Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 7 mai 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"« Équipe de France : "Benzema mérite à 100% d’être à l’Euro », « Benzema, Deschamps ne peut plus l’ignorer », « Benzema, la plus grosse injustice de l’histoire ? » ou encore "Deschamps, le crime avec Benzema doit s’arrêter", telle que s’insurge la presse footballistique espagnole, le joueur sévissant dans l’équipe du Real Madrid, sur l’argument qu’il marque régulièrement des buts… Et alors ? Les articles se multiplient, à quelques semaines de la présentation de la sélection des joueurs français pour l’Euro, pour faire pression sur Didier Deschamps afin d’imposer le retour de Benzema en bleu. On en passe même par attaquer Giroud, parce qu’il ne jouerait pas assez dans son club, Chelsea (qui vient de battre en demi-finale de la Ligue des Champions le Real Madrid), depuis l’arrivée d’un nouvel entraîneur qui le laisse un peu trop sur le banc de touche. C’est ainsi que l’ancien agent de Karim Benzema, Karim Djaziri, interrogé sur RMC, réclame aussi ce retour, avançant que des internationaux étaient sélectionnés par Didier Deschamps alors qu’ils ne jouaient pas dans leur club… On appréciera l’élégance de la méthode. Mais aussi, cet oubli, qu’Olivier Giroud est le second meilleur buteur de l’histoire de l’équipe nationale, dépassant Michel Platini.
C’est dans ce contexte que l’un des journalistes qui écrit le plus en faveur de ce retour, ressort une vieille affaire de dopage de la Juventus de Turin où le sélectionneur des Bleus a fait une partie de sa carrière, pourtant mis hors de cause, puis, de reprendre les propos d’un ancien directeur de l’Agence Française de la lutte anti-dopage, rapportant les dires d’un médecin préleveur lors d’un contrôle des joueurs de l’OM qu’entrainait alors Deschamps, selon lequel ce dernier n’aurait pas apprécié, pour parler d’un coup de colère… Cela le rendrait-il suspect de quoi que ce soit ? Le même journaliste publie encore à la suite sa dernière cartouche : « Benzema, Deschamps sait pardonner… » On aura rarement vu dans le football pareille campagne de propagande.
Le sélectionneur aura tout essuyé, donnant de la matière à l’expression selon laquelle le succès ça rend fou, mais là, surtout les autres, c’est même l’enfer disait quelqu’un… Didier Deschamps, un champion du monde qui a fait gagner la France, pour la faire championne du monde à nouveau comme sélectionneur-entraineur, les exemples ne sont pas si fréquents, La voilà la vraie performance hors norme ! bien au-dessus de celle éphémère d’un buteur de Ligue 1, ce qui demande autre chose que de savoir taper dans un ballon.
Que cache cette pression inouïe pour un retour de Benzema ?
Au refus de ce retour de Benzema, on cherche des explications et il y en a, mais on les met toutes sur un plan personnel, en avançant un différend avec Deschamps et Noël Le Greät le président de la FFF, laissant penser que cela ne dépendrait que d’un problème d’humeur. Il n’en est rien. L’origine de cette situation tient à l’affaire de chantage présumé à la non-diffusion d’une sextape de Mathieu Valbuena, dont celui-ci aurait été victime, en 2015. Benzema s’est alors retrouvé dans la tourmente, accusé d’y avoir joué un rôle pour être placé en garde à vue puis mis en examen pour « complicité de tentative de chantage et participation à une association de malfaiteurs » et placé sous contrôle judiciaire. Noël Le Graët révèle alors, que Benzema est écarté de l’équipe de France « jusqu’à ce que la situation évolue ». Il ne sera pas retenu ensuite par Didier Deschamps pour l’euro 2016. Après plusieurs rebonds judiciaires autour de la procédure, le 7 janvier 2021, le parquet de Versailles a annoncé que Karim Benzema était renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de « complicité de tentative de chantage » dans l’affaire en question. Selon le code pénal, il encourt jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. « Bon, alors c’est pour quand la mascarade, hein ? », a-t-il ironiquement réagi sur Instagram. Pour l’exemplarité, on repassera…
Hormis cette situation judiciaire, qui ne pouvait que nuire à la carrière du joueur, un fait d’une autre gravité a résonné comme un coup de tonnerre. Après les propos délétères d’Eric Cantona accusant Didier Deschamps de ne pas avoir pris Ben Arfa et Benzema pour l’Euro, en raison de leurs origines nord-africaines, ce dernier déclare dans un entretien à Marca, quotidien sportif espagnol, à quelques jours du début de la compétition, que l’entraîneur de l’équipe de France et Le Graët ont cédé « à une partie raciste de la France ». Le maillot bleu qu’il a porté est alors entaché, par une accusation qui ramène la politique dans le football pour opposer une prétendue France contre une autre, qui met directement en cause le sélectionneur français, laissant planer sur lui un doute intolérable. On voit mal comment, après avoir ainsi incité à la division de son pays sur fond de procès en racisme, sans objet ici, il aurait pu en représenter les couleurs. Ce qui, dans un contexte social fragile sur cet aspect, alors que pour bien des jeunes il représente un modèle, était un peu comme jouer avec une boîte d’allumettes au-dessus d’un baril de poudre.
