22 octobre 2015
"À l’occasion de la sortie de son roman 2084, le grand écrivain algérien nous fait part des inquiétudes qui le dévorent.
Cher ami français,
Je voudrais vous donner quelques nouvelles de la guerre qui fait rage dans le monde et qui ici et là est arrivée jusque sous vos fenêtres. J’en ai eu quelques échos. Les fenêtres de nos voisins ne vous concernent peut-être pas mais, quand même, quand un immeuble s’effondre dans le fracas c’est tout le quartier qui est ébranlé.
Je commence par mon pays, l’Algérie, je m’en excuse, j’y vis ainsi que mes chers miens, pour vous dire que je suis très inquiet à son sujet. En venant vous rendre visite, il y a deux semaines, je l’ai laissé dans un état réellement épouvantable, disloqué et sentant la douleur et la mort. Ceux qui le gouvernent au nom de leur seul nom ne se rendent compte de rien, ils font leurs affaires mollement, repus et distraits qu’ils sont, se croyant encore dans le vieux cadre, celui de 1984, qu’ils avaient inauguré dans la liesse de l’indépendance recouvrée et le bonheur de goûter sous peu de temps aux fruits fins de la rente pétrolière, alors que des fureurs s’annoncent de tous côtés.
C’est en prolongeant cette vision effrayante que j’ai écrit mon dernier ouvrage, 2084. J’ai plongé dans un monde à venir que je vois, que j’imagine, soumis à une dictature religieuse rigoureuse qui s’étend sur tout l’Abistan. Elle aurait quelque chose à voir avec l’islamisme mais celui-ci parvenu à son apogée, là où le Bien, le Vrai et le Juste n’épargnent personne, sauf deux gentils hurluberlus, Ati et Koa de leurs noms, les héros de cette histoire, qui se sont enhardis à croire qu’ils sauraient s’affranchir de ces choses parfaitement halal et rester en vie, et mieux, passer de l’autre côté de la Frontière, une limite mythique inventée par de pauvres fous décapités depuis longtemps, pour rejoindre un monde abstrait dont nos apprentis transfuges ne savaient rien sinon qu’il était voué au doute, au clinquant et à la dépravation, et qu’il serait, malgré cela ou pour cela, permis d’y vivre dans la liberté, l’égalité et la fraternité.
Revenons en Algérie, aujourd’hui. Après avoir détruit une partie du peuple durant l’ère intermédiaire de 1990, les hordes barbares s’apprêtent à recommencer. Je ne suis sûrement pas le seul à les voir occuper les rues, remplir les mosquées, sillonner le pays de jour comme de nuit, reformer des hordes, organiser des réseaux, ouvrir des maquis, traverser et retraverser les frontières lourdement chargés. Pourquoi feraient-ils cela si ce n’est pour préparer la nouvelle guerre sainte, le grand djihad des temps derniers ? Mais pour l’immédiat, le premier danger, c’est le président, alias Small Brother. Mourant et fou comme il est, mais encore intelligent et plus retors et vindicatif que jamais, il a miné le pays à l’instar les nazis qui avaient miné Paris pour le faire sauter à leur départ. Le jour de son trépas tout explosera, l’Algérie disparaîtra avec lui, c’est son plan, il ne veut la laisser ni aux généraux qu’il abhorre, ni au peuple qu’il méprise, ni aux islamistes qu’il trouve peu assurés dans leur démarche pour mériter de lui succéder. En vérité, seul le peuple est condamné, les gradés ont des pied-à-terre confortables dans toutes les belles capitales du monde et les islamistes ont des camps partout où brille le soleil d’Allah. L’avantage de la guerre sainte est qu’on peut la faire partout alors que l’argent sale ne s’héberge que dans les paradis fiscaux.
J’espère qu’à ma prochaine venue en France, je n’aurai pas à vous annoncer la fin de mon pays. Rendez-vous compte qu’en s’effondrant ce pays immense entraînera tout le Maghreb et le Sahel au fond de l’abîme et le tsunami qui suivra arrivera jusqu’à la Manche. Aurez-vous seulement le temps, mes amis, de vous mettre à l’abri sur les montagnes ? Je vous le dis franchement, je crains pour vous, vous me semblez si peu préparés, pour ne pas dire indolents. Je ne sais trop non plus si vous vous rendez compte que vos gouvernants qui sont d’une pusillanimité indescriptible vous poussent carrément dans le cauchemar.
Mais il n’y a pas que l’Algérie qui branle, il y a le reste du monde arabe, tout cassé et dispersé en morceaux par les printemps arabes et que les vents du saint djihad mondial poussent à se rejoindre pour former un nouveau et vaste continent. Il est le noyau de ce qui deviendra l’Abistan, ainsi que je l’ai appelé dans mon roman. Tout ce que vous avez connu au cours de votre longue histoire n’est rien au regard de ce que l’Abistan vous offrira. Enfin, je l’ai imaginé comme ça, quelque chose d’absurde, infiniment plus sinistre que le Daech, l’Afghanistan, Boco Haram, la Somalie et la Libye réunis, plus démoniaque que toutes les machinations de l’Arabie et du Qatar, plus fou que tous les rêves de puissance de ces anciens empires ressuscités que sont l’Iran et la Turquie. Où et comment diable ces pauvres islamistes ont-ils appris à planifier si bien et si loin ? Lourdauds que nous sommes, nous ne voyons pas même l’ombre filante de leurs idées.
Nous pouvons, et je le souhaite vivement, nous rencontrer quelque part pour discuter en détail de cette vision. S’il n’y a aucun danger à parler librement, à haute et intelligible voix, nous nous interrogerons aussi avec toute la rigueur nécessaire pour voir ce qu’il serait possible de faire afin que cela n’arrive jamais et que nous puissions continuer de vivre notre temps sur terre dans la paix et la joie, du moins d’en rêver tranquillement, sans nous restreindre d’aucune manière, avec cependant la prudence des gens avisés, nous ne connaissons pas tous les malheurs du monde et les rêves sont parfois la porte d’entrée des pires maladies.
Vous serez en droit de me répondre que mon livre ne dit rien de ce qu’il conviendrait de faire pour que 2084 reste un simple conte noir. Vous aurez raison mais il faut se souvenir que tout ne se dit pas, les mots sont dangereux de nos jours, ils nous reviennent à la figure, les gens les entendent à l’envers, ils voient des amalgames et des phobies là où tout est simple et juste réalité. Le fait est que nous sommes tous, et vous en particulier, pris dans le piège de la taqiya. Ce fichu mot n’est pas traduisible, il est mystérieux comme la mort, sachez qu’il a à voir avec la ruse de guerre sainte et qu’il y a des siècles de malice et de magie derrière cette chose. Par un jeu subtil d’insinuations, d’accusations suggérées et de menaces voilées, de dénonciations vagues, d’incantations fiévreuses et de cris pleins d’un étrange silence, les champions de la taqiya nous inoculent le virus de la culpabilité et voilà qu’aussitôt montent en nous la honte de penser, la peur de dire et le refus d’agir. C’est le regard du serpent qui tue la souris, le venin et la constriction n’y ajoutent que la souffrance. Il est sûrement trop tard, l’Abistan est déjà dans vos rues, mais votre combat n’en aura que plus de mérite."
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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