8 juillet 2015
"Quand un enfant d’immigré veut réussir, il devient la cible des cancres.
Un jour Claude Allègre découvrit le mammouth. L’animal était gros, très gros, et tirait sa force de son inertie. Depuis, il est devenu énorme, boursouflé. Du mammouth on croit tout savoir. Une ribambelle de pédagogues obtus s’exprimant dans une langue qu’ils sont les seuls à comprendre. Des syndicats qui veulent toujours moins d’élèves et toujours plus de profs. Des enseignants qui font ce qu’ils peuvent et – on les comprend – qui ne redoutent rien tant que d’être mutés dans le 93.
On croit tout savoir, mais on oublie les élèves. Quoi ? Des enfants seraient-ils responsables de quoi que ce soit ? Il y a longtemps, la Zazie de Queneau voulait être instit « pour faire chier les gamins ». Aujourd’hui, il y a des gamins par dizaines de milliers qui vont à l’école « pour faire chier tout le monde ».
Pour eux – et aussi, bien sûr, pour leurs parents –, un gouvernement de gauche, celui de Michel Rocard, créa le Haut Conseil à l’intégration. Un autre gouvernement de gauche, celui de Jean-Marc Ayrault, le supprima en 2012. C’est que le HCI avait, l’année précédente, commis le crime des crimes : dire la vérité sur certains élèves. Un rapport qui montrait comment les territoires perdus de la République avaient gagné du terrain fut son arrêt de mort.
On y apprend que dans certaines villes comme Clichy-sous-Bois, Aubervilliers ou la Courneuve, plus des trois quarts de la jeunesse est d’origine étrangère ; qu’il n’était pas rare d’avoir des classes primaires et des collèges « entièrement composées d’élèves d’origine étrangère partageant la même confession » ; que « la montée du fondamentalisme et du communautarisme ouvre la porte à des contestations de cours de plus en plus nombreuses. » ; que de nombreux enseignants d’Histoire ont du mal à aborder le fait religieux, la Shoah, le Proche-Orient ; que, en cours de sciences, « l’évolutionnisme est remis en cause au profit d’une action divine ou créationniste » [...].
Lire "Banlieue, la loi du plus faible".
"[...] Voilà. C’est dit en termes mesurés comme il sied à un rapport. Mais c’est dit. Le HCI n’est pas, que l’on sache, une succursale de la place Beauvau, une officine du Front national, un organisme tenu en sous-main par les Identitaires ou Riposte Laïque. Parmi ses membres actuels on compte Malika Sorel, Yazid Chir, Mohand Hamoumou, Nacer Meddah, Abdel Wahab Meddeb… J’ai, bien sûr, choisi ces noms à dessein.
Osons ici un mot tabou : le choc des civilisations ! Le livre de Samuel Huntington, paru sous ce titre, avait été publié bien avant les attentats du World Trade Center. Depuis il s’est passé beaucoup de choses qui sont allées dans ce sens. Et plus les choses allaient dans ce sens, plus les flics de la pensée protestaient : « Circulez, il n y a rien à voir » ! Le choc des civilisations, nul besoin d’aller le chercher dans les montagnes de l’Afghanistan, dans les zones tribales du Pakistan, dans la charia, dans la burqa, près des églises coptes qui brûlent, dans les fatouah, dans les lapidations… il est ici. Chez nous. Au coin de la rue. Dans les villes, les quartiers et les écoles que cite le Haut Conseil à l’Intégration.
Que dire de plus ? Qu’ajouter à ce qui résonne comme un glas ? Pas grand-chose sinon une histoire personnelle qui montre qu’aucune fatalité génétique ou raciale ne pèse sur les gosses issus de l’immigration. Une histoire qui montre aussi, hélas, le mal que peut faire un repli identitaire et religieux.
En CM1 mon fils avait une amie du nom de Fathia. Surdouée, brillante, appliquée. Une famille modeste, très modeste. Sa mère lui répétait souvent : « tu es Arabe alors tu dois travailler deux fois plus, deux fois mieux que les autres ». Ainsi avaient fait, de génération en génération, les petits Juifs venus de l’Est, les petits Portugais, les petits Espagnols… Ils ne s’en sont pas portés trop mal.
Fathia sauta une classe et se retrouva, un an avant mon fils, gamin privilégié, au collège. Ce fut un cauchemar. Elle était de nouveau première ! Et les élèves, issus de la même cité qu’elle, la harcelèrent jour après jour. Elle fut régulièrement traitée d’ « Arabe blonde » : l’équivalent de « bounty », noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur, utilisé pour les « traitres » par certains enfants d’origine africaine. Comment, elle, une Arabe, pouvait-elle, osait-elle, être première ?
Fathia fit une dépression, sa mère alerta les profs. On ne fit rien, il ne fallait pas « stigmatiser »… Fathia a été retirée du collège (public). Elle est aujourd’hui dans un établissement catholique. Toujours première. Il y a une dizaine d’année parut un petit livre intitulé « Les Territoires perdus de la République ». Il disait déjà tout ce qu’on peut lire dans le rapport du HCI. Tout ce qui devait arriver à une Fathia. En dix ans la République a encore perdu beaucoup de ses territoires."
Voir aussi “Les défis de l’intégration à l’école” (Haut conseil à l’intégration, jan. 11) (note du CLR).
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