Brice Couturier, journaliste. 4 octobre 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Brice Couturier, Ok Millennials ! Puritanisme, victimisation, identitarisme, censure...L’enquête d’un « baby boomer » sur les mythes de la génération woke, éd. L’Observatoire, 2021, 336 p., 21 e.
"[...] C’est une révolution culturelle. De la même ampleur que celle qui, dans les années 1960, a coûté la vie à des millions de Chinois - et qui a eu d’énormes répercussions, en Occident, sur ma propre génération… Mon livre est une enquête intellectuelle sur les manifestations actuelles du mouvement « woke » et sur les étapes qui ont mené à un renversement cul par-dessus tête de tout ce qui faisait la culture de l’Occident démocratique et libéral. Cela a commencé par une « déconstruction » de toutes les idées admises et des institutions établies. On les a décrites comme des « constructions sociales », arbitraires et exclusivement destinées à conforter le pouvoir des hommes blancs, bourgeois et hétérosexuels.
Après avoir ainsi « déconstruit » les fondements mêmes de notre culture, est venu le temps d’une reconstruction sur des bases identitaires : on étudie (et on invente) des cultures féminine, noire, homosexuelle, etc. Et chacun est renvoyé à son identité particulière, enfermé dans sa case et mis au service d’un combat spécifique. L’idée d’universel est dénoncée comme un mythe. La rationalité, comme une manipulation au service du colonialisme. L’objectivité, comme une illusion raciste. Dans un troisième temps, font leur apparition les « guerriers de la justice sociale ». Revanchards, manichéens, intolérants, avides d’interdits et de censure, ils sont devenus la terreur des campus, les moines-soldats d’une religion nouvelle.
N’exagérez-vous pas la force de ce mouvement qui demeure ultraminoritaire en France ? Ne devrait-on pas l’ignorer ou le traiter sous l’angle de la dérision ?
Non, parce que c’est exactement ce qui s’est passé aux États-Unis. À l’époque du « politiquement correct », dans les années 1980-1990, tout le monde ricanait : remplacer chairman (président) par chairperson et sourd par « différemment entendant », de telles absurdités ne sortiront jamais des facs, se disaient les gens. Ils avaient tort : les anciens étudiants sont devenus professeurs, éditorialistes, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé…
Et ils ont progressivement imposé à une majorité très réticente des mots nouveaux (le genre, l’équité raciale, l’adjectif queer, l’expression « masculinité toxique », etc.), derrière lesquels il y a toute une idéologie. Et là-bas, elle est en train d’être imposée, dans les grandes sociétés, à coups de séminaires obligatoires sur la « diversité » et l’« inclusion ». Pour les membres des classes dirigeantes et fortunées, cela permet de se positionner à gauche à peu de frais, tout en conservant l’avantage de salaires très élevés… C’est pourquoi les classes populaires se tournent, pour se venger, vers des leaders populistes.
Les professeurs, dans de nombreuses universités, sont soumis à des rituels humiliants, comme celui consistant à confesser leurs « privilèges » de Blancs au début de l’année universitaire. Ils sont surveillés et parfois mis en cause par toute une bureaucratie « diversitaire » dont les procédures ne respectent aucune des règles exigées par la justice en démocratie. Il règne à présent, aux États-Unis, une atmosphère de chasse aux sorcières digne de l’époque de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Je donne des exemples. Des tas de gens perdent leur job et sont mis au ban de la société pour une blague mal comprise lors d’une soirée arrosée, ou pour un vieux twitt, retrouvé par des chasseurs de sorcières professionnels. Et surtout pour « pensée incorrecte », refus de se conformer aux rituels idéologiques obligatoires. C’est orwellien. [...]
Je ne supporte plus de voir les idéaux de ma jeunesse, comme l’antiracisme, le féminisme, altérés et dénaturés. Nous étions colour-blind (indifférents aux couleurs de peau), comme le prêchait Martin Luther King. Eux ne voient que ça, la couleur, le genre, l’orientation sexuelle. Ils font de leurs « identités » des politiques. Chacune défendant ses intérêts au détriment des autres et donc de la société tout entière. Nous étions égalitaristes. Eux classent les gens selon tout un système hiérarchique, leur fameuse « intersectionnalité » : au sommet, il y a les transsexuels - au détriment des féministes historiques -, puis viennent les femmes noires homosexuelles… et, tout en bas, les hommes blancs hétérosexuels. Nous nous battions pour l’égalité des droits ; eux pour des droits spécifiques aux communautés. [...]
Au sein du mouvement antiraciste, dans les années 1980, il y avait à la fois ceux qui revendiquaient le droit à la différence, mais aussi ceux qui réclamaient le droit à l’indifférence. Ces derniers brandissaient les idéaux républicains, ils exigeaient leur juste place dans la société et ne voulaient pas renverser la société au nom de leur « différence ». [...]
[La génération woke] a été trop couvée par ses parents. Beaucoup se considèrent comme des petits flocons de neige : ils ressentent la moindre contrariété comme une épouvantable blessure narcissique. Ils confondent la douleur physique et les « blessures symboliques ». Ils exigent qu’on les protège des idées qui leur déplaisent. L’essentiel de leurs relations sociales passant par le numérique, le face-à-face interpersonnel leur est souvent pénible. En outre, je le montre, chiffres à l’appui, c’est une génération qui est tentée politiquement par l’autoritarisme. [...]"
Lire "Brice Couturier : « La gauche woke est manichéenne, intolérante et avide de censure »".
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