Note de lecture

Beaux et damnés, Carolyn et John-John, un couple fitzgéraldien (Th. Martin)

par Thierry Martin 5 juin 2024

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Stéphanie des Horts, Carolyn et John, Albin Michel, 274 p., 21,90 €.

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Je n’aime pas les livres de femmes et encore moins ceux des écrivaines, dans le genre Christine A., « pire imposture des cinquante dernières années », dixit Éric Naulleau, ou Annie E. dont l’indigence de l’écriture finiraient par faire insulte à l’idéologie qu’elle prend pour de la sociologie.

Carolyn et John est un livre d’écrivain.

Stéphanie des Horts dévoile tout avec l’impudeur d’un magazine people, mais c’est au style rythmé du galop d’un hussard qu’elle campe scène après scène. On tourne la page suivante, mais ce n’est pas un page-turner. On ne sait pas comment on y va, mais on sait où on va.

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On voudrait presque ralentir en posant les 274 pages sur la table de chevet ; et se repasser les images des jours heureux parce qu’on connait la fin tragique de ce livre dès la lecture du titre Carolyn et John, un signifiant qui rappelle la chanson de Vanessa Paradis, Marilyn et John, mais surtout une mise en garde sur le bandeau rouge « la malédiction des Kennedy ». Le name-dropping dès lors a toute sa place. Son grand-père, « celui qui ressemblait à Clark Gable, courait la gueuse et se noyait dans le bloody mary. » Une ancienne amie lycéenne « Christina Haag une liane aux longs cheveux noirs, au regard limpide et aux faux airs d’Ali MacGraw dans Love Story. »

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« Et lui, il ressemble à qui ? Il est magnifique, presque trop beau pour être vrai. On cherche la faille, on la cherche longtemps, on ne la trouve pas. Ce garçon est sensationnel à tous égards. (…) Sa mère, il a tout pris d’elle. Son côté aquilin, ses couleurs, son regard perçant. Oui il a tout pris de sa mère et le meilleur de son père. La légende. » Plus loin : « Ce garçon n’est pas beau, il est pire. »

« Un peu de Brando et beaucoup de Nicholson, tu as un don. Persévère, » dira son professeur de théâtre.

La photographie a poussé les peintres vers l’impressionnisme, le cinéma nous donne à voir dans les romans, les lecteurs ont bien souvent une plus grande culture filmique que littéraire, et la persistance rétinienne des images de cinéma nous imprègne de portraits géants de stars comme ceux des people à la une des magazines.

« Je sais à quoi ressemble Jackie Kennedy, mon cher John, » répond le même professeur parce qu’il lui décrivait Mummy pour qu’il la reconnaisse. Jusqu’à son dernier souffle, elle veillera sur lui, et lui interdira le théâtre au profit du droit.

Sur son lit de mort, elle lui fera promettre de garder auprès de lui son compagnon, le businessman belge Maurice Tempelsman, qu’il ne soit pas pilote, et qu’il reste proche de sa sœur Caroline. Parjure, il vire Maurice de l’appartement new-yorkais, passe son brevet de pilote et se brouillera avec sa cœur qui n’apprécie pas Carolyn Bessette. Dès lors la malédiction se remet en branle.

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On ne peut que penser au titre du roman de Francis Scott Fitzgerald The Beautiful and Damned, improprement traduit par Les Heureux…, jusque-là pourquoi pas, mais par Les Heureux et les damnés, laissant entendre qu’il s’agirait de deux groupes différents. Beaux et damnés à la fois, voilà le vrai sens du titre et le sujet idéal pour cet écrivain français tellement fitzgéraldien qu’est Stéphanie des Horts.

Comme dans les tragédies grecques, bien qu’on en connaisse la fin, le fatum, « la malédiction des Kennedy » renforce le suspense.

Le futur président des États-Unis

Que connait-on de la vie de John-John ? Nous savons juste ce dont lui-même n’a aucun souvenir. « Il n’a aucun souvenir de John Kennedy, pas plus du Resolute Desk, ni du salut militaire le plus célèbre de l’histoire et encore moins des culottes courtes que sa gouvernante l’obligeait à porter. » Il a juste le souvenir du bruit de l’hélicoptère qui annonce le retour de son père.

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Le livre nous apprend tout le reste, parfois on se remémore des bribes d’échos lus dans la presse people. On ne compte plus ses aventures. Daryl Hannah, Madonna, Julia Roberts et même Sarah Jessica Parker, vous savez Carrie Bradshaw dans Sex and the City. Jamais mufle, il se dépense sans compter pour les complimenter.