Procès d’une France raciste à laquelle on aurait cédé ? Accuser n’est pas jouer !
Un dossier épineux qui dépasse la sphère du football. Jamel Debbouze rebondit sur ce propos de Benzema, regrettant de n’avoir « aucun de nos représentants en équipe de France. »... Lui qui fait partie du Top des personnalités préférées des Français avec les Omar Sy et consorts, donne ainsi du grain à moudre à cette accusation. Pour la petite histoire, on trouvait pourtant dans l’équipe tricolore Adil Rami avec sa double nationalité, française et marocaine... L’équipe de France est à l’image de notre République qui ne reconnait aucune communauté, mais des individus de droit, indépendamment de l’origine, la couleur, la religion…, et ne saurait se composer selon les représentations identitaires des uns ou des autres.
Cette France égalitaire, qui transpire derrière le maillot bleu, c’est tout le contraire de cette vision caricaturale d’un pays divisé entre des racistes supposés et les autres. Loin de dire que le racisme n’existe pas, mais que, de ce genre de généralisation, d’accusation gratuite inspirée par le dépit, rien ne peut sortir de bon, que des plaies à vif. Le foot justement est une chance, sport populaire, qui peut aider à dépasser les préjugés et à rassembler, à fraterniser. SVP, à préserver !
Dans la foulée des propos de Benzema, la maison de Didier Deschamps a été vandalisée, taguée du mot « raciste »… Selon Philippe Tournon, ancien chef de presse de l’équipe de France, le sélectionneur français en aurait pleuré. On peut le comprendre, l’accusation de racisme pour quelqu’un qui honnit ce sentiment, et montre à travers la composition même de cette équipe toute absence d’approche nauséabonde de ce genre, c’est la pire des insultes, la plus infamante, la plus injuste.
Jérôme Rothen, ancien joueur qui commente l’actualité dans ce domaine explique que, si Karim Benzema « pense qu’il n’a pas fauté et qu’il n’a pas à s’excuser, (…) il fait une grave erreur ! Ça ne pourra jamais s’arranger », pour rajouter, « Didier Deschamps attend (des excuses), enfin il attendait, maintenant je pense que c’est trop tard. » Chose qu’il n’aura pas su faire, à l’aune de soutiens contre-productifs.
Une équipe qui ne fait qu’un, par-delà les différences, comme une nation
Encore, sur football.fr, on parle d’ « une mise au ban dont la plupart des analystes ont bien du mal à s’accommoder. Nouvel exemple ce week-end avec Louisa Necib, ancienne joueuse de l’Equipe de France, interrogée par BeInSports. « Je mets Benzema dans ma liste car je le juge uniquement sur ses performances sportives. Il mérite amplement d’être dans cette Equipe de France », a-t-elle asséné » et de rajouter selon le site « comme ont récemment pu le faire Christophe Dugarry ou Arsène Wenger. » Pas un mot sur le sens du maillot bleu aux reflets tricolores. Juste incroyable, désolant pour l’image du football !
Certains seront toujours sourds à ce qui constitue pourtant l’essentiel dans le sport, ses valeurs, comme le voit la devise olympique, « plus vite, plus haut, plus fort », dont le véritable ressort est le respect et la gratuité du geste… Et comme l’affirme la règle 50 de la Charte olympique : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. » Ces détracteurs de Didier Deschamps feraient bien d’en prendre de la graine.
On présente Karim Benzema en sauveur suprême, le grand joueur qui nous manquerait… Mais au fait, depuis qu’il a été mis hors-jeu de l’équipe nationale, les Bleus n’ont donc rien fait ? Ils ont joué la finale du dernier euro pour le titre et sont devenus rien de moins que Champions du monde en 2018. Il y a une mauvaise foi ici qui tient sans doute plus des jeux du cirque que du ballon, un côté sport-fric qui fait rêver les gamins des quartiers, dont on nourrit plus les rêves à l’aune des sommes vertigineuses du marché du mercato, que du sens attaché à la chance d’être sélectionné en équipe de France pour représenter un pays, son pays, ce qui ne s’achète pas. Les équipes nationales, face à ce système quelque peu devenu fou, redonnent au ballon une certaine valeur collective, intégrative, dénouée de l’unique argent-roi.
Le 18 mai prochain, Didier Deschamps annoncera la liste des joueurs sélectionnés en équipe de France pour l’Euro (11 juin-11 juillet 2021). Une équipe oui, de toutes les couleurs et les différences pour ne faire qu’une, une et indivisible, autour d’une Marseillaise et d’un drapeau tricolore, comme une nation."
Lire "Benzema hors-jeu : L’équipe de France, celle d’une nation une et indivisible !"
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Karim Benzema dans Sport (note du CLR).
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