caractère délétère. Faudra-t-il par exemple, lors de la prochaine épidémie, se contenter de vaccins mis au point par des équipes "inclusives" ou selon les méthodes d’une médecine traditionnelle, et même si ce ne sont pas les meilleures ?

L’autre difficulté posée par ce nouvel obscurantisme est que la gauche, en faisant l’autruche sur les questions liées à la biologie, laisse le champ libre à l’extrême droite qui récupère, interprète et déforme à qui mieux mieux les résultats scientifiques qui l’arrangent. Un cercle vicieux s’est même installé : quand il faut s’attaquer rationnellement aux arguments scientifiques avancés par l’extrême droite, par exemple sur la supposée existence de "races", la gauche s’y refuse, certains de ses membres étant sincèrement convaincus que des disciplines scientifiques comme la génétique comportementale et la génétique des populations, qui permettraient cette réfutation, sont dangereuses… parce qu’elles sont récupérées par l’extrême droite. Et ainsi de suite. Pour un scientifique, il faut avoir bien du courage pour continuer à débroussailler ce terrain miné.

La grande revanche des (mauvais) littéraires sur les scientifiques

Il y aurait beaucoup à dire sur les causes possibles de cet obscurcissement généralisé. On ira de la plus charitable à la plus cynique. L’Occident vit peut-être un moment de profonde fatigue, où la fougue épistémologique des Lumières a laissé la place à une forme d’engourdissement, alimenté par la prospérité de notre civilisation. Il est probable que des cultures riches et protégées de dangers immédiats se laissent davantage aller et gâchent leur richesse dans des lubies qui ne servent à rien si ce n’est à apaiser leurs consciences. Il n’est pas sûr, par exemple, que les facultés de biologie ukrainiennes - ou ce qu’il en reste - s’ébaubissent face à l’existence de 48 sexes différents ou cherchent à décoloniser leur "médecine".

Deuxième hypothèse, l’éclatement au grand jour d’un manque de passion pour la science généralement partagé. Entre les "j’aime pas les maths" répétitifs des adolescents et l’inculture scientifique de la majorité de nos dirigeants, il est en effet difficile de trouver dans nos nations un élan sincère pour la matière scientifique. Bien heureusement, cet amour existe, mais il est cantonné à quelques personnes qui deviennent… scientifiques. Chez les autres, la science ne sert qu’à avoir de bonnes notes au baccalauréat.

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En troisième lieu, nous avons peut-être affaire ici à la grande revanche des (mauvais) littéraires sur les scientifiques. Et si le postmodernisme, qui irrigue la pensée "woke", n’était au fond que cela, la tactique employée par les "intellectuels" pour détrôner les "savants" ? Car comme l’ont montré les canulars d’Alan Sokal puis du trio Boghossian-Lindsay-Pluckrose, comme le montrent chaque jour les essais de demi-habiles qui se vendent comme des petits pains, il est des pans entiers des sciences sociales où des propos abscons tiennent lieu de "vérité" et peuvent être publiés sans aucun scrupule. On ne peut donc pas interpréter les malheureuses aventures de la biologie ou de la médecine, aujourd’hui, sous le seul angle d’une opposition candide entre le savoir et l’idéologie ; c’est aussi une lutte pour le pouvoir et la reconnaissance. Hier tranchée par la méritocratie, elle se décide aujourd’hui par l’idéologie et la soumission aux diktats les plus navrants. Aux scientifiques, maintenant, de relever le gant."



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