Martine Gozlan, rédactrice en chef à "Marianne". 19 juin 2018
"Le plus grand orientaliste contemporain, Bernard Lewis, vient de mourir à presque 102 ans alors que la recherche universitaire sur l’islam et le monde arabe, dénaturée par les injonctions idéologiques, est devenue « un champ de ruines », comme le rappelle Gilles Kepel dans un vibrant hommage à celui qui fut l’un de ses maîtres. Lewis, né à Londres dans une famille juive, auteur de milliers de pages, polyglotte, était l’observateur averti d’un monde musulman dont l’émancipation intellectuelle et politique, soulignait-il très tôt, était freinée notamment par la situation insupportable faite aux minorités, aux femmes, et par la haine affichée pour la condition féminine en Occident.
On sait que l’Egyptien Sayyid Qutb, fondateur de l’islam politique et violent, revint d’un séjour à New York horrifié - ou frustré - d’avoir croisé tant de libres Américaines. Nul ne pouvait naguère comprendre l’Orient islamique sans lire Bernard Lewis. Mais cet immense savant trouva deux obstacles sur sa route. Le premier fut un chercheur à l’influence non moins considérable : l’intellectuel palestino-américain Edward Said. Ce dernier, disparu en 2003, commit en 1978 un essai (l’Orientalisme), devenu depuis quarante ans le bréviaire de tous ceux qui contestent, voire interdisent, le regard occidental porté sur les Arabes et les musulmans. Les nouveaux « décoloniaux » et « indigènes » sont les lointains héritiers de ce texte.
Célèbre controverse
« Edward Said, écrit Gilles Kepel, a réduit le savoir livresque de Lewis à une machinerie lui permettant d’essentialiser les peuples arabes contemporains. » Paradoxalement, Lewis, qui avait tant scruté la condition des dhimmis, juifs et chrétiens en terre d’islam, faux protégés et vrais persécutés, refusa de qualifier de génocide… le génocide des Arméniens par les Turcs. Ce qui lui valut une condamnation en France en 1995. [...]"
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