Revue de presse

"Bioéthique : quand l’Assemblée devient un groupe d’études bibliques" (lavie.fr , 29 août 19)

2 septembre 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La commission spéciale sur le projet de loi bioéthique a entendu ce jeudi 29 août Mgr Pierre d’Ornellas, le pasteur François Clavairoly et le Grand rabbin Haim Korsia. L’audition a donné lieu à des échanges profonds sur… la Bible.

Sous les ors de la salle Lamartine, les origines de Jésus-Christ préoccupent la représentation nationale. C’est que le député de Charente-Maritime se sent une vocation d’exégète. « Quand il apparaît dans l’évangile de Matthieu, c’est Joseph qui instaure la filiation du Christ », souligne Raphaël Gérard (La République en marche), qui convoque « l’Arbre de Jéssé qu’on voit dans toutes les cathédrales de France », pour attaquer l’hostilité catholique à l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA). « Comment arrive-ton à nier cette distinction entre l’essence et la filiation, alors qu’elle me semble consubstantielle à la foi catholique ? », se demande l’élu. « Je suis heureux que les ors de la République soient sensibles à la théologie », sourit l’archevêque de Rennes, Pierre d’Ornellas, qui ne s’attendait sans doute pas à ce que l’audition des représentants des cultes par l’Assemblée nationale prenne une telle tournure. « Mais on ne fait pas dire à la Bible ce pourquoi elle n’est pas écrite. On ne peut pas utiliser de façon fondamentaliste, littéraliste, un texte pour résoudre nos petits problèmes humains ».

Quoique franc-maçon, Jean-Louis Touraine, député (LREM) du Rhône, et rapporteur de la commission spéciale sur la bioéthique, s’intéresse lui aussi à la théologie catholique. « Il y plusieurs exemples de GPA dans la Bible, avec Sarah et Abraham avec l’aide de Agar, avec Jacob et Rachel. Nous, nous ne proposons que, modestement, non pas la GPA mais bien l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules », ironise-t-il. L’élu rappelle en effet l’épisode de la Genèse, dans lequel Abraham contourna la stérilité de son épouse Sarah en concevant Ismaël avec sa servante, Agar. Un épisode que l’archevêque de Rennes interprète différemment : « Dans ce cas, comme dans les autres, les mères porteuses bibliques sont des esclaves », répond-il. « L’objectif de ces récits est de montrer la frustration, l’amertume, la souffrance », appuie François Clavairoly, le président de la Fédération protestante de France (FPF), rappelant la rivalité ultérieure entre Ismaël et Isaac, fils d’Abraham et Sarah. « La Bible souligne bien qu’Ismaël est l’enfant d’Agar », ajoute Haïm Korsia, en félicitant l’auditoire pour le niveau élevé des discussions. « Vous avez parmi vos rapporteurs, Madame la présidente, d’éminents biblistes ! », s’exclame le Grand rabbin de France.

Marquées par ces querelles d’exégèse à fleurets mouchetés, les deux heures d’audition des représentants du culte se sont déroulées dans une véritable harmonie. « Il règne un esprit de fraternité dans cette salle », se félicitera même la présidente de la commission, Agnès Firmin-Le Bodo (UDI), prompte à reprendre les rares députés qui tentent d’apostropher les représentants religieux. A l’exception des deux élus du groupe La France Insoumise, qui avaient décidé de « boycotter » l’audition au nom du « principe de laïcité », les parlementaires questionnent leurs hôtes avec courtoisie. La différence de ton, par rapport à la mémorable audition du 29 novembre 2012 sur le « mariage pour tous », qui avait vu certains députés écraser de leur mépris les représentants des cultes, est flagrante. [...]

Sur le fond, cependant, pas de surprise. Les trois représentants rappellent leur credo. « Pas question de banaliser l’assistance médicale à la procréation avec donneur », insiste Pierre d’Ornellas. Pour sa part, François Clavairoly redit son opposition à la GPA et évoque les « réticences » formulées par la commission éthique et société de la FPF, refusant « une médecine visant à satisfaire des souhaits ». En reprenant sa référence à Paul Ricœur – déjà évoquée lors de son audition devant la mission d’information parlementaire sur la bioéthique, en octobre 2018 – le pasteur explique sa position en deux étapes. Les techniques pour aider les couples infertiles ne sont pas à exclure, mais « on ne peut pas encourager la fabrication des enfants à la demande, des enfants sans père exposés à des risques psychologiques et à la discrimination sociale. » Interpellé par un député sur l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, le président de la FPF précisera plus tard qu’il ne disait pas « non », mais qu’il incitait à la « vigilance » : « Il ne faudrait pas que l’enfant à venir devienne l’otage de cette grande souffrance occidentale des couples, qui ont de la peine à survivre à leur propre projet », alerte-t-il.

Quant à Haïm Korsia, évoquant avec la même force de conviction Dark Vador (« je suis ton père »), le chanteur Jean-Louis Aubert (« T’as eu c’que t’as voulu, même si t’as pas voulu c’que t’as eu ») et le philosophe Emmanuel Levinas, son éloquence irradie la salle. Notant que « tout le possible n’est pas faisable », le Grand rabbin de France met en garde contre la course aux pulsions individuelles en évoquant l’insatiabilité des Hébreux après la sortie d’Egypte : « Ils sont libres, mais ils veulent de la viande ! » Plutôt que de réviser périodiquement les lois de bioéthique, Haïm Korsia suggère qu’une commission parlementaire siège de manière permanente pour évaluer les législations déjà existantes, notamment sur la fin de vie. « Quand je vois l’exemple du suicide assisté en Suisse, et, outre-Manche, Bobby Sands qu’on a laissé mourir de faim, je suis assez fier des choix que la France a fait », conclut le rabbin, qui renvoie les députés à leur conscience. « C’est à vous de décider. C’est entre vos mains, en notre nom à tous ». La session d’études bibliques est terminée pour aujourd’hui."

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