« [John-John] n’a jamais d’argent liquide sur lui. Parce qu’il le perd. Parce qu’il ne fait attention à rien. Parce qu’il est habitué à être servi. » Pour avoir de la monnaie il établit des chèques de cent dollars à l’ordre de son ami Pat Manocchia qui ne sont jamais encaissés. L’Italien - en Amérique on est longtemps nommé d’après son origine – qui lui a donné 100 dollars en liquide, revend les chèques 500 à des filles qui les encadrent. Elles sont ravies.

Etudiant à Brown, université qui fait partie de la très sélective Ivy League, il s’installe avec son ami Rob Littell dans le campus historique et verdoyant, au centre même de Providence, dans l’Etat du Rhode Island. « Chambre 210 au deuxième étage à gauche du grand escalier en bois massif. (…) Les filles se trémoussent devant la porte » dont Miss Crazy, une blonde rondouillarde et plutôt vulgaire qui vient d’un trou paumé à la frontière, du côté du Maine. « Elle a envoyé à John des milliers de lettres auxquelles il n’a pas répondu. » Donc elle va à l’essentiel. « Ah le bon sens provincial ! Et la bouseuse s’installe dans la chambre 210. » Mais pas de pitié pour les laiderons, elle est vite expulsée. Il y a déjà tant de belles filles à combler.

Plus tard à Boston après un épisode savoureux que vous découvrirez, John dit :
« Pourquoi il m’a dit : Nous croyons en vous ?
Ils voient tous en toi le futur président des États-Unis, » répond son ami.

Mais celui qui le fascine, c’est Reagan, le républicain, avec son éloquence, sa stature, cette manière qu’il a de tout mettre en scène. Pas Carter, le marchand de cacahuètes, ni les démocrates avec leurs transports en commun. Au métro, il préfère la bicyclette, le taxi ou l’avion personnel.

« À Brown, les filles se succèdent dans la chambre 210. La scolarité de John est au beau fixe, et Jackie rassurée. » (..) Jennie laisse la place à « Sally Munro, une étudiante en histoire, dont la richissime famille finance le Parti démocrate. Cette beauté brute est le portrait craché de Caroline Kennedy, la grande sœur adorée de John. »

« À St Mary’s High School, refuge de la jeunesse dorée de Boston, les sœurs Bessette ne passent pas inaperçues dans leur uniforme en flanelle grise. Au beau milieu des bâtiments blancs aux toits d’ardoise, des terrains de sport nichés dans la forêt, Lisa et Lauren brillent par leur travail, Carolyn par son indiscipline. On dit qu’elle s’amuse beaucoup trop, surtout avec les garçons, on dit tellement de choses. »

Quand Carolyn débarque chez Casey’s, le bar à la mode, c’est le branle-bas de combat. « Elle a 20 ans, et en parait beaucoup plus. Elle a le don de faire disparaitre tous ceux qui l’entourent, un halo lumineux l’enveloppe, elle est la quintessence du chic. »

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Carolyn file en cabriolet à toute allure vers la plage de Tod Point. John Cullen appuie sur le levier de vitesse. « Elle laisse sa tête partir en arrière, sa crinière s’envole, la musique des Bee Gees résonne, « Stayin’ Alive », ah cette voix de fausset de Barry Gibb ! ». John Cullen c’est le play-boy hockeyeur à la mâchoire carrée. « Carolyn éclate de rire, elle est sincère, drôle, sympa, ingérable. » Le bel hockeyeur canadien est promis à un brillant avenir, mais Carolyn le trompe avec son coéquipier, Chris Matchett, et dévaste une amitié de vingt ans.
Elle annonce finalement à ses sœurs qu’elle part à New-York. À New-York !

« Tu vas rencontrer de beaux garçons, s’enthousiasme Lauren.
John Kennedy au moins, et je te parie que je le mettrai dans mon lit !
Tu vas en tomber folle amoureuse », estime Lisa.

« Toute vie est bien entendu un long processus de démolition », écrivait Francis Scott Fitzgerald. John Kennedy va rencontrer sa Zelda, et ils mettront un bel enthousiasme à tout démolir. Carolyn Bessette le traite avec dédain. C’est une belle garce, mais il en est fou. Drogue, cocaïne, crises d’hystérie, virées adultérines, New-York est donc bien comme nous l’a montré Brett Easton Ellis. Mais pour John, Carolyn et sa sœur Lauren, le pire est à venir, au large de Martha’s Vineyard. Alors on savoure l’éphémère.

On repose le livre pour ne pas le dévorer trop vite. Mais on le reprend.

Thierry Martin [1]

[1auteur notamment de
Célébrités. Les causes des people, Amazon, 2024, 279 p., 17 €.
BoJo, un punk au 10 Downing Street, Amazon, 2022, 312 p., 14,98 €.


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