Revue de presse

B. Dumons : « La radicalisation de Civitas montre qu’une parole catholique en politique est devenue inaudible » (la-croix.com , 16 août 23)

Bruno Dumons, historien, directeur de recherches CNRS, diacre (diocèse de Lyon). 20 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire « La radicalisation de Civitas montre qu’une parole catholique en politique est devenue inaudible ».

"Le processus de dissolution entamé par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de Civitasillustre la radicalisation qui caractérise aujourd’hui ce mouvement. Récemment, plusieurs tribunes dont celles du politiste Bernard Bruneteau et de l’historien Yves Chiron ont souligné cette évolution, l’une vers la rhétorique de l’antisémitisme, l’autre vers la promotion du complotisme. Celle-ci donne ainsi à voir une composante d’essence catholique dans le paysage contemporain des organisations radicales, de droite comme de gauche d’ailleurs, recourant à la violence des discours et des méthodes parfois musclées. Ce qui leur vaut les foudres du ministère public pour se reconstituer ensuite.

Venue des profondeurs de l’intransigeance et de l’intégrisme catholique, à l’heure de l’Algérie française et du concile Vatican II, entre le maurrassime de la Cité Catholique de Jean Ousset et la dissidence lefebvriste de la Fraternité Saint-Pie X, cette mouvance cherche une voie d’expression dans l’espace politique. Elle s’apparente à une véritable nébuleuse de sensibilités faites de réseaux amicaux et familiaux, de revues et de maisons d’édition, de pèlerinages et d’universités d’été.

Dans cette recherche de politisation, des figures émergent au sein du parti de Jean-Marie Le Pen. L’une d’elles, Bernard Antony, alias Romain Marie, a incarné cette branche du traditionalisme qui eut droit de cité au sein de Front National. Il fut l’un de ses députés européens jusqu’en 1999 dont l’argumentaire principal puisait dans l’anticommunisme.

Les questions sociétales

C’est précisément à cette date que Civitas est fondée en association visant à rechercher une autre voie de politisation. Le recours aux mandats politiques, locaux ou nationaux, qui ont illustré des personnalités comme Jacques Bompard à Orange et dans le Vaucluse, ne suffit plus pour « restaurer la royauté sociale du Christ » selon l’objectif initial.

1999 est aussi l’année au cours de laquelle est instauré le pacte civil de solidarité (Pacs). Désormais, ce sont les questions sociétales qui mobilisent des catholiques sur la scène politique, à grand renfort de manifestations et de présence sur les réseaux sociaux. Ainsi, s’opère une réactivation de la militance catholique à droite.

De 1984 à la Manif pour tous

Le dernier épisode de la bataille scolaire avait vu le succès des manifestations du « moment 1984 », réaffirmant la présence des catholiques dans le paysage politique classique et marginalisant du même coup les franges les plus radicales et extrémistes. Depuis, le catholicisme français s’est largement fracturé en familles irréconciliables, selon les analyses de Philippe Portier et Yann Raison du Cleuziou.

Celles dites d’« ouverture » se sont rendues peu visibles, moins soucieuses de transmission, faisant cause commune avec les sensibilités de gauche. Celles dites d’« identité » ou « observantes » ont poursuivi une stratégie de visibilité en politique sur un mode distinct de l’organisation partisane. Car, à l’heure de l’effondrement de la pratique religieuse des années 2000, la plupart des partis politiques, à droite notamment, se démarquent de l’identité catholique. Son électorat, désormais minoritaire, ne sert pour ainsi dire plus. La marginalisation des initiatives de Christine Boutin en apporte la preuve.

La quête de la visibilité

Le moment de la « Manif Pour Tous » offre alors une occasion de se mobiliser, par la manifestation bien sûr mais aussi autrement, par la plume, les revues en ligne et le front médiatique. Il concerne surtout l’univers « conservateur » du catholicisme français, un adjectif qui mériterait une réflexion approfondie car il existe comme formation politique en Grande-Bretagne et aux États-Unis mais rien de tel en France. Or, ce sont précisément sur les questions sociétales que se distingue un tel courant politique.

Si l’épiscopat resta prudent dans son ensemble, à l’image d’un « magistère faible » selon l’expression de l’historien Denis Pelletier, certains évêques furent plus engagés, proches de jeunes prêtres issus de la génération dite Jean-Paul II. Mais l’échec politique qui en a résulté avec le vote de la loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage homosexuel, a été suivi par le traumatisme des révélations concernant les abus sexuels au sein de l’Église catholique. C’est dire si une parole « catholique » en politique est devenue presque impossible, voire inaudible.

Stratégies radicales de visibilité

S’étant lui aussi fortement investi dans cette bataille contre le « mariage pour tous », Civitas fait le choix inverse. Il intensifie sa présence sur la scène médiatique. Il devient parti politique en 2016, affichant officiellement une identité « catholique », ce qui ne s’était guère vu jusque-là dans l’histoire politique française. Il multiplie les actions à haute visibilité comme les interventions dans les églises empêchant la tenue de concerts, face aux théâtres lors de représentations jugées « christianophobes » ou devant les mairies se lançant dans des projets de centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

Fort d’un millier de membres, le parti déploie sa stratégie de visibilité avec les moyens légaux dont il dispose. Il revendique haut et fort un catholicisme national, sans lien avec Rome, soucieux de réveiller une France de l’Ordre moral, celle d’il y a 150 ans en 1873, lorsque le maréchal Mac-Mahon inaugurait une politique visant à rétablir la royauté légitime avec son drapeau blanc et à sauver la France au nom du Sacré-Cœur.

Éloigné du Rassemblement national, Civitas témoigne de la difficulté de mêler catholicisme et politique sur la scène française. À force de silence et d’autocensure dans l’espace politique républicain, il en deviendrait même le seul dépositaire. Certes, les voies de la politisation sont diverses et multiples mais rien ne s’oppose à ce que la voix des catholiques engagés en politique puisse être entendue et revendiquée. La république doit les écouter et ne pas les conduire à l’effacement ou à la seule voie de la radicalité qui demeurera toujours une impasse."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Civitas dans Catholiques traditionalistes dans Eglise catholique (note de la rédaction CLR).


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