par Gérard Durand. 25 février 2022
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, éd. La Découverte, 2017, 160 p., 12 €.
Dans un récent numéro, le Canard Enchainé nous conte la vie d’un oiseau, le martinet noir. Venu du sud de l’Afrique pour se reproduire, il séjourne dans nos régions environ trois mois chaque année avant de retourner vers sa résidence estivale. C’est une espèce très particulière ; pourvu de pattes atrophiées, le martinet noir ne peut se déplacer à terre que sur de toutes petites distances, alors il vole à grande vitesse, en permanence, il peut rester en l’air jusqu’à neuf mois consécutifs. Quand il arrive dans nos régions, son problème est de trouver un endroit ou nicher ; les vieilles granges et les souches abritées se faisant de plus en plus rares, il se trouve parfois en difficulté. De plus, les insectes dont il se nourrit disparaissent peu à peu, tués par les insecticides, mettant l’espèce en danger.
Quel rapport me direz-vous, avec le livre de Bruno Latour ? Eh bien il m’est apparu à la lecture du Canard que le citoyen électeur était une sorte de martinet noir. Décontenancé par la vie politique actuelle, ses errances et ses trahisons, il ne parvient plus à se poser mais va errer à la recherche d’un endroit ou le faire.
L’affaire n’est pas simple et beaucoup, n’y parvenant pas, se réfugient dans l’abstention, de plus en plus massive. Ils ont compris que la mondialisation entraine inévitablement l’absence de toutes les protections et se demandent comment retrouver un sens à l’histoire, « retisser des bords, des enveloppes, des protections ; comment retrouver une assise en prenant en compte à la fois la fin de la mondialisation, l’ampleur de la migration ainsi que les limites de la souveraineté des états désormais confrontés aux mutations climatiques ».
Le défi est immense et de plus en plus menaçant. Les « élites » l’ont bien compris et ont décidé de se débarrasser au plus vite de tous les fardeaux de la solidarité, persuadées que, dans un futur proche, il n’y aura plus de place pour tout le monde. Les inégalités explosent et « du haut du bastingage les classes inférieures voient les canots s’éloigner de plus en plus ».
Comme les martinets noirs le peuple ne sait plus où se poser. La globalisation ne fonctionne plus et le local n’offre que des solutions incertaines. Même les super riches, qui ont beaucoup compté sur Ubu, qu’ils avaient placé à la Maison-Blanche notamment, pour nier le phénomène climatique et leur laisser le temps de prendre des dispositions de survie pour eux seuls, doutent sur l’efficacité de leur démarche. Quand au peuple il croit de moins en moins en une troisième voie pourtant promise par beaucoup de partis et a bien compris que le centre politique ne pouvait que se situer sur la même ligne que la droite ou la gauche en affadissant simplement les idées de l’une et de l’autre.
Sitôt que l’on parle du futur, les sciences se divisent entre celles qui s’intéressent à l’univers et celles qui prennent en compte la vie sur Terre, toute la vie et pas seulement celle de l’espèce humaine. Le conflit est patent et, sans mépriser les sciences de l’univers, il faut bien comprendre que notre avenir est sur Terre et seulement là, que l’interdépendance entre les espèces est totale et que si nous ne cessons pas de négliger l’extinction déjà massive de certaines espèces, c’est la nôtre qui est appelée à disparaître.
Pour y parvenir, il faut un cadre politique et, dans sa conclusion Bruno Latour n’en voit pas d’autre que l’Europe. Pas forcément dans sa forme actuelle mais il considère que seule l’Europe peut construire une solution durable permettant d’éviter la catastrophe finale.
L’ouvrage est clair, pédagogique sans ennui et se lit facilement. L’auteur termine en précisant bien qu’il ne fait que présenter son analyse mais que si vous en avez une autre n’hésitez pas à lui en faire part.
Gérard Durand
Comité Laïcité République
